Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne

Sommet de Paris (1ère partie) : un pari au sommet !

Sauver l’Afrique d’un péril économique certain ! Quelle sainte formule ! Voilà bien un pari audacieux que s’est fixé Paris en initiant le sommet sur le financement des économies africaines ce 18 mai en présence d’un aéropage de personnalités politiques et économiques, dont une vingtaine de chefs d’État et de gouvernement africains. À tout le moins, il y a de quoi attendrir l’âme sensible des Africains (surtout francophones), abonnés à l’émotion et à la passion, auxquels l’ancien colonisateur a généreusement ajouté à titre de legs, le romantisme et le sentimentalisme. À s’y méprendre, on a l’impression d’entendre Raoul Follereau, surnommé affectueusement « le vagabond de la charité », nous entretenir d’outre-tombe de sa nouvelle mission.

De quoi s’agit-il ? Les experts estiment les besoins de financement de l’Afrique entre 250 et 425 milliards de dollars sur le quinquennat (2021-2025). Or, l’Afrique a enregistré en 2020 sa pire récession en l’espace d’un demi-siècle (-2,1%), même si une reprise est attendue dès cette année avec un taux de croissance de 3,4 %. Selon les experts de la BAD, 39 millions d’Africains pourraient basculer dans l’extrême pauvreté en 2021. Voilà en résumé le diagnostic. Pour la prescription, Paris n’est pas passé par quatre chemins.

Officiellement, mobiliser la communauté des bailleurs de fonds pour irriguer, le plus tôt possible, les canaux des économies africaines, asséchés par les conséquences dévastatrices des crises multiformes qui assaillent le continent depuis de très longues années et pour lesquelles la Covid-19 n’a été, en vérité, qu’un accélérateur de tendances. Montant présumé de l’addition : 100 milliards de dollars. Mais à y regarder de très près, il y a de quoi s’interroger sur le bienfondé réel de cette soudaine et pressante empathie de la communauté internationale à l’égard du continent, rondement menée par la France.

Combien de millions d’Africains ont eu à sombrer dans la précarité, en perdant leur travail et avec leur dignité, du fait des conséquences ruineuses et désastreuses de l’application zen ou zélée -qu’importe d’ailleurs lequel des deux- des politiques d’austérité imposées par les institutions financières internationales et cautionnées par les pays occidentaux ? Quatre décennies de grande souffrance, de diète financière et d’agonie sociale. En vérité, derrière ce sommet économique de Paris aux accents très politiques, de la conquête du Soudan à l’apaisement du différend avec le Rwanda, la France joue une carte stratégique de taille.
Elle veut reprendre en main le leadership sur le continent, en repositionnant sa diplomatie et ses entreprises, en perte de vitesse, au cœur de l’Afrique nouvelle.

ENJEU GÉOPOLITIQUE- L’Afrique est devenue un crève-cœur. Assis sur des réserves immenses de minerais, les pieds dans l’eau, avec «une bouche qui dégage une haleine de pétrole», les Africains continuent à tendre la sébile pour obtenir l’obole. Leurs gamelles ont fait plusieurs fois le tour du monde. L’escale parisienne n’est qu’une des étapes de cette course effrénée du continent à l’aide internationale. Pourtant, malgré cette débauche exceptionnelle d’énergie, les Africains vivent dans une précarité insoutenable ; leur continent tient fermement la corde de toutes les formes possibles d’indigence. En plein 21e siècle, des millions d’Africains naissent et disparaissent dans l’indifférence totale.

Dans cette immense partie du globe, à mille lieues de la prospérité mondiale, la faim tue plus que le Sida, le paludisme et la tuberculose réunis. Toutes les 10 secondes, un enfant africain meurt de faim, toutes les 10 minutes 15 Africains sont tués par le sida, chaque 10 heures, 450 Africains décèdent de paludisme. Tristes records ! L’Afrique subsaharienne concentre plus de la moitié (56%) des pauvres de la planète.

