Défiant les pluies intermittentes, nous avons pris position sur notre tour de réflexion tôt ce lundi matin. Comme d’habitude, en montant, nous avons croisé beaucoup de femmes avec de lourds paniers de fruits (mangues, oranges, karité…), de tubercules, de légumes, des tiges d’arachides… selon les saisons.
Des marchandises souvent vendues au marché de Lafiabougou. Au retour, il n’est pas rare de croiser les mêmes braves femmes lourdement chargées avec différents produits de consommation pour leurs familles. «Nous achetons le plus souvent du riz, du sucre, de l’huile…», nous a confié l’une des dames surprises de nous voir l’aider à porter un jour son lourd fardeau.
Bien que considérées comme des paysannes, l’essentiel des revenus de ces femmes va dans la satisfaction des besoins de consommation de leurs familles.
Les céréales produites ne suffisent pas non seulement à nourrir les foyers, mais les chefs de famille en prélèvent aussi une partie vendue pour faire face à d’autres postes de dépenses.
Sans compter que la proximité urbaine aidant, le riz est de plus en plus la base de l’alimentation locale. Une denrée rarement abordable pour les maigres revenus.
Et pourtant, en 2015, le Mali s’est hissé au rang de 2e producteur de riz en Afrique de l’ouest après le Nigeria. Au compte de la campagne agricole 2014-2015, la production globale s’est élevée à près de 2,167 millions tonnes de riz paddy avec un investissement d’environ 55 milliards de F CFA dans la riziculture nationale.
Mais, pour que le pays puisse tirer le maximum de profit de ce potentiel, il faut une meilleure stratégie commerciale du riz voire de tous les produits agricoles du terroir. Si sur le plan de l’amélioration de la production, l’Initiative Riz (2008-2009) a été un succès, son impact socioéconomique a été très limité parce que l’aspect commercialisation n’avait pas été bien cerné.
Au lieu d’accroitre les revenus des paysans et rendre le riz accessible à tous les consommateurs, surtout les plus modestes, cette politique a une fois de plus été détournée de ses objectifs par les importateurs qui ont acheté et stocké le riz local afin de créer une pénurie rendant indispensable les juteuses importations.
Nous ne cesserons de le dire, la commercialisation de nos produits agricoles ne profite actuellement qu’aux opérateurs économiques et à leurs intermédiaires. Ni les producteurs, ni les consommateurs, ni le Trésor public n’y trouvent réellement leur compte. Ce qui n’est pas de nature à favoriser le développement de nos filières agricoles parce ces opérateurs économiques utilisent leurs bénéfices à d’autres fins au lieu de les investir dans la filière.
C’est leur cupidité, encouragée par les dirigeants politiques, qui explique que, malgré une production en hausse, diverses études, (notamment l’étude sur l’Impact des importations, les dons et les aides alimentaires sur la commercialisation du riz local au Mali) ont récemment démontré l’accroissement des importations.
L’autosuffisance dissimulée pour justifier les importations exonérées
Selon cette étude, le Mali a fait d’énormes progrès en matière de production de riz depuis la crise alimentaire de 2007-2008 et dispose d’une grande capacité d’autosuffisance en riz (93 %).
Mais, paradoxalement, «les importations de riz continuent de manière soutenue et sont largement au-dessus des besoins de la consommation locale. Cela constitue une concurrence défavorable à l’écoulement du riz produit localement», a récemment dénoncé VECO West Africa, une ONG qui appuie les agriculteurs familiaux à jouer leur rôle dans la réduction de la pauvreté en milieu rural.
«La production globale du riz au Mali est en augmentation, mais le riz local est marginal sur le marché national… Le Mali importe chaque année en moyenne 200 000 tonnes de riz par an, soit 20 % de la consommation», avait déploré Modibo Kéita, Directeur National du commerce et de concurrence (DNCC) lors d’un atelier organisé à l’initiative de l’Association Malienne des Anciens Fonctionnaires Internationaux des Nations unies (AMAFINU) en octobre 2015.
Et, selon lui, les prix à la consommation ont été maintenus grâce aux subventions à l’importation. «La subvention du riz importé n’est pas pertinente car cela permet de garantir la sécurité alimentaire, mais pose problème au niveau de la filière», a ajouté M. Kéita. Et même l’apport à la sécurité alimentaire est très discutable d’autant plus que les subventions ont rarement contribué à la baisse du prix d’achat pour les consommateurs.
Loin d’être profitable aux ménages, la subvention est également défavorable à la production. Curieusement, le gouvernement ne semble tirer aucun enseignement de cette pratique qui rend la production nationale moins compétitive par rapport aux importations.
Comme beaucoup d’observateurs, nous nous demandons où va le riz produit au Mali et pourquoi on importe encore autant de quantité ?
Comment estime-t-on les besoins d’importations en riz ?
Des questions dont les réponses sont connues sans doute des ministres de l’Agriculture ; du Commerce, et de l’Economie et des Finances. Et il est souhaitable que les députés interpellent le gouvernement sur ces questions car sa réponse est sans doute liée à la promotion de la production nationale de riz voire de toutes les filières agricoles.
On n’a pas besoin d’être un économiste formé à Oxford ou à Cambridge pour comprendre qu’il faut mettre fin à l’exonération (subvention) du riz importé pour rendre compétitif, au Mali et dans la sous-région, la filière nationale de plus en plus productive et rentable.
Ce n’est pas sorcier pour un pays qui se vante de consacrer désormais près de 15 % de son budget à l’agriculture. Le comble de la démagogie serait plutôt de continuer encore à hypothéquer la compétitivité des filières agricoles par des subventions aux dépens du même budget national.
Et surtout que ce n’est ni la qualité ni la quantité du riz made in Mali qui est en cause. Elles sont seulement sacrifiées au profit des monopoles d’importations dont les tentacules font la fortune de nombreux prédateurs économiques et nourrissent des politiques et des cadres des services économiques et agricoles du Mali.
Il est utopique de vouloir créer les conditions de l’émergence économique et industrielle d’un pays dont les circuits de production sont noyés dans la corruption entretenue par les monopoles !
Moussa Bolly
Source: Le Matin