Le Mali dispose d’atouts indéniables pour assurer son autosuffisance alimentaire. Les nombreuses potentialités agricoles et agropastorales, la diversité et la richesse des zones de production, l’existence de cadres stratégiques et réglementaires sont autant de facteurs pour arriver à cette souveraineté. Mais l’objectif semble encore loin tant les défis à relever sont nombreux. Aux aléas climatiques récurrents s’ajoutent les multiples crises que le pays traverse et l’insuffisance en investissements.
Le pays possède pourtant de grandes potentialités en terres agricoles et agropastorales, selon le Fonds des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO). Environ 43,7 millions d’hectares de terres exploitables, tous secteurs confondus, un potentiel irrigable estimé à plus de 2,2 millions d’hectares, l’un des cheptels les plus importants de la sous-région (12 474 462 bovins, 20 142 677 ovins, 27 810 553 caprins, 595 869 équins, 1 167 223 asins, 1 265 915 camelins, 87 216 porcins et 52 098 451 volailles, selon le rapport 2020 de la Direction nationale des Productions et industries animales), et également un domaine forestier qui couvre près de 100 millions d’hectares avec une faune importante et diversifiée.
« Sur le plan économique, l’État fait la promotion des Zones économiques spéciales pour l’Agriculture (Zone Office du Niger, Zone Office Riz Ségou, ADRS – Agence de développement rural de la vallée du fleuve Sénégal, Zone Office du Périmètre Irrigué de Baguinéda). D’importantes infrastructures structurantes de désenclavement sont réalisées pour la fourniture d’énergie et des services sociaux de base », ajoute l’organisation.
Concernant la gouvernance, la FAO cite plusieurs cadres stratégiques et politiques, parmi lesquels la Loi d’orientation agricole (LOA), la Politique de développement agricole (PDA), le Plan national d’investissement dans le secteur agricole (PNISA 2015 – 2025), la Politique nationale de Sécurité alimentaire et nutritionnelle (PolNSAN), la Politique foncière agricole du Mali (PFA), les Priorités résilience pays (PRP) ou encore la Politique nationale de Protection de l’environnement. Pour mettre en œuvre ces lois, politiques, plans et cadres, un dispositif national de sécurité alimentaire et nutritionnelle a été mis en place et comprend entre autres le Commissariat à la Sécurité alimentaire (CSA), l’Observatoire du Marché agricole (OMA), l’Office des produits agricoles (OPAM), etc.
Quelles stratégies ?
C’est la Conférence au sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des pays du CILSS, tenue en novembre 2000 à Bamako suite au deuxième Forum des Sociétés sahéliennes, qui a adopté « le Cadre stratégique de Sécurité alimentaire dans une perspective de lutte contre la pauvreté au Sahel, de manière à assurer les conditions d’une sécurité alimentaire durable, structurelle et régionalement intégrée, et à renforcer la prévention et la gestion des crises alimentaires ». Ce qui explique que l’existence d’une Stratégie nationale passe par son intégration à une stratégie sous-régionale. Une question d’autant plus cruciale que les défis du Mali en la matière sont aussi ceux de ses voisins. En effet, la complémentarité des économies de la région constitue un facteur important pour l’atteinte des objectifs de la sécurité alimentaire.
Il ressort de l’étude sur la Stratégie nationale de sécurité alimentaire du Mali que l’option de base était la réalisation de l’autosuffisance alimentaire, définie comme la capacité d’un pays « à fournir à la population en général, à chaque individu et à chaque famille en particulier, d’une part une alimentation suffisante (…), par la production locale, en exploitant le mieux possible son potentiel agricole et en mobilisant les ressources humaines, et, d’autre part, un niveau nutritionnel suffisant, garantissant à la population une ration équilibrée ». Mais l’échec des stratégies nationales d’autosuffisance alimentaire a donné lieu à « une vision plus libérale », donnant plus de place au marché et aux opérateurs privés. L’intervention de l’État se limitant à la gestion d’un Stock national de sécurité alimentaire, à la gestion de l’aide alimentaire et à la promotion des dispositifs d’information sur le marché.