Selon l’IDH 2018 du Pnud, on retrouve dans la dernière catégorie «Développement humain faible», 36 États dont 32 sont africains. Pire, les 12 des pays les plus pauvres du monde se situent en Afrique. Et ce n’est pas tout. Sur les 47 PMA (pays les moins avancés), 33 sont africains. Sur la liste des 39 pays éligibles à l’initiative PPTE (Pays pauvres très endettés) à fin juin 2015, les trois quarts sont situés en Afrique subsaharienne.

La misère, la famine, les épidémies, l’insécurité, et depuis peu la Covid-19 sont devenues des produits d’appel pour certains dirigeants africains qui n’hésitent pas à arpenter, avec amis, femmes et enfants, les grandes allées mondaines des villes aux mille et une lumières ; à se pavaner dans les palaces et hôtels de luxe ; à faire du shopping dans les avenues chic et choc ; à apprécier le thé savoureux, le café langoureux et les liqueurs généreux dans les salons feutrés des palais et des palaces ; pour au final participer aux sommets, forums, conférences, tables rondes avec sur le cartable bien en évidence «notre pays est très pauvre et très endetté», et sur la gibecière fluorescente «Aidez-nous svp, 5 francs n’est pas peu, 5.000 francs n’est pas trop !» Et la communauté internationale contribue largement – si elle n’en est pas l’initiatrice – à la perpétuation de ce système immoral et amoral, à travers la création de multitudes d’instruments financiers, de projets et de programmes.

Le budget de fonctionnement de beaucoup de ces projets (coût des expatriés et des prestataires, achat et entretien de véhicules, déplacements et missions, etc.) dépasse largement l’apport réel aux populations censées être les bénéficiaires de l’aide, et dont certains des responsables se payent même le luxe de détourner une bonne partie du peu qui leur reste dans l’assiette.

En avril 2020, dans le cadre des mesures d’allégement de la dette en lien avec la crise sanitaire, la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Kristalina Georguieva, a fait une déclaration surprenante : «Nos pays membres les plus pauvres et les plus vulnérables recevront ainsi des dons qui couvriront leurs obligations envers le FMI pour une phase initiale de six mois, ce qui leur permettra de consacrer une plus grande partie de leurs faibles ressources financières aux soins médicaux et autres efforts de secours d’urgence vitale».
Vous avez bien lu ! Le FMI a octroyé des dons aux pays pauvres d’Afrique pour que ceux-ci puissent s’acquitter de leurs dettes vis-à-vis de l’institution internationale. Quelle trouvaille géniale ! Tout est mis en œuvre pour que la machine du service de la dette ne s’arrête pas.

LES LIMITES DE L’AIDE- L’Afrique ne peut pas continuer à tendre la main ad vitam aeternam. La majorité des économistes sont d’avis qu’aucun modèle de développement crédible ne peut être impulsé de l’extérieur, encore moins reposer sur le financement des capitaux étrangers, sauf à secréter l’assistanat, la pauvreté et la dépendance du pays concerné. En vérité, de tout temps et en tous lieux, l’aide étrangère a toujours montré ses limites. Elle est imprévisible et variable. Elle n’a jamais développé un pays. D’ailleurs, si elle le pouvait, ça se saurait. Au contraire, elle crée une accoutumance poussant son bénéficiaire à la génuflexion éternelle.

Et Haïti, le premier pays noir indépendant dans le monde, aurait été la forme la plus aboutie de ce modèle. Ce pays a bénéficié de l’équivalent de 120 plans Marshall en trois décennies sans jamais réussir à s’extirper de la grande pauvreté ! Bien au contraire, le niveau de vie des Haïtiens a décru de 20% entre 1960 et 2007. De l’aveu de l’ancien Premier ministre haïtien, Michèle Pierre-Louis, de passage à Montréal le 9 mai 2012, «les effets de l’aide internationale en Haïti ne sont visibles qu’au microscope».

