Une équipe du quotidien Le Pays est allée à la rencontre d’un auteur de la jeune maison d’édition, Innov Éditions, afin de s’entretenir avec lui sur son ouvrage « Les larmes du silence ». Serges Cyrill Kooko, puisquec’est de lui qu’il s’agit, est littéraire de formation, poète, écrivain et directeur de publication à Innov Éditions. Entretien !
Le Pays : qu’est-ce qui se cache derrière ce titre, « les larmes du silence » ?
Serges Cyrill Kooko : Les larmes du silence est une sorte de résumé issu de certaines expériences ainsi que de certaines observations personnelles et impersonnelles. J’entends par personnelles, les choses auxquelles j’ai pu faire face moi-même dans ma famille ou dans mon entourage. C’est une sorte de résumé de cette somme de frustrations, de douleurs invisibles que j’ai voulu résumer dans ce livre.
Cet ouvrage développe différents thèmes touchant souvent à des problèmes communs en Afrique. S’agit-il alors d’un ouvrage africaniste ?
Un ouvrage africaniste ! Cela serait un peu trop dire. On peut aimer l’Afrique sans être africaniste. On peut aimer une chose sans être trop passionné, trop obnubilé par elle. Je suis africain, mais je ne peux pas dire que je suis africaniste. Je défends l’Afrique dans tout ce que je fais et l’ouvrage, je ne peux pas le qualifier d’africaniste parce que, comme vous l’avez dit vous-mêmes, il parle de plusieurs thèmes que tous les poètes de tous les temps abordent de différentes manières. La façon dont je parle de la femme en tant que poète sera différente de la façon dont toi, tu l’aborderas ; la façon dont je parle de l’Afrique sera différente de la façon dont un autre l’évoquera.
À travers ce livre, quel message adressez-vous aux Africains ?
Je ne m’adresse pas seulement aux Africains. J’aime me définir, même si je ne le suis pas et sans prétention, comme un poète universel. Je préfère qu’on dise que je suis poète avant qu’on dise que je suis écrivain. Je veux être un poète universel parce que si je me limite juste à l’Afrique, je me dirai que je n’aurai pas atteint l’objectif que je veux atteindre par mon écriture. Donc, je ne veux pas me limiter à l’Afrique, je veux être partout dans le monde. Mon écriture, c’est vrai qu’elle parle de l’Afrique, qu’elle dénonce les problèmes des pays africains, mais il y a toujours une petite touche qui fera que s’il y a un lecteur français, américain ou bien un lecteur chinois, s’il le lit, qu’il puisse se dire que ce poème traite des thèmes dans lesquels je me reconnais. Je parle de Dieu, de l’amour, de l’espoir, de la mort, de la détresse, des rêves, de l’exhortation, je donne des conseils. Bref, tout est dedans.
Votre vingt-quatrième poème s’intitule « Je suis ». Ce poème parle de quoi au juste ?
Ce poème dont vous parlez, « je suis », c’est l’un des poèmes très personnels du recueil. Je l’ai écrit en pensant à ma propre histoire. Comme tous les êtres humains, j’ai vécu des choses, des bonnes et des mauvaises. Des choses parfois pour la résolution desquelles les gens pensent que vous ne servez à rien et comme disent les philosophes, que vous êtes une « vacuité ontologique ». Quand j’ai eu le sentiment de vouloir m’exprimer pour dire aux gens que tout ce que vous dites que je suis, j’accepte ça, je suis ce que je suis. Je suis celui que vous traitez d’incapable, je suis celui que vous traitez de con, je suis celui que vous traitez d’imbécile. Je suis toutes ces choses-là, mais une chose est sure, si je fais une petite transposition de ce que je suis, je crois qu’il y aurait beaucoup de gens comme moi.
Malgré les innombrables déceptions, frustrations auxquelles vous avez eu à faire face ou que l’Afrique traverse, vous restez optimiste. Sur quoi se fonde cet optimisme ?
La première défaite d’une personne, c’est quand elle baisse les bras. Si dans votre vie, vous rencontrez des difficultés et vous abandonnez, c’est votre premier échec. C’est ma façon de voir les choses. J’aime toujours garder espoir, malgré tous les problèmes, parce que je me dis qu’il y aura toujours quelque chose de bon demain tant que j’ai toujours espoir. Si j’avais baissé les bras, je n’allais jamais publier ce livre puisque pour le faire j’ai eu toutes les difficultés du monde : avoir un éditeur, avoir un correcteur, avoir l’approbation d’un comité de lecture, etc., ce n’était pas facile. J’ai fait environ cinq à six ans à chercher un éditeur.
Cela explique-t-il pourquoi vous l’avez initialement publié chez Edilivre ?
Au départ, j’ai déposé le manuscrit dans certaines maisons d’édition de Bamako. Tous me répondaient par la même chose : « Si c’est vraiment vous qui avez écrit ce livre, c’est vraiment bien écrit. Mais on ne peut pas publier la poésie au Mali parce que les gens ne la lisent. » Moi, je trouvais cela absurde. Je suis allé dans une autre. Eux, ils m’ont donné une facture de 1 million 8 cents francs CFA pour que je fasse le livre à compte d’auteur. Ceux-ci voulaient juste se contenter de la publication du livre et me le remettre. J’ai dit que ce n’est pas cela mon but. Mon objectif avec l’écriture n’est pas de devenir riche, ce n’est pas d’aller vendre des livres, c’est de publier des livres et les faire partager avec les autres. C’est ainsi que je me suis trouvé chez Edilivre, à travers la publication d’un ami. Mais après la publication du livre, pour le faire venir à Bamako, c’était vraiment une catastrophe, je dirais même une « catastrophe humanitaire ». Alors, quand l’occasion s’est présentée à moi de le faire publier à Bamako, je n’ai même pas hésité, je n’ai pas même pas réfléchi et ça été une très bonne chose parce que le livre a été diffusé partout, beaucoup de gens l’ont vu. Cela m’a donné une immense satisfaction.
Est-ce cette déception qui vous a conduit à la création d’Innov Éditions ?
Je me suis retrouvé dans l’édition par hasard. L’écriture a toujours été ma passion. Je peux même dire parfois que ça coule dans mes veines. L’écriture m’a tellement envahi que certains pensent que je ne suis pas normal. Quand je suis allé pour faire mon livre à Innov, j’ai rencontré le PDG de cette maison d’édition qui est quelqu’un de très bien, d’extraordinaire. On a dû échanger quelques minutes et là, il a vu mon livre, cela a été un coup de foudre littéraire. C’est là qu’il m’a dit : « j’ai commencé ce travail, mais toi, tu es un peu différent. Donc, je souhaite qu’on travaille ensemble ». C’est ainsi que je suis devenu un des maillons essentiels de cette entreprise : directeur de publication et président du comité de lecture et de sélection des manuscrits. J’adore ça parce que ça me permet de partager ce que j’ai appris. Le fait d’aider les jeunes auteurs, