Le Mali va de mal en pis. Et objectivement, la gouvernance d’IBK a montré ses limites parce qu’on ne peut pas relever un pays malade comme le Mali en nourrissant le peuple de promesses démagogiques, en faisant preuve de laxisme face aux maux qui minent l’administration à tous les niveaux et surtout en poussant le complexe jusqu’à accorder plus d’importance au regard de la communauté internationale qu’aux vraies aspirations de ses concitoyens. Faut-il pour autant pousser le président de la République à la démission au risque d’installer le pays dans une nouvelle instabilité politique aux conséquences périlleuses ? Que proposent aux Maliens ceux qui exigent cette démission ?
« Si vous voulez juger la qualité de vos dirigeants, n’écoutez pas leurs discours, visitez leurs écoles et leurs hôpitaux ; regardez comment ils règlent la circulation routière, comment ils ramassent les ordures…» ! C’est la conviction d’un intellectuel engagé du pays.
Rapporté à la situation actuelle du Mali, il est clair que rien ne va. Loin d’avancer, le pays recule. Et cela par la faute d’une gestion que le « Rassemblement des forces patriotiques » (FSD, CMAS et EMK) qualifie de « symbole de la décrépitude d’un système étatique décrié » qui a fini par précipiter « notre pays au bord du gouffre ». On comprend alors que des dizaines de milliers de Maliens se soient donné rendez-vous vendredi dernier (5 juin 2020) pour dénoncer les mauvaises pratiques de l’actuel pouvoir qui sont en train de conduire la majorité des populations dans une misère indescriptible. Ils étaient nombreux dans la rue pas pour Mahmoud Dicko ou pour un quelconque leader politique, mais pour exprimer leur colère face à l’entêtement du régime à garder un cap qui ne conduit le Mali que vers le chaos.
« Je ne marche ni pour l’imam, ni pour un quelconque leader politique, ni pour qui que ce soi. Je marche pour un Mali prospère, juste et équitable pour tous les Maliens, de l’intérieur et de l’extérieur », a déclaré Moussa Kondo, un jeune leader de la société civile malienne qui est le coordinateur-pays d’AccountabilityLab (ALAB/Mali). Une motivation partagée par de nombreux citoyens présents sur le Boulevard de l’Indépendance vendredi dernier (5 juin 2020).
« Je comprends l’extraordinaire exaspération des Maliens face à la situation du pays. C’est d’abord cette exaspération qui s’est exprimée ce vendredi », a analysé Moussa Mara, ancien Premier ministre récemment élu député à l’Assemblée nationale.
Le pays va mal et IBK se doit de réagir enfin
« Aucun malien normalement constitué ne peut nier que le pays va mal et de plus en plus mal. Aucun responsable objectif ne peut dire que la situation du Mali s’améliore. J’espère que le principal concerné et le responsable N°1 de la situation du pays, le Chef de l’Etat, fera la bonne analyse de ce qui se passe et saura en tirer les conclusions qui s’imposent », a conclu Mara.
Sans doute qu’IBK ne peut pas et ne doit pas ignorer la colère d’une frange non négligeable de Maliens massivement sortis pour exprimer leur colère et leur désespoir vendredi dernier. Il doit changer son fusil d’épaule, sortir du dilatoire, de la démagogie pour montrer une volonté réelle de faire face aux problèmes des Maliens.
A défaut, s’il faut recourir à tous les moyens constitutionnels pour contraindre le président à changer de cap, sa démission n’augure rien de bon pour le Mali. Et cela d’autant plus que ses conséquences peuvent être périlleuses pour un Etat déjà menacé dans son intégrité territoriale par le terrorisme et qui est socialement et économiquement plombé par des maux comme la corruption.
Mais, puisque le pays est à l’agonie et que les Maliens souffrent, le peuple veut des solutions et non des discours de dénonciations. « Notre souhait est que le président de la République mette de l’eau dans son vin, qu’il respecte ses engagements en faveur du pays. Nous nous voulons une gouvernance responsable, rigoureuse et résolument engagée à combattre tous les maux qui hypothèquent l’émergence de notre pays…La démission d’IBK n’est pas une bonne chose car elle peut entraîner le pays dans de nouvelles et périlleuses zones de turbulence », a rappelé un responsable syndical présent au grand meeting du Rassemblement des « forces patriotiques ».
