Le président Senghor l’avait fait dans les années 1960, au sortir d’une crise qui l’opposait à Mamadou Dia, président du Conseil (Premier ministre d’alors) et Abdou Diouf s’y s’est essayé dans les années 1980. Les deux cas étaient liés à des raisons purement politiques, voire politiciennes. Alors que, pour Macky Sall, il s’agit d’impulser une réforme profonde de la gouvernance qui passe par la réduction des intervenants dans la chaîne administrative, pour lus d’efficacité de l’action publique, explique-t-il.
Au pouvoir depuis 2012, Macky Sall est réélu dès le premier tour du scrutin présidentiel du 24 février 2019, avec un score éclatant de 58,26 % des voix. Mais au-delà de cette victoire, le président sénégalais a décrypté des messages, beaucoup de messages, d’abord lors de la campagne électorale et ensuite au cours du scrutin lui-même. Il en résulte que les attentes des Sénégalais pour son second mandat sont très fortes. Sans perdre de temps, Macky Sall commence à prendre des mesures empreintes de rupture et qui surprennent tout le monde.
En effet, aussitôt réélu, il a vidé tout son Cabinet, jugé pléthorique et a chassé du gouvernement des ministres qui se croyaient jusque-là intouchables, parce que proches du président de la République.
Devant ses nouveaux ministres, il a exigé une “réduction du train de vie de l’Etat”, en mettant l’accent sur une meilleure réglementation des dépenses d’eau, d’électricité et de téléphone dans les administrations, en plus d’une stricte rigueur dans l’affectation du “parc des véhicules administratifs”.
Il en est ainsi aussi de la suppression du poste de Premier ministre, première mesure annoncée par le président de la République du Sénégal, Macky Sall, après sa prestation de serment le 6 avril dernier. Il a surpris tout le monde. En effet, il n’en avait pas fait cas auparavant, même lors de la campagne électorale. Il s’en est expliqué par la suite devant les parlementaires de la Majorité pour préparer le terrain car pour réaliser cette ambition, le texte portant révision de la constitution doit être approuvé par l’Assemblée nationale. Le projet a été déjà approuvé par le Conseil des ministres en sa session de mercredi dernier.
“A plusieurs reprises, j’ai eu besoin urgemment d’un dossier et lorsque je demandais au Premier ministre, il répondait que c’était avec un ministre… ”
Le chef de l’Etat sénégalais donne ainsi le ton à son peuple, à qui il a promis de vastes chantiers de réformes, notamment pour accélérer les transformations de l’économie sénégalaise. Ce qui nécessite l’élimination de “goulets d’étranglement” dans la gestion des affaires du pays car Macky Sall veut désormais être “directement au contact avec les niveaux administratifs”.
“A plusieurs reprises, j’ai eu besoin urgemment d’un dossier et lorsque je demandais au Premier ministre, il répondait que c’était avec un ministre et ce dernier prétendait que c’était avec un directeur national, lequel se rabattait sur un chef de service… “ a dit le président du Sénégal aux députés de la Majorité qu’il rencontrait en début de semaine. C’est donc fort de ce constat, parmi tant d’autres, qu’il a voulu raccourcir la chaîne administrative, dans le cadre de la politique d’efficacité qu’il entend impulser.
Mais pour supprimer le poste de Premier ministre, il faut procéder à une révision constitutionnelle qui touche à plusieurs articles de la constitution. On s’étonne de voir que les techniciens en la matière, sous la coupe du constitutionnaliste très proche du chef de l’Etat, Ismaïla Madior Fall, n’ont pas chômé. Aussitôt mis à l’œuvre par le président Macky Sall, ils ont produit en quelques jours le texte de loi à présenter à l’Assemblée nationale pour pouvoir procéder à la révision constitutionnelle. Texte qui a d’ailleurs été validé par le nouveau gouvernement, en sa session du conseil des ministres de mercredi passé.
Rappelons que le Sénégal n’en est pas à sa première expérience de suppression du poste de Premier ministre car le président Léopold Sédar Senghor l’avait fait au sortir de la crise de 1962 qui l’opposait à Mamadou Dia, le président du Conseil, poste équivalent à celui de Premier ministre. Le bicéphalisme entretenu par les deux hommes était passé par-là et il fallait, pour le président Senghor, faire une prise en main de la situation qu’il a totalement maîtrisée, en renforçant ses pouvoirs de président de la République, avant de faire revenir le poste de Premier ministre.
Quant à Abdou Diouf, il l’avait fait pour mettre fin à la guéguerre entre dauphins, entretenue par des caciques de sa formation politique, le Parti socialiste. A l’image du président Diouf qui occupait auparavant le poste de Premier ministre, ils voyaient en cette responsabilité le chemin royal pour accéder à la Présidence de la République. A ce sujet, le duel Moustapha Niasse-Djibo Leïty Kâ est resté gravé dans la mémoire collective du Sénégal.
Senghor et Abdou Diouf sont tous les deux revenus, peu de temps après, sur cette décision de suppression du poste de Premier ministre. On peut dire que c’étaient des mesures conjoncturelles. Alors que le président Macky Sall place sa décision dans le cadre d’une réforme profonde qui se veut alors structurelle. Attendons maintenant de voir ce que cela produira comme résultat car l’avenir reste le meilleur juge.
Amadou Bamba NIANG
Source: Aujourd’hui-Mali