En octobre 2015, le directeur adjoint du département Afrique au FMI, Roger Nord, s’exprimant à la tribune de l’OCDE, déclarait : «L’histoire économique nous a appris que le développement économique repose finalement sur la création et le développement des sources intérieures de financement». Deux mois plus tard, son représentant au Mali, Anton Op de Beke reprenait, presque mot pour mot, le même constat : «L’histoire économique nous a appris que le développement d’un pays repose finalement sur la mobilisation des ressources financières à l’intérieur».
Et les deux fonctionnaires internationaux avaient raison de stigmatiser les limites de l’aide étrangère, même s’ils semblent, malheureusement, privilégier la fiscalité comme principal levier de mobilisation des ressources internes.

Nous ne dénigrons pas tout. Tout n’est certainement pas noir dans l’aide étrangère. Par-ci par-là, il y a quelques réussites sur le continent africain en lien avec la générosité internationale et avec la bonne utilisation qui en est faite par les bénéficiaires locaux. Mais, admettons-le, il y a aussi de la malice et de la ruse de la part de certains « bienfaiteurs » qui n’hésitent pas à dissimuler, à travers l’appât de l’assistance technique, des subventions, des dons, des cadeaux et autres aides, l’hameçon destiné à attraper et à maintenir les pays africains dans les liens de la dépendance.

La politique des «petits pas», les «petites victoires» à la Pyrrhus, les lustrages et les replâtrages, les artifices et les subterfuges, les malices et les manigances, les loupes et les entourloupes, la gestion d’un temps de présence, les effets d’annonce ont toujours montré leurs limites. Nulle part, ces pratiques court-termistes n’ont insufflé une dynamique irréversible de progrès. D’ailleurs, si elles le pouvaient, ça se saurait.
Au contraire, elles continuent à nous maintenir dans une forme de dépendance et de repentance permanentes. Il ne faut donc pas être complaisant : les remèdes proposés ne sont pas à la hauteur des enjeux. Ni en cadence ni en intensité, encore moins en organisation et méthode.

Doit-on accepter la perpétuation de ce modèle économique et social, bancal et létal, proposé ou imposé – qu’importe d’ailleurs lequel des deux – qui a confisqué le passé du continent, qui intoxique son présent et qui hypothèque dangereusement son avenir ? Comment l’Afrique est-elle arrivée à tout privatiser, à tout sous-traiter, à tout externaliser, sa sécurité, sa santé, son économie, son système bancaire, sa monnaie, son espace aérien, sa télécommunication, et même (s’il vous plait) sa pensée ? M’enfin ! Que nous arrive-t-il ? Creuser le sol tout en escomptant atteindre la lune ? Élever des poussins tout en espérant qu’ils vont devenir des aigles ? Poursuivre la génuflexion tout en récusant l’annexion ? Continuer de traîner les pieds pour mieux tendre la main ? L’Afrique peut-elle descendre plus bas dans l’échelle de l’humiliation ?

Comment notre continent est-il devenu la risée de la planète au chevet duquel tous les «toubibs» du monde entier, sachants et non sachants, accourent pour prodiguer soins et foin ? Comme le dirait l’autre, l’Afrique peut-elle continuer à être le «ballon» qui fait le tour entre les «clubs» du monde ?

Après une éternité de domination extérieure, les pays africains sont supposés être des États matures. Ils ont au compteur 12.000 ans d’histoire, ont subi plus de quatre siècles d’esclavage et de colonisation, justifient d’au moins 160 ans d’expérience bancaire, revendiquent plus de six décennies d’indépendance politique et souffrent de près de quarante ans de cures d’austérité imposées, superposées et transposées dans un modèle économique ultralibéral, bancal, martial et, pour finir, létal.

Si avec tout ce background, ils ne sont pas parvenus à acquérir la compétence nécessaire pour trouver des solutions, intra-muros à leurs problèmes existentiels, alors il faut désespérer, envisager un «Afrexit», et les laisser définitivement sous la tutelle des «maîtres du monde», ceux au moins pour lequel la notion de «compétition» a un sens et un contenu.

Cheickna Bounajim Cissé,
L’émergentier

Source: Essor
Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne
Ecoutez les radios du Mali sur vos mobiles et tablettes
ORTM en direct Finance