Obstacles
Il en résulte donc de nombreux obstacles à l’atteinte de la souveraineté alimentaire. Si leur existence constitue un atout certain, « la situation très diverse selon les zones de production constitue l’un des obstacles à l’atteinte de cette souveraineté », explique le Dr Abdoulaye Traoré, économiste et coach en management. De la Zone Office du Niger à l’OHVN, en passant par la Zone Office Riz Ségou. Alors que dans certaines exploitations l’on peut obtenir de 6 à 8 tonnes à l’hectare, dans d’autres la production ne dépasse pas 1,4 à 1,5 tonne. Il faut donc chercher à niveler les rendements dans les différentes zones d’exploitation, suggère le Dr Traoré. Il faut aussi noter qu’il « y a une migration de la culture du mil vers la culture du maïs, parce que c’est seulement dans les stations de recherche que l’on peut atteindre plus d’une tonne de rendement pour le mil. Les paysans, individuellement, dépassant difficilement 800 à 900 kilogrammes à l’hectare ».
Alors qu’avec les variétés de maïs existant actuellement on peut atteindre 3 à 6 tonnes. Mais les habitudes alimentaires sont telles que le mil est plus consommé par les populations. Le maïs étant principalement consommé à Sikasso et dans les zones soudaniennes, alors que dans le Centre et le Sahel occidental on prise plutôt le mil et le sorgho.
Il faut donc faire évoluer les habitudes alimentaires en fonction des niveaux de production et passer d’une agriculture extensive à une intensive, parce que souvent les capacités techniques pour produire sur des espaces de 30 à 50 hectares n’existent pas pour les producteurs, ajoute le Dr Traoré. Alors que 5 hectares peuvent constituer un niveau acceptable de production. En outre, les problèmes des sols pauvres et dégradés sont accentués sur les surfaces étendues.
Défis
Selon l’étude sur la Stratégie nationale de sécurité alimentaire, les enjeux et les défis se résument à comment nourrir une population en forte croissance et de plus en plus urbaine. Assurer la sécurité alimentaire revient à assurer une croissance économique et à augmenter les revenus des populations. Et, pour une population majoritairement jeune, d’importants efforts sont nécessaires « en matière d’éducation, de santé et de nutrition pour permettre au pays de disposer de ressources humaines de qualité, condition sine qua non pour un développement économique, social et culturel garantissant une véritable sécurité alimentaire ».
Les aléas climatiques récurrents et la crise et l’insécurité qui sévissent au Mali constituent autant d’obstacles à l’atteinte de la souveraineté alimentaire, estime la FAO. « La mobilisation de ressources insuffisantes, l’étroitesse du cadre partenarial, le faible niveau d’investissement des acteurs privés, le rétrécissement de la croissance du PIB à 2,1% en 2022 et l’augmentation des prix à la consommation des produits de première nécessité (huile, farine de blé, sucre, lait en poudre, engrais, etc.), à la suite de facteurs exogènes comme les sanctions des institutions sous-régionales (levées le 3 juillet 2022, NDRL) et le conflit entre la Russie et l’Ukraine », constituent aussi des « goulots d’étranglement ».
La croissance de la population urbaine impactera la demande en certaines céréales, telles que le riz, et en produits agricoles transformés. Un changement qui constitue, au regard de la sécurité alimentaire et de la lutte contre la pauvreté, à la fois une contrainte et un défi, selon l’étude. En effet, la population rurale actuelle, qui représente près de 80% de la population totale, a d’énormes difficultés à satisfaire les besoins alimentaires. Avec la diminution de cette proportion, on peut penser que ces difficultés vont augmenter. Il s’agira donc de relever le défi de la production par l’amélioration de la productivité : intensification agricole (mécanisation et accès aux moyens de production, notamment), maîtrise de l’eau, utilisation des nouvelles technologies, etc.)
Il faudra aussi passer des exploitations agricoles aux entreprises agricoles, suggère le Dr Traoré. Parce qu’il faut arrêter de produire uniquement pour consommer, l’essentiel des productions des exploitations actuelles étant dédié à la consommation. Chaque individu consommant environ 200 kg de céréales par an, selon les statistiques de l’Institut d’économie rurale (IER), lorsque l’on prélève cette quantité, peu de stock reste après la consommation.
Source : Journal du Mali