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Terrorisme au Sahel : à quoi servent les forces étrangères ?

La recrudescence ces derniers jours des attaques terroristes dans la zone transfrontalière entre le Mali, le Niger et le Burkina, fait de nouveau amplifier la polémique sur la présence des bases militaires occidentales au Sahel. Alors que les groupes terroristes semblent avoir repris du poil de la bête, l’efficacité des réponses militaires reste encore à prouver surtout avec la facilité avec laquelle ces groupes continuent d’opérer dans la zone. Pendant ce temps, la mise en place de la force mixte régionale se fait toujours attendre et le renforcement des forces étrangères passe de plus en plus mal au sein de l’opinion.
                                                                                                              serval-barkhane-francais-onu-minusma-sahel-patrouille-mixte-soldat-militaire

Le Niger a été encore victime, ce lundi 6 mars, d’une nouvelle attaque terroriste ayant fait plusieurs morts dans les rangs de ses forces de défense à Wanzerbé près de la frontière malienne. L’attaque survient quelques semaines après celle ayant tué 16 soldats dans la même zone et surtout au lendemain d’une sanglante attaque quelques centaines de kilomètres plus loin au Mali qui s’est soldée par la mort de 11 soldats dimanche dernier. Quelques jours plutôt, c’est une localité burkinabé qui a été la cible d’assaillants non identifiés. Ces attaques, les énièmes du genre dans cette zone transfrontalière qui témoignent de la recrudescence des menaces sécuritaires, surviennent alors que plusieurs forces étrangères notamment françaises, ont dernièrement renforcé leur position dans la zone.

Des attaques à répétition

Comme une réponse à la décision prise le 6 février dernier à Bamako par les chefs d’Etat des 5 pays membres du Sahel réunis au sein du G5, les groupes terroristes qui pullulent dans la zone ne cessent de multiplier les attaques ces derniers jours. C’est particulièrement dans la zone transfrontalière entre le Mali, le Niger et le Burkina, que ces attaques sont devenues quasi régulières depuis quelques semaines avec leurs lots de morts et de blessés, surtout parmi les militaires, en plus des dommages induits sur l’activité socio économique des habitants de ces régions.

Le début de ce mois de mars a été particulièrement agité avec des attaques par des assaillants lourdement armés qui ont tour à tour visés plusieurs localités de ces trois pays avec comme cibles de premier choix, les positions des forces de défense et de sécurité à travers des opérations bien préparées. Au Niger, où en octobre une attaque dans le camp de réfugiés de Tezalit qui abrite des réfugiés maliens a fait déjà 22 morts dans les rangs de la garde nationale, une autre attaque a visé le 22 février dernier une patrouille mobile de l’armée à Tilwa, faisant 16 morts parmi les soldats. Au Mali, le pays qui passe pour le sanctuaire des groupes jihadistes, une énième attaque terroriste a fait, dimanche dernier, 11 morts dans les rangs de l’armée. Quelques jours auparavant, ce sont des localités voisines au Burkina qui ont également été visé par les attaques de l’un des derniers nés des groupes de la mouvance salafiste de la zone, celui de Malam Dicko qui veut faire du pays sa base arrière.

Une présence militaire étrangère qui se renforce

La recrudescence de ces attaques terroristes dans ces pays stratégiques du Sahel prouvent certes si besoin est que les risques sécuritaires ne cessent de s’amplifier dans la zone en dépit d’une importante présence militaire étrangère. Au Mali où la Mission des nations unies pour la stabilisation du pays (MINUSMA) peine à contenir la situation où s’entremêlent menaces terroristes et rébellion armée, la timide avancée de la mise en œuvre de l’accord de paix de mai et juin 2015 ajoute certes à la confusion qui prévaut surtout dans la partie nord du pays, foyer par excellence de plusieurs groupes terroristes. S’il est vrai que le retour de la paix dans cette zone passe par la stabilisation du pays, il n’en demeure pas moins que la multiplication des attaques terroristes soulèvent des interrogations, sommes toutes légitimes au sein de l’opinion de ces pays.