Une opposition sans projet crédible
Visiblement, l’opposition politique malienne (aussi décevante que la majorité) n’a pas tiré tous les enseignements de son échec à la présidentielle de 2018. Avec un slogan comme « Boua ka bila », les Maliens ont douté de son projet de société. Et aujourd’hui, c’est « IBK, démission ».
Quelle alternative proposait-elle aux Maliens si IBK avait démissionné le vendredi à 18h comme le souhaitait ses opposants ? Absolument rien. En tout cas la Déclaration finale qui a sanctionné le meeting est plus un condensé de griefs à l’encontre du président élu qu’un vrai projet de société alternatif. Nous ne voyons aucun indice du changement de système prôné. Les leaders de ce mouvement de protestation peuvent-ils réellement incarner le changement attendu par les Maliens ?
Et comme le dit un ami, avec une bonne dose d’ironie, la mauvaise gouvernance tant décriée par les « forces patriotiques » est «une balle qui peut atteindre tout le monde, sans distinction de bord politique, ethnique ou religieux». Et visiblement, ce mouvement en marche n’est soutenu par aucun projet politique rassurant. Ses animateurs, presque tous, à un moment ou à un autre, étaient des alliés du pouvoir qu’ils combattent aujourd’hui. Et pour la grande majorité silencieuse des Maliens, ils en veulent à IBK parce qu’ils ont été virés, sevrés de la vache laitière qu’est l’Etat. Le Mali va très mal, mais la démission d’IBK n’est pas une solution car cela va davantage déstabiliser le pays.
« Ce qui se passe actuellement au Mali n’est pas réjouissant car je suis persuadée que celui ou ceux qui sont les investigateurs de cette mobilisation contre IBK ne sont pas ceux pour qui ils se font passer aux yeux d’un peuple déçu par la gouvernance actuelle du pays. A mon avis leurs intentions ne sont pas aussi honnêtes qu’ils le prétendent. Les Maliens devraient être plus méfiants », analyse Sonia, une activiste française très attachée à notre pays.
Ce n’est pas rassurant et ce n’est pas un signe de vitalité démocratique de voir les religieux, les hommes politiques et la société civile baigner dans le même marigot au mépris de la laïcité de la République et du principe sacré de la séparation des pouvoirs dans une démocratie. Et rien que pour des jeux d’intérêts personnels ou claniques.
Et si le Malien changeait pour inexorablement imposer le changement à l’élite dirigeante ?
Comme Sonia, et comme beaucoup d’autres observateurs, nous pensons qu’un changement de système de gouvernance implique des sacrifices à tous les niveaux. Le changement le plus efficace et le plus durable est celui amorcé à la base sur des valeurs et non sur des intérêts personnels. D’où la nécessité pour chaque Malien de se remettre en cause, à travers ses actes et son comportement, pour être un acteur crédible du changement souhaité par tous.
Hier, le problème du Mali avait comme nom Général Moussa Traoré, Alpha Oumar Konaré et Amadou Toumani Touré. Et aujourd’hui, c’est Ibrahim Boubacar Kéita. Et pourtant, à part GMT (Général Moussa Traoré) arrivé par coup d’Etat, c’est nous qui avons élu les autres ou nous sommes supposés les avoir élus. Mais, qu’ils aient été bien ou mal élus, cela ne nous dédouane pas de notre responsabilité citoyenne. Autant alors nous remettre en question pour gagner en maturité politique afin de déjouer les projets de ces aventuriers qui viennent nous nourrir d’illusions pour se faire élire et nous laisser ensuite avec nos préoccupations.
En attendant que chacun prenne conscience de sa propre responsabilité comme porteur du changement souhaité, le Mali continue de s’effondrer à travers les valeurs qui constituaient pour elles une charpente solide. Et malheureusement, nous sommes encore loin d’avoir atteint le fond. Même si tout n’est pas encore perdu. Mais, nous relever, on a encore du chemin à faire.
Et comme le dit si bien le penseur Lester Levenson, «si nous n’aimons pas ce qui nous arrive, nous n’avons qu’à changer notre conscience et le monde changera pour nous plaire ». Autrement, c’est le Malien même qui doit changer de comportement. « Tu dois être le changement que tu veux voir chez les autres, si tu ne montres pas l’exemple comment y aura t-il changement ?», s’interroge Curlis Tchoffo.
A défaut d’avoir résolu cette équation, nous devons accepter de prendre notre mal en patience pour espérer un jour voir le bout du tunnel.
Hamady Tamba
LE MATIN