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Toumani Diabaté s’en allé laissant : La kora orpheline des doigts magiques de son légendaire maître

Il est l’un de ses êtres exceptionnels que l’ange de la mort peut physiquement terrasser, mais sans jamais vaincre parce que leurs noms et leur héritage vont résonner dans le cœur et les oreilles de nombreuses générations encore des décennies durant. Oui, Toumani Diabaté était de ces talents incontestables immortalisés par leurs œuvres. Le virtuose de la kora et patriarche de Diabatéla a tiré sa révérence ce vendredi 19 juillet 2024 à l’âge de 58 ans à Bamako. Le Commandeur de l’Ordre national du Mérite s’en est allé en léguant à la postérité un héritage musical digne de la légende qu’il est devenu par le talent, le courage, la persévérance et l’abnégation.

«C’est Dieu qui donne la vie, qui donne la mort et c’est vers lui que nous retournons. Mon confident, mon pilier, mon guide, mon meilleur ami, mon cher papa s’en est allé à jamais» ! C’est ainsi que la jeune star Sidiki Diabaté a annoncé au monde entier le clap de la fin sur «X». Le maître de la kora et monument de la musique, Toumani Diabaté, est décédé le 19 juillet 2024 à l’âge de 58 ans au Golden Life American Hospital de Bamako. Oui, c’est la fin ! La fin d’une aventure humaine, d’un fabuleux parcours riche de plusieurs albums, des œuvres personnelles ou des collaborations… La fin d’une extraordinaire et captivante symphonie pour le chef d’orchestre, le gardien du Temple, le patriarche de la dynastie des Diabaté… Des obsèques abondamment arrosées comme un signe de clémence du Tout-puissant à l’égard de ce très pieu fidèle.

Fin du parcours terrestre, mais début de la vraie légende qui ne s’écrit plus en termes de présence au studio ou en prestation scénique car le lien affectif avec les fans, les mélomanes, les collaborateurs… est désormais immatériel… C’est donc le début d’une légende forgée par la carrière exceptionnelle du talent surdoué, du prodige, l’incomparable, l’inimitable, le discret, l’humble mais l’immense Toumani Diabaté. Après des hommages et des témoignages émouvants sur une vie et une carrière atypiques, la star planétaire a été accompagnée le lendemain (20 juillet 2024) à sa dernière demeure par la nation entière dans les prières de laquelle elle restera à jamais.

«Cette disparition est une grande perte pour le Mali et l’Afrique. Sa vie et l’œuvre qu’il a accomplie restent des exemples qui marqueront à jamais des générations entières», a indiqué dans la soirée du 19 juillet le ministre de l’Artisanat, de la Culture, de l’Industrie hôtelière et du Tourisme, Andogoly Guindo. Il s’est ainsi incliné devant «la mémoire de ce digne fils du Mali, figure emblématique de la culture malienne». Celui à qui la nation a réaffirmé sa reconnaissance en l’élevant Commandeur de l’Ordre national du Mérite.

Un apprentissage précoce pour une carrière dont le reflet a ébloui le monde

Toumani Diabaté est le fils de la diva Nama Koïta et de Sidiki Diabaté (1922-1996), joueur de kora d’une notoriété légendaire dans toute l’Afrique de l’ouest et surnommé à juste titre «Roi de la kora». Ce talent inné a commencé à apprendre à jouer ce mythique instrument dès l’âge de cinq ans. A 13 ans, il participe à la biennale du Mali avec l’Ensemble de Koulikoro qui remporte le prix du meilleur orchestre traditionnel. Une performance qui lui ouvre naturellement les portes de l’Ensemble instrumental national du Mali avant l’exceptionnelle carrière solo qui vient de prendre fin.

Très ouvert à toutes les collaborations pour mieux enrichir sa science, Toumani Diabaté a joué avec les stars maliennes (Kandia Kouyaté, Ballaké Sissoko, Ali Farka Touré, Bassékou Kouyaté) et les sommités du monde comme Taj Mahal. Sa chanson «Tapha Niang» (avec son groupe Symmetric Orchestra qui a fait les beaux jours de l’Espace de loisir Le Diplomate) fait partie de la bande originale du jeu vidéo onirique au succès mondial «LittleBigPlanet» sorti en 2008. A la suite d’un début de polémique au sujet de l’utilisation de deux vers du Saint Coran dans les paroles de la chanson, Sony Computer Entertainment choisit de faire figurer une version instrumentale de «Tapha Niang» dans la version finale du jeu afin de ménager les susceptibilités.

Toumani et son fils Sidiki Diabaté

L’atypique carrière de Toumani Diabaté a été marquée par de nombreux succès internationaux couronnés par au moins deux Grammy Awards en collaboration avec feu Ali Farka Touré décédé le 6 mars 2006. D’ailleurs, c’est cette même année (le 8 février 2006) qu’Ali et Toumani ont obtenu leur premier Grammy Awards (catégorie World Music)  avec l’album «In the Heart of the Moon» enregistré à l’Hôtel du Mandé du défunt Salif Kéita dit «Domingo» en 2005. Le 13 février 2011, les deux virtuoses ont remporté le Grammy du «Meilleur album de musique traditionnelle» lors de la 53e cérémonie des Grammy Awards à Los Angeles (Etats-Unis) pour leur superbe album «Ali and Toumani».

