En complicité avec des hauts cadres de banques, une race de commerçants et hommes d’affaires se sont spécialisés dans le pillage des établissements bancaires en recourant aux titres fonciers. De nombreuses banques sont sous le poids des titres fonciers.
Dans une contribution publiée sur le site d’investigation ‘’ mAliLink’’, Fabou Kanté, socio-anthropologue définit la spéculation foncière comme « le fait de surévaluer, dans le cadre d’une transaction, la valeur vénale d’une parcelle dans l’unique but de faire des profits mercantiles ». Le foncier est devenu depuis quelques années un moyen d’enrichissement rapide et sûr pour une catégorie de citoyens. Ils sont hauts fonctionnaires de l’administration, des élus, des commerçants, des hommes d’affaires, des magistrats, des hauts gradés des forces armées de défense et de sécurité, des cadres de banques et même des simples particuliers. Conscient de cette situation, le gouvernement de la République du Mali a organisé en 2009 les états généraux sur le foncier dont les conclusions n’ont pas permis de moraliser un secteur gangrené au fil du temps par des pratiques mafieuses.
De 2013 à 2015, le seul cercle de Kati a créé plus de 50 000 titres fonciers. Ce qui équivaut au double des titres établis de l’indépendance à 2012. En tout et pour tout, il existait que 24 000 sur l’ensemble du territoire national.
Entre 6,1% et 13% de crédits bancaires aux affaires immobilières et services
Le cancer foncier qui détruit la société malienne a-t-il atteint le système bancaire ? La question suscite une certaine frilosité au niveau des dirigeants des banques. Dans une présentation sur le thème ‘’financement bancaire des entreprises au Mali : Défis et opportunités’’, le 17 mars 2017 au village artisanal de Ségou lors de la 7ème édition des journées de concertations entre l’association professionnelle des banques et établissements financiers du Mali et la Presse privée, le directeur général de la Banque malienne de solidarité, Babali Ba, a donné quelques détails sur la répartition sectorielle des crédits octroyés par les établissements bancaires au cours des cinq (5) dernières années. « Les crédits octroyés aux entreprises maliennes sont passés de 1 175 milliards en 2012 à 2 205 milliards en fin 2016, soit une hausse annuelle moyenne de 22% contre une progression annuelle moyenne du PIB estimée autour de 5,5% », a-t-il souligné. Les crédits à court terme représentent près de 60% de l’ensemble des crédits accordés soit une augmentation de 81% sur la période 2012-2016. « S’agissant des crédits à moyen terme, leur hausse de 111% sur la période susvisée est imputable aux crédits d’investissement mis en place en faveur des clients évoluant dans les secteurs de l’agro-industrie, des bâtiments et travaux publics et de l’industrie des boissons. Quand à la hausse des crédits à long terme (93% en 5 ans), elle est liée essentiellement aux crédits d’investissement mis en place pour l’installation d’une usine de ciment au Mali », a déclaré le Dg de la Bms.
Dans la répartition sectorielle des crédits, on se rend compte que le secteur d’activités suffisamment financé est le commerce général avec 41 à 45%. L’industrie manufacturière, l’électricité, l’eau, le gaz, le transport, les entrepôts et les télécommunications, les assurances, les affaires immobilières et services sont des secteurs moyennement financés avec un taux qui varie entre 6,1% et 13%. Les secteurs sous-financés sont l’agriculture, la sylviculture, la pêche et les industries extractives.
1534 milliards décaissés au profit des spéculateurs fonciers en 2015
Au cours d’une réunion publique à Kati avec les autorités locales, en octobre 2016, le ministre des domaines de l’Etat et des affaires foncières, Me Mohamed Ali Bathily, a levé le voile sur le décaissement opéré par des spéculateurs fonciers au niveau des banques maliennes. Les chiffres avancés par le ministre Bathily font froid dans le dos. De l’intervention du chef du département en charge des questions domaniales, on retient que les titres fonciers déposés en 2015 auprès des banques sous forme d’hypothèque auraient permis le décaissement d’environ 1534 milliards de FCFA au profit des spéculateurs fonciers. Une petite comparaison permet de comprendre que l’écart n’est pas très grand entre ce montant décaissé par les spéculateurs fonciers et le budget national du Mali en 2015, chiffré à 1692,761 milliards en 2015.
