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Tradition : Droit d’inventaire

«La plus haute tâche de la tradition est de rendre au progrès la politesse qu’elle lui doit et de permettre au progrès de surgir de la tradition comme la tradition a surgi du progrès» Jean d’Ormesson

 

La tradition est le legs matériel et immatériel de nos ancêtres. Elle dit de nous ce que nous sommes et ce que nous avons. Nombre de nos valeurs viennent d’elle : fierté, dignité, sens de la grandeur.

Comme la culture, qui en est une composante essentielle, la tradition est ce qui reste après que tout s’est envolé. Elle est le bien précieux transmis à notre génération par nos devanciers et guide notre façon d’être, de faire et de mener notre vivre ensemble.
Semblable à une statue, la tradition réunit en elle sa propre force et sa faiblesse. Autant elle nous fascine autant elle nous inhibe. Notre dilemme n’est pas puéril: comment concilier fidélité à la tradition et exigence du temps présent ?

La question fondamentale et inévitable reste de savoir vivre avec son temps en ayant la tradition chevillée au corps et au cœur. En Afrique, cette ambivalence est bien campée par Cheikh Hamidou Kane dans son livre indépassable, «l’Aventure ambiguë» publié en 1961. L’exemple de Samba Diallo, son héros tragique, est encore d’actualité, un face-à-face lucide avec le passé, ses avantages, ses inconvénients tout en gardant les yeux tournés vers l’avenir. Comme l’a dit Jean d’Ormesson, devenu Immortel par son élection à l’Académie française, «La plus haute tâche de la tradition est de rendre au progrès la politesse qu’elle lui doit et de permettre au progrès de surgir de la tradition comme la tradition a surgi du progrès».

En exerçant notre droit d’inventaire, la tentation est grande de solder certains comptes avec la tradition, de la soumettre à une critique sans complaisance indulgente ni acharnement inutile. Cette tradition ressentie parfois comme une chaîne au pied, figée dans sa sacralité, survit-elle à cause de nos interrogations, hésitations et doutes ? Ou alors avons-nous développé une forme de paresse intellectuelle pour ne pas avoir à répondre à ces questions assurément existentielles ?

DISTANCE SPATIO-TEMPORELLE- Tout semble indiquer que nous avons institué une distance qui rend intouchable notre héritage et nous laisse sans recours.
Pourtant, il s’agit bien d’un compte d’épargne, inscrit dans la succession de notre tradition et que nous devons, à notre tour, fructifier avec les dividendes des atouts de notre époque pour ensuite le transmettre à nos descendants. Dans la longue chaine humaine, chaque génération n’est que le nu-propriétaire de ce qu’elle a reçu de la tradition, et a le devoir de transmettre l’usufruit pur et inaltéré.

Il reste que nous devons interroger le contenu des valeurs transmises, leur pertinence et surtout leur adéquation avec nos défis actuels. Une raison pour nous les approprier de manière pragmatique afin d’éviter les décalages entre les attentes et les résultats.
Il est fréquent d’entendre chaque génération clamer avoir reçu le meilleur héritage de ses devanciers. Chacun revisite son temps, l’enjolive pour conter une épopée dont il peut tirer fierté. Il y a donc des conflits interminables lorsque l’on tente de reproduire, par la force, son propre itinéraire à sa progéniture, parce que la tradition le veut ainsi.

Toutefois, les temps ont changé. Le nôtre est celui de la vitesse et du virtuel avec l’avion, le téléphone, la télévision et le numérique. Les nouvelles questions ne s’accommodent pas des réponses du temps d’avant.

Les problèmes du 21è siècle ne se résolvent pas dans les équations d’il y a huit cents ans. «On ne raisonne pas de la même façon dans un château que dans une chaumière», disait si justement Ludwig Feuerbach cité par Friedrich Engels.
Mais sans être une panacée, les traditions sont un refuge dans les moments de doute, références occasionnelles puisées dans le passé.

En tant que telles, les valeurs sont remodelables et adaptables, étant toujours sujettes aux variations de l’univers politique, économique, social, culturel et même environnemental.

SYNTHÈSE HARMONIEUSE- Le premier pas vers le remodelage est la connaissance exacte des origines et des acquis, l’intelligence pour trier dans l’héritage que nous recevons et dont nous devons nous servir en fonction de nos besoins.

Il n’est pas superfétatoire de rappeler que la nature des problèmes change constamment, tout comme les acteurs qui les ont en charge. Aussi, pour cette raison, existe-t-il des traditions en désuétude face aux exigences des temps présents, telles la place de la femme, l’éducation, les relations sociales, la construction nationale, la bonne gouvernance, etc.

L’utilité de ces exigences appelle à une synthèse entre l’héritage et les défis actuels. Notre monde moderne d’aujourd’hui gorgé de progrès de toute nature est appelé demain à être celui de la tradition. À nos héritiers de la respecter ou de la bousculer.

Hamadoun TOURÉ
tahamadoun@yahoo.com

Source : L’ESSOR

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