Capacité de nuisance et mobilité des groupes terroristes

Le fait le plus troublant et qui participe à amplifier la perception d’inutilité de ces forces, c’est la manière ou disons la facilité avec laquelle les attaques sont menées par des assaillants qui arrivent toujours à se replier au Mali ou rejoindre leurs multiples bases, emportant assez souvent  avec eux plusieurs des véhicules et matériels militaires comme c’est le cas dernièrement au Niger mais aussi au Mali. D’autant plus que les assaillants arrivent parfois en nombre et la zone où désormais se concentre leurs opérations ne se trouvent par exemple pas dans une zone couverte par l’opération française Barkhane, laquelle dispose d’une base aérienne projetée (BAP) stationnée à Niamey et qui dispose d’au moins 5 drones MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance), les fameux MQ-9 Reaper ainsi que des Mirage 2000C et 2000D. En plus de sa base avancée de Madama dans le nord du pays à la frontière libyenne, la France a également décidé, après l’attaque de Tilwa, de positionner un détachement de liaison et d’appui opérationnel (DLAO) de 80 hommes à Tillabéri dans la zone frontalière avec le Burkina et le Mali. La recrudescence des attaques de ces derniers jours a d’ailleurs poussé les autorités nigériennes à la placer sous « Etat d’urgence », comme c’est déjà le cas depuis plus d’un an pour la région de Diffa, dans le sud-est à la frontière avec le Tchad et le Nigéria et où opèrent un autre groupe terroriste, la secte Boko Haram.

Dans cette zone accolée au lac Tchad, français et américains sont également en activité par le biais de petit détachement de renseignement et de formation. Ce qui n’a pas également empêché la persistance des attaques meurtrières de la secte islamiste nigériane même si elles sont devenues ces derniers temps assez sporadique grâce aux efforts conjugués des armées des quatre pays (Tchad, Niger, Cameroun et Nigéria) à travers l’opérationnalisation d’une Force conjointe mixte.

Toujours au Niger où le débat sur la présence des forces étrangères est des plus animés, les américains sont également en train de construire l’une de leurs plus importantes bases militaires à Agadez dans le nord du pays. Et pour boucler la boucle, c’est l’Allemagne qui s’est greffé à la dynamique en annonçant, il y a quelques mois l’installation d’une base logistique militaire dans le pays.

Mauvaise perception au sein de l’opinion

A quoi servent alors ces bases militaires étrangères et particulièrement la force Barkhane, laquelle il est vrai, mène de temps à autre quelques coups d’éclat notamment au Mali ? Cependant, cela est loin de rassurer l’opinion au sein de ces pays surtout avec la recrudescence des dernières attaques au moment justement où la présence de ces forces étrangères monte en puissance.

« C’est déplorable que la sécurité de notre pays soit léguée aux puissances étrangères. Il s’agit de mettre à la disposition de nos forces armées des moyens conséquents pour répondre à toute attaque d’ennemis » se désole ainsi un acteur de la société civile nigérienne Sirajo Issa, selon des propos recueillis par l’agence chinoise Xhinua.

Cette perception ne date pas d’aujourd’hui car en fin 2016, dans une étude consacrée à la présence des militaires occidentaux au Niger, le chercheur Georges Berghezan du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité́ (GRIP) a mis en exergue que « la situation toujours instable au Mali et la persistance de la menace de Boko Haram entretiennent des doutes sur l’efficacité́ de l’opération Barkhane et des moyens de surveillance et de renseignement déployés par les États-Unis ». L’étude dont le titre est sans équivoque, « Militaires occidentaux au Niger : présence contestée, utilité́ à démontrer », a aussi mis en évidence le fait que « depuis le lancement des programmes antiterroristes de ces derniers dans le Sahel, les groupes djihadistes n’ont cessé de se multiplier et de gagner en importance, tandis que le Niger n’avait connu aucune attaque de Boko Haram avant le début de Barkhane ».

Plus problématique encore, ce rejet des forces étrangères dans ces pays et principalement au Niger, est aussi perceptible même au sein de l’armée. Des officiers et des hommes de rang au sein de la « grande muette » ont ainsi critiqué l’inefficacité de ces forces étrangères en mettant en avant comme principal argument, le fait qu’elles ne partagent pas véritablement leurs renseignements en plus de porter atteinte à la souveraineté du pays.

Agendas géopolitiques cachés ?

Ce contexte est comme il fallait s’y attendre propice à toutes les interprétations qui vont s’amplifier au regard de la détérioration de la situation de ces derniers jours. Surtout avec la montée d’un sentiment de rejet des anciennes puissances coloniales de plus en plus ambiant en Afrique. Certains observateurs n’hésitent pas à évoquer des agendas cachés, ce qui pourrait s’expliquer par la situation géopolitique stratégique de cette zone sahélienne qui va du Tchad à la Mauritanie.