« A l’heure actuelle, les banques ont dans leur portefeuille 29% de sureté foncière alors que la tolérance fixée par la Commission bancaire est de 17%. C’est pourquoi à un moment, la BDM n’avait plus d’argent, mais des sûretés foncières. Par ailleurs, la BMS a récemment absorbé la BHM parce que cette dernière n’avait plus d’argent, mais des suretés foncières. Elle ne pouvait plus faire face au paiement de l’argent que les clients avaient déposé chez elle. Le risque est que la terre ouvre les portes aux spéculateurs sur l’argent des épargnants », confiait le ministre Mohamed Ali Bathily dans une interview accordée le 3 mai 2016 au quotidien national ‘’L’Essor’’.
Stratégie des spéculateurs fonciers et complicité des cadres de banques
Quelle est donc la stratégie des spéculateurs fonciers pour obtenir rapidement des prêts sur la base des titres fonciers souvent douteux ? Se cachant souvent derrière une société immobilière, le commerçant ou l’homme d’affaires qui veut obtenir un crédit auprès d’une banque achète le service d’un expert pour surévaluer la valeur du terrain. Un demi-hectare se trouvant à la périphérie du district de Bamako peut coûter 600 à 700 millions FCFA. Le document de l’expert est introduit dans le circuit bancaire. Il se trouve que le demandeur du prêt a déjà noué des complicités au sein de la banque qui l’aide à faire passer le dossier comme une lettre à la poste en fermant les yeux sur les irrégularités. Si le montant du prêt tourne autour de 400 millions de FCFA, le spéculateur foncier distribue à ses complices une enveloppe de 100 millions et garde le reste des 300 millions.
Les banques sont dans le piège de nombreux prédateurs fonciers qui n’arrivent pas à rembourser les prêts. Dans ce cas, se pose le problème d’insolvabilité des dépositaires de titres. Ce qui amène les banques à décider de rentrer en possession de la somme prêtée. Ainsi une longue bataille judiciaire commence au niveau des tribunaux qui autorise la saisie puis la vente des terrains, objet de garanties bancaires. Régulièrement, des banques publient des appels d’offres dans les journaux pour la vente d’une série de maisons et de terrains vides.
La Bank of Africa, la Banque internationale pour le Mali (BIM Attijariwafa), la Banque de Développement du Mali (BDM-sa), l’ex-Banque de l’Habitat du Mali passée sous la bannière de la Banque malienne de Solidarité, Ecobank procèdent par des ventes de terrains hypothéqués. En février 2017, la Banque internationale pour le Mali (BIM Attijariwafa) a lancé un avis de quatre lots de vente d’immeubles.
La Banque Malienne de Solidarité a publié dans les journaux, la semaine dernière, un message informant le public de la mise en vente d’une partie de son patrimoine foncier à des conditions avantageuses. La valeur de ces immeubles hors exploitation est évaluée à une dizaine de milliards de FCFA. Dans la zone de Sirakoro Meguetana, la Bms a mis en vente 46 villas pour 1 180 632 780 FCFA en raison de 25 665 930 FCFA par villa.
A ce rythme, la spéculation foncière pourra avoir des conséquences dramatiques sur le fonctionnement des établissements bancaires qui risquent de se retrouver dans une situation d’extrême difficulté de liquidité, pouvant les empêcher de faire face à la demande de leur clientèle avec des crises de liquidité et de confiance. L’ex Banque de l’Habitat du Mali (Bhm) qui s’est fondue dans la Banque malienne de Solidarité (Bms) au cours d’une opération de fusion absorption en est une illustration parfaite. Il fut un moment le manque de liquidité au niveau des caisses de la Bhm avaient été à l’origine d’une grave crise de confiance entre l’établissement et sa clientèle.
Alamako Sokona Coulibaly
mali24 avec L’Investigateur