Le mariage précoce est étroitement lié à l’autonomie et l’utilité sociale en milieu rural où les jeunes (les filles surtout), très souvent, voient leur avenir hypothéqué par des études écourtées.
« Moi, native de Guétéma, à 12 km de Nioro du Sahel, j’ai fréquenté l’école coranique et ai été alphabétisée en langue fulfuldé (langue peule). J’ai eu la chance d’avoir un parcours hors du commun pour une personne de mon milieu. J’ai fréquenté l’école moderne en français à l’âge de huit 8 ans. Admise au Certificat d’études primaires (CEP), j’ai obtenu trois ans plus tard mon Diplôme d’études fondamentales (DEF). Ensuite, je suis devenue titulaire du baccalauréat malien, option Lettres en 2010, à Bamako.
Je me suis alors inscrite à la Faculté des lettres, langues, et des sciences du langage (FLSL, ex-FLASH) de Bamako en 2011, option Anglais unilingue. Après une année blanche, j’ai intégré l’Institut national de formation des travailleurs sociaux (INFTS) de Bamako suite à un concours. J’ai pu terminer le cycle moyen de technicien supérieur en travail social en 2014, avec comme thème de mémoire « La scolarisation des filles en milieu peul : cas de la commune rurale de Guétéma (Nioro du Sahel) ». Le choix de ce thème repose sur le fait que je suis la seule fille de ma promotion, la première (1998) dans ma commune (Guétéma), à continuer les études jusqu’à ce niveau. La seule d’ailleurs à obtenir le bac.
Après ces études, en 2014, je me suis mariée au mois de septembre. Actuellement, je suis stagiaire à l’Office radiodiffusion télévision du Mali (ORTM). Je fais également partie de plusieurs organisations communautaires nationales de jeunes, notamment « l’Association de développement de l’éducation de Guétéma » (ADEG) en commune rurale de Guétéma. Je suis aussi membre de l’Association de la jeunesse Tabital Pulaaku du Mali.
Si j’énumère avec précision mon parcours, c’est pour mieux vous expliquer les conséquences de l’éducation d’une fille issue de mon terroir. J’ai l’honneur et le privilège de pouvoir mener une vie de soutien aux personnes qui me sont chères, au niveau local, comme au niveau national. Mes études m’ont aidée à tout cela. Mais qu’en est-il de mes sœurs en milieu rural ?
Des épreuves aux opportunités
En ce qui me concerne, j’ai pu éviter le mariage précoce, alors qu’en commençant les études primaires j’étais déjà fiancée à un cousin. Or, ce dernier est décédé avant que j’obtienne le CEP. Quelques mois après, j’ai été fiancée à un autre cousin qui était à l’étranger. Ce dernier m’a attendue pendant sept ans à l’étranger. Après l’obtention du baccalauréat, à son retour, il a voulu célébrer le mariage. J’ai montré mon refus pour ce mariage, car je savais que la vie au village était incompatible avec mon ambition, comme il n’y a aucune structure universitaire pouvant m’accueillir au village.
Au cours de mon cycle universitaire, j’éprouvais une grande joie de poursuivre mes études avec des camarades qui m’encourageaient chaque fois que cela était possible. Ainsi, les études universitaires constituaient pour moi le défi de l’avenir, car je développais ma personnalité pour me préparer à la vie. Étant donné que l’école demeure l’endroit idéal pour apprendre, il va de soi que j’apprenais au fil des ans les aptitudes me permettant d’avoir une bonne hygiène de vie, notamment en ce qui concerne la santé de la reproduction.
Avec mon niveau d’instruction, je peux assurer mes besoins par mon travail propre, tout en assurant au-delà de cela l’éducation de mes enfants et la bonne prise en charge de mon mari ainsi que de ma belle-famille. Comme le dit cette sagesse africaine, « qui s’instruit sans agir laboure sans semer ».
Conséquences du mariage précoce
Initialement, je devais être ménagère comme les autres camarades restées au village. La plupart de ces camarades sont victimes de grossesses non désirées, de maladies sexuellement transmissibles, d’infidélité. En plus, leurs maris donnent rarement de l’argent pour leurs besoins quotidiens. De ce fait, elles se voient obligées de se rabattre sur leurs parents pour assurer ces besoins. Ces mêmes femmes n’ont aucune aptitude, aucun talent développé pour se prendre en charge. Cela explique le taux très élevé de pauvreté.
Par ailleurs, elles ont une éducation différente de celles qui ont eu la chance d’étudier, à savoir le comportement social, le savoir-parler, le savoir-vivre. Tout cela leur fait défaut, car n’ayant suivi aucune formation allant dans ce sens, et limite leur possibilité de succès socioprofessionnel.
À tous les parents pratiquant le mariage forcé, je lance un vibrant appel : le monde évolue et il faut évoluer avec. Le monde se modernise continuellement. Les filles ont droit à l’éducation, car même pour prendre soin des parents, l’instruction est nécessaire. Cette instruction inclut l’éducation coranique aussi.
Que les parents comprennent qu’aller à l’école n’est pas synonyme de déperdition culturelle et religieuse. L’école, qu’elle soit moderne ou coranique, a toujours des avantages importants dans la vie de l’individu en général, et de la femme en particulier. Les bienfaits de l’école ne se résument pas seulement au gain financier, mais bien au-delà. J’ai eu la chance de connaitre cela et de pouvoir aider mon foyer, ma famille, ma communauté, mon pays et moi-même. J’espère inspirer parents et enfants dans mon milieu et au-delà. »