Il faut également souligner, entre autres, que son album «Songhai» a obtenu le «Prix du meilleur album étranger» de l’année 1988 du «New Musical Express»  (NME/un magazine musical hebdomadaire britannique)… L’histoire retiendra aussi que Docteur Tom a été le premier africain à se produire au «Royal Albert  Theater» de Londres (Angleterre) traditionnellement réservé aux «monstres sacrés» de la musique internationale. L’opus primé est une œuvre de «fusion flamenco» sur lequel l’illustre disparu a collaboré avec le groupe espagnol «Ketama»  et d’autres musiciens célèbres dans leurs domaines.

Un héritage hissé au sommet pour conquérir la planète

Il est vrai que «Docteur» a hérité d’un instrument déjà rendu célèbre par son talentueux père, Sidiki Diabaté, mais sa virtuosité a donné une autre dimension à la kora qui a conquis le monde entre ses doigts magiques. «Ce soir la kora est orpheline et je l’entends dans le lointain pleurer depuis le pays mandingue, elle pleure son Papa, le Roi des Griots… celui qui l’a rendue célèbre dans le monde entier, celui qui a su universaliser la culture Mandingue…», s’est attristé Alpha Blondy (Seydou Koné). Issu d’une famille de griots, Toumani Diabaté restera à jamais comme l’une des figures les plus emblématiques de la musique mandingue.

«Aujourd’hui un grand homme est revenu à sa source et nous avons perdu Toumani Diabaté. Son influence sur le monde de la musique est difficile à exagérer car il a servi comme ambassadeur mondial pour le Mali, pour le Djeliya, pour la kora, pour la famille Diabaté», a témoigné l’Américain Gordon Hellegers dit «Salif Bama Kora». Il dit avoir appris la nouvelle alors qu’il était avec son maître (Madou Sidiki) et qu’ils ont annulé leur prestation pour permettre à ce dernier revenir au bercail.

Oui, la Diva Oumou Sangaré a raison quand elle écrit, «Toumani était bien plus qu’un virtuose de la kora. Il était un pont entre nos traditions ancestrales et la modernité ; un artiste qui a su porter la voix du Mali aux quatre coins du monde. Sa musique transcendait les frontières, touchant les cœurs par-delà les cultures et les langues». Et de rappeler, «je garde des souvenirs précieux de nos premiers voyages ensemble, notamment cette tournée mémorable en Europe avec l’ensemble Djoliba Percussions. Ces moments partagés sur scène et en coulisses ont forgé une amitié indéfectible».

Pour paraphraser un mentor, Seydou Sissouma, «la kora est désormais orpheline de son Maître». Oui, Tonton Sissouma, «de Bamako à Sydney, quelque chose s’est cassé, brisé comme une corde ou une voix en chaque mélomane à l’annonce de la terrible nouvelle» de la disparition d’un artiste qui était encore «plus grand que le maestro» ! Comme l’a rappelé Magassouba Awa Sylla, son intime amie, «un géant ne meurt jamais, il se repose juste». Filifing en est un.  Il s’en est allé sans jamais vraiment partir. Certes, il est parti rejoindre ses complices de scène comme Mamoutou Camara dit Mangala (décédé le 29 septembre 2010) et Ali Farka Touré arraché l’affection des mélomanes le 6 mars 2006. Mais, Tom sera encore là avec ses vieux compagnons comme Bassékou Kouyaté, son frère Madou Sidiki Diabaté et ses héritiers tels Sidiki, Balla et Hamed Diabaté, Vieux Farka Touré…

Le doyen Tiégoum Boubèye Maïga a donc raison de réclamer le «djanjo» pour l’artiste (ce que la Fée de Kita Kuru, Kandia Kouyaté, et Mamani Kouyaté ont superbement fait lors des funérailles) parce ce, rappelle-t-il, «Toumani, on ne le pleure pas, on le célèbre». Et il avoue (prémonition) avoir passé la journée précédant l’éclipse à écouter «sa musique si apaisante en featuring avec Ballaké Sissoko» (album  «New Ancient Strings»). Tout comme «TBM», les fans sont convaincus que leur idole continuera à «vivre à travers son très riche répertoire ; à travers son frère Madou Sidiki, ses enfants Sidiki, Balla et Ahmed et tous ceux dont il a inspiré la carrière».

«Les mélodies de Toumani continueront de résonner dans nos cœurs. Que la kora continue de nous rapprocher, de nous apaiser et d’apporter plus de paix dans le monde» est aussi convaincu Ballaké Sissoko avec qui il a commencé l’apprentissage du mythique instrument en «marchant dans les pas de nos pères et poursuivant leur œuvre avec passion et respect». Oui Dily Oumou (Oumou Sangaré), la disparition de Toumani «laisse un vide immense dans nos cœurs, mais son héritage musical continuera de résonner en nous et d’inspirer les générations futures. La kora de Toumani se tait aujourd’hui, mais ses mélodies continueront de vibrer éternellement dans l’âme du Mali et du monde entier».

Oui Bakaridjan (Madou Sidiki), Filifing (Toumani) a joué sa «partition avec dignité, dans le respect et honnêteté» ainsi que dans la parfaite discrétion et avec une grande humilité ! Oui Monsieur le Ministre Hamadoun Touré, Toumani a eu «une vie digne de regard et une carrière bien remplie». Oui Maman Cissé Fatimata Kouyaté, «même les larmes que nous versons en cette douloureuse et éprouvante circonstance, sont celles de la fierté et de la reconnaissance».

Que dire de plus après l’émotion d’une perte cruelle et cette assurance d’immortalité acquise pour l’éternité ? Rien ! Sinon va en paix Docteur Tom, Maestro, Filifing, Brigo Toumani… car tu resteras à jamais une légende !

Et les légendes sont immortelles !

Moussa Bolly

Source: Le Matin

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