Dans une récente tribune relative aussi à la question, l’expert en géopolitique et prospective au Sahel et Méditerranée, Mehdi Taje qui dirige également le cabinet Global Prospect Intelligence (GPI), a estimé que les puissances occidentales poursuivent plusieurs objectifs dont la sécurisation de l’espace sahélien afin de profiter de la menace terroriste et criminelle pour revenir en force, et parallèlement « d’éviter l’embrasement généralisé de la région tout en tolérant une insécurité circonscrite justifiant leur pénétration militaire et économique sur le long terme à travers des bases militaires permanentes ».

Dans la même lancée, il justifie aussi cette présence en force des militaires occidentaux par un souci de contrôler les richesses énergétiques et minérales dont regorgent par la même occasion neutraliser les ambitions de certaines puissances régionales comme l’Algérie ou des puissances islamiques notamment le Pakistan et certains pays du Golfe avec à la clé évincer les nouvelles puissances rivales comme la Chine, l’Inde, le Brésil, la Turquie ou l’ Iran.

« La guerre de Libye, éliminant l’imprévisible Kadhafi, fut l’étape liminaire permettant la pénétration vers les profondeurs sahéliennes » appréhende Mehdi Taje pour qui « la disparition du guide libyen ouvre la voie à la reconfiguration du théâtre sahélo-maghrébin et au contrôle des grandes Majors sur les gisements pétroliers et gaziers ».

De manière générale, c’est la même perception qui prévaut largement au sein de l’opinion de ces pays et particulièrement au Niger devenu « la base arrière de l’opération Barkhane, ainsi qu’une plateforme d’observation des États-Unis dans une région minée par plusieurs insurrections, la plupart à caractère djihadiste » selon Georges Berghezan. S’il est vrai que la faible capacité opérationnelle des pays de la zone peut justifier le recours à une coopération plus étroite avec les pays occidentaux, l’alternative c’est d’ailleurs justement de renforcer les armées nationales de ces pays afin qu’elles assument elles même la sécurisation de leur territoire. Une affaire de longue haleine il est vrai mais qui constitue un impératif puisqu’il en va de la souveraineté de ces pays.

Des tentatives d’aller dans ce sens sont cesse annoncer par les autorités à travers le G5, la CEDEAO ou même l’Union Africaine, restent pour le moment au stade de « volonté affichée ». Même le droit de poursuite militaire réciproque en cas d’agression terroriste, qui a été signé en début d’année à Bamako par le Mali, le Niger et le Burkina, ne semble pour le moment induire aucun effet sur le terrain. Les assaillants parvenant toujours à regagner leur base et à se déplacer dans la zone avec une mobilité parfois assez déconcertante.

En attendant la force régionale,  « l’internationale jihadiste »  s’active

Il reste à attendre l’opérationnalisation de la force multinationale du G5 pour espérer peut-être voir les armées nationales des pays sahéliens monter en puissance et peut être sans passer de l’aide des forces étrangères. A l’heure actuelle, force est de reconnaître que cela relève plus d’un idéal. Il y va pourtant du développement de ces pays déjà confrontés à d’innombrables défis socio-économiques et politiques. Et surtout que les perspectives en matière sécuritaire s’assombrissent de plus en plus au fil de la multiplication des attaques et de la montée en puissance des groupes armés de tous acabits qui prennent la région en otage. Ces derniers ne font en tout cas pas mystère de leurs ambitions.

En plus d’avoir repris du poil à la bête comme le montrent les événements de ces derniers jours,  ces groupes tentent de se réorganiser pour multiplier leur capacité de nuisance.  En plus de la filiale ouest africaine de Daesh que dirige Abou Walid Al-Sahraoui ainsi que « Ansarul Islam » du burkinabé Ibrahim Malam Dicko qui ont revendiqué plusieurs attaques ces derniers jours, Al-Mourabitoune de l’algérien Mokhtar Belmokhtar, Ansar Dine du malien Iyad Ag Ghali et Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) ont officialisé, la semaine dernière, une nouvelle alliance, « le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans ».

En attendant la force régionale, l’internationale jihadiste se renforce dans le Sahel au nez et à la barbe des forces occidentales qui supplantent de plus en plus les armées nationales dans ces zones…

Source: latribune

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