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Sœur Giovanna, juge au tribunal interdiocésain de première instance de Bamako : « Nous jugeons 3 types de causes »

Qu’est-ce que le tribunal ecclésiastique ? Qui peut le saisir ? Qu’elles sont les affaires qu’il peut connaître ? Sœur Giovanna Maria Colombo, de l’Institut « Communauté Loyola », Juge Au Tribunal Interdiocésain de Première instance de Bamako, nous donne les explications.

 Mali-Tribune : Qu’est-ce que le Tribunal ecclésiastique ?

Sœur Giovanna Maria Colombo : Le principe d’une justice interne à l’Église remonte à Saint Paul, qui recommandait aux chrétiens de Corinthe de ne pas soumettre leurs litiges à des personnes externes à la communauté (cfr. 1Cor 6,1-6). L’Église a toujours considéré le pouvoir judiciaire comme faisant partie du pouvoir sacré que le Christ a laissé à ses successeurs pour accomplir la mission qu’Il leur a confiée. L’Évêque dans son diocèse et le Pape dans l’Église universelle jouissent de ce pouvoir, qu’ils exercent normalement à travers des personnes déléguées, à savoir les juges. Le Tribunal ecclésiastique est donc l’institution qui est chargée d’administrer la justice au niveau ecclésial au nom de l’Évêque ou du Pape.

La structure des Tribunaux dans l’Église, par conséquence, se situe à deux niveaux, local et universel. Dans chaque diocèse doit exister un Tribunal territorial de première instance, à savoir un Tribunal diocésain, sauf si pour des motifs particuliers on juge plus opportun de créer un Tribunal interdiocésain unique pour plusieurs diocèses, comme dans le cas du Mali. Dans les diocèses, ou sur le territoire de la Conférence des Évêques, il est nécessaire de constituer aussi un Tribunal territorial de seconde instance, pour permettre aux fidèles de faire appel contre les décisions du Tribunal inférieur. Si cela n’est pas possible, le Siège Apostolique attribue la compétence de juger en seconde instance à un Tribunal en dehors du territoire.

Au niveau universel, par contre, il y a trois Tribunaux dits apostoliques :

a. La Rote Romaine, qui est le tribunal ordinaire constitué par le Pontife Romain pour recevoir les dossiers de toute l’Église, en première instance pour les causes pour lesquelles il est prévu par le droit, en deuxième et ultériere instance pour tous ceux qui le demandent librement ;

b. le Tribunal Suprême de la Signature Apostolique, dont les juges sont seulement des Cardinaux, qui veille sur l’administration de la justice dans l’Église et qui juge les causes administratives ;

c. la Pénitencerie apostolique, qui est un tribunal pour le for interne.Il faut ajouter que la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a une section judiciaire pour les délits les plus graves, qui lui sont réservés par la loi canonique.

Le Tribunal interdiocésain de première instance de Bamako a été constitué en 1990 par la Conférence épiscopale pour tous les diocèses du Mali. L’un des Évêques ‒ en la personne de Mgr Augustin Traoré ‒ en est le Modérateur. Son Tribunal d’appel, par décision du Suprême Tribunal de la Signature Apostolique sur demande de la Conférence épiscopale, est actuellement l’Officialité de Rennes (France).

Mali-Tribune : Qui peut vous saisir ?

Sœur G. M. C. : Tout fidèle catholique, naturellement, mais aussi toute personne, physique ou juridique, dont les droits ont été lésés, si elle veut les poursuivre ou revendiquer devant l’Église, ou bien si elle nécessite d’une déclaration sur une situation juridique qui la concerne.

Mali-Tribune : Quels sont les faits que vous pouvez juger ?

Sœur G. M. C. : Le Code de Droit Canonique de 1983 précise que l’Église peut juger « des causes qui regardent les choses spirituelles et celles qui leur sont connexes ; de la violation des lois ecclésiastiques et de tous les actes qui ont un caractère de péché, en ce qui concerne la détermination de la faute et l’infliction de peines ecclésiastiques » (can. 1401).

Concrètement un Tribunal ordinaire juge trois types de causes :

  1. les litiges entre personnes physiques et/ou juridiques ecclésiastiques concernant des biens ecclésiastiques ;
  2. les situations personnelles liées aux sacrements du mariage et de l’ordre sacré ;
  3. les causes pénales, quand il y a violation des lois ecclésiastiques, en vue d’infliger une peine (sauf pour les causes directement réservées au Saint Siège dans les délits les plus graves, dont la compétence revient à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi).

Il faut ajouter que la Pénitencerie apostolique est l’unique tribunal dans l’Église compétent pour les causes du for interne, à savoir qui touche à la conscience ou au sacrement de la confession, tandis que le Suprême Tribunal de la Signature Apostolique est l’unique tribunal administratif, compétent pour les litiges nés d’un acte de l’autorité de l’Eglise (par exemple, une décision de l’Évêque).

Mali-Tribune : Comment est composé le Tribunal ?

