Aminata, immigré clandestine, débarque en France dans l’espoir d’aider sa famille très pauvre qu’elle a laissée au pays. Travailler en se cachant, loger dans des conditions exécrables : très vite, elle découvre que l’aventure est tout le contraire de ses rêves. Dans une lettre imaginaire, Aminata dissuade son frère qui veut la rejoindre de venir, à travers la plume de la blogueuse Salimata Traoré.
Cher petit frère,
Tu dois sûrement être dans ton kiosque comme d’habitude. Comme tu me manques ! Je me souviens de nos causeries de tous les jours. Par la grâce de Dieu, je suis bien arrivée en France. Je m’étais imaginée autre chose à propos de ce fameux pays, mais c’est bien au-dessous de toutes mes attentes.
Je tiens à ce que tu m’excuses ainsi que toute la famille. Je suis arrivée il y a deux mois de cela, mais je n’ai pas pu vous écrire. Ici, ce n’est pas comme notre Maliba, terre d’hospitalité, terre d’accueil, d’aide et de solidarité. Mon petit Baba, ici, il n’y a pas de solidarité, ni d’hospitalité, ni d’accueil. Un vrai pays d’individualisme exacerbé. Ici, c’est chacun pour soi.
Patrouilles de police
Dès mon arrivée, nos cousins m’ont regardée avec regret et m’ont dit : « Bienvenue dans la vraie vie ». Dès lors, j’ai eu quelques regrets. Mon frère, je ne suis même pas en règle, d’après eux je suis « sans papier ». Je pensais que c’était simple, mais c’est vraiment compliqué avec toute une longue procédure qui, d’ailleurs, ne garantit pas une suite. De ce fait, chaque jour, je sors avec la peur au ventre et je rentre avec la même peur, car les patrouilles de police sont partout.
Et tu sais, le pire des cauchemars, c’est de trouver un travail. Un jour, je suis allée voir les cousins pour leur exposer mon parcours scolaire. En leur disant que j’avais un master 2 en gestion d’entreprise, ils se sont mis à rire. Etonnée, je suis restée silencieuse. Puis, ils m’ont dit : « Ma chère, range tes diplômes et expériences ou stages au fond de ta valise. Ici, même les diplômés français ne sont que des vendeurs de fastfood chez McDonald ou femmes ou hommes de ménage. »
« Nous dormons les uns sur les autres »
Tout cela est couronné par le manque d’espace. Nous nous serrons dans de petites chambres. Il n’y a pas de place pour tout le monde, personne ne peut habiter chez personne. Je suis même gênée de rester chez notre tante, mais tout comme pour les papiers, il est très difficile d’avoir un appartement. Ici, chacun se débrouille comme il peut.
Mon frère, j’ai vu le monde s’écrouler devant moi. Je travaille au noir avec la peur chaque jour de me faire renvoyer. Je cherche un appartement sans jamais l’avoir peut-être, parce que je travaille en me cachant faute de papiers. Je regrette le Mali, je regrette tous ces conseils que j’ai rejetés. Mon frère, je rêvais d’un monde dont je n’avais aucune connaissance.
Notre commerce
Baba, j’ai toujours tenu mes promesses, mais cette fois-ci je vais trahir ma parole. Je t’avais promis qu’une fois ici, je ferais tout pour tu puisses me rejoindre. Mais mon frère, si je le fais, cela sera une grande ignorance et indifférence de ma part. Je ne te laisserai jamais vivre ce que je vis, car ça ne serait vraiment pas une aide mais un malheur. J’entendais souvent un adage : « On n’est jamais mieux que chez soi. » Mais j’y ai cru et je l’ai gravé en mémoire qu’une fois ici.
Frérot, ta sœur va vraiment t’aider, mais pas ici car ça ne fait pas rêver comme nous le pensions. Sois un travailleur, gère bien le kiosque, on va faire notre commerce. Sous peu, je te rejoindrai là-bas. On travaillera dur et on participera au développement de notre beau pays, car nous serons de grands agents économiques dans l’honnêteté. S’il y a une chose que ce pays d’accueil m’a donnée, c’est le courage de me battre pour le mien. Mon frère rejoins-moi dans ce combat, car chez nous tout est à refaire.
Source: benbere