Sœur G. M. C. : la loi prévoit qu’un Tribunal ecclésiastique soit composé par un certain nombre de personnes, qui remplissent des fonctions nécessaires :

  1. le Vicaire judiciaire – qui doit être un prêtre, avec le titre de master ou doctorat en droit canonique – préside l’activité du Tribunal. Actuellement, le Vicaire judiciaire au Mali est l’abbé Jean Baptiste Yébéizé, prêtre du diocèse de Mopti.
  2. Quelques Juges assistent le vicaire judiciaire dans l’étude et la décision des dossiers. Les juges peuvent être prêtres ou laïcs, mais tous doivent avoir le titre de master ou de doctorat en droit canonique. Au Mali, un seul juge est nommé en ma personne.
  3. Le Notaire fait office de greffier et authentifie les actes du procès. Le notaire du Tribunal du Mali est la sœur Rosine Koné, FCIM.
  4. Le Défenseur du lien intervient obligatoirement dans les causes concernant la nullité du mariage ou de l’ordination et, de par sa fonction, il est tenu de présenter tout ce qui peut être raisonnablement avancé contre la nullité.
  5. Le Promoteur de justice intervient quand le bien public est en jeu, comme dans les causes pénales, pour veiller sur la correcte application de la justice de la part des juges.

Au Mali l’abbé Jean Baptiste Diarra, prêtre de l’archidiocèse de Bamako, est en même temps Défenseur du lien et Promoteur de justice du Tribunal.

Quand il est nécessaire, des Auditeurs sont nommés, qui se chargent d’écouter les personnes pour l’instruction de leurs dossiers dans les diocèses où ils habitent.

Un psychologue doit intervenir quand les causes le demandent, comme par exemple dans les cas de nullité de mariage pour des raisons de maladie psychologique. Le psychologue de notre Tribunal est la sœur Ana de Barba, RMI.

 Mali-Tribune : Qui désigne/choisit les membres ?

Sœur G. M. C. : L’autorité qui désigne les membres et les nomme, avec un mandat de 5 ans renouvelable, dépend du type du Tribunal. Au niveau du Tribunal diocésain, c’est l’Évêque diocésain ; pour un Tribunal interdiocésain, c’est l’assemblée des Évêques concernés (ou la Conférence épiscopale, si la compétence du Tribunal s’étend sur le territoire entier de celle-ci) ; au niveau de l’Église universelle, c’est le Pape.

Mali-Tribune : Quelle est la portée de vos décisions ? Elles s’imposent à qui ?

Sœur G. M. C. : Vue la compétence des Tribunaux ecclésiastiques décrite ci-dessus à la question 3, leurs décisions n’ont de la valeur que pour la conscience des fidèles et/ou des personnes intéressées, pour leur vie sacramentelle et leur vie ecclésiale. Elles touchent les droits et les devoirs des personnes physiques ou juridiques exclusivement à l’intérieur de l’Église. L’Église n’a pas une compétence qui s’étend sur les droits et devoirs des personnes en tant que citoyens d’un État.

Cependant, dans certains cas les accords particuliers entre l’Église et un État peuvent prévoir que l’État reconnaisse certaines décisions ecclésiastiques, en leur donnant force juridique à son -niveau : par exemple, il peut reconnaître qu’une sentence ecclésiastique de nullité de mariage pour un certain type de raisons juridiques soit reconnue par ses tribunaux civils comme déclaration de divorce.

Mali-Tribune : Pour juger, vous vous référez à la Bible, aux canons ou aux Constitutions apostoliques ?

Sœur G. M. C. : La Bible est la source de toute la vie de l’Église, donc aussi la source des normes de l’Église, y compris des normes qui concernent la justice dans l’Église, la validité des sacrements et les délits.

Cependant, dans son activité concrète le Tribunal suit les normes du Code de Droit Canonique, en particulier le Livre VII, qui parle des procès. On se réfère aux Constitutions apostoliques quand elles légifèrent sur la matière soumise à l’étude du Tribunal, par exemple celle qui promulgue le nouveau Livre VI du Code concernant les délits et les peines.

Il y a aussi des lois particulières à suivre, dans des cas déterminés, comme celles de la Congrégation de la Doctrine de la Foi pour les causes qui lui sont réservées ou celles pour les procès sur l’ordination sacrée.

Une source de droit pour le travail d’un Tribunal local est aussi la jurisprudence du Tribunal apostolique de la Rote Romaine, car ses décisions donnent des éléments interprétatifs du droit ecclésiastique de grande importance pour tout tribunal inférieur. Le rôle qui est confié à ce Tribunal, en effet, est aussi celui d’aider à la correcte application de la justice dans l’Église universelle à travers ses décisions. Les juges sont choisis parmi des grands spécialistes en droit canonique dans le monde et ils traitent des causes très difficiles venant de toute l’Église.

Mali-Tribune : Dans la hiérarchie des normes, vos décisions ont quelle place ?

Sœur G. M. C. : Les décisions du Tribunal ecclésiastique, une fois définitives (c’est-à-dire que les parties n’ont pas fait appel, ou bien le Tribunal de deuxième instance a confirmé la décision de la première instance) ont la force d’une loi entre les personnes concernées.

Ainsi, s’il s’agit d’une décision concernant un litige sur des biens ecclésiastiques, la personne en faveur de laquelle la décision est prise peut en exiger l’exécution. S’il s’agit de la déclaration de nullité d’un mariage, les deux personnes sont libres de se marier à l’Église. Si c’est une décision pénale, celui qui a été puni est obligé de respecter sa peine partout où il se trouve et, éventuellement, aussi dédommager les victimes de son comportement délictueux.

 

Propos recueillis par

Alexis Kalambry

 

Mali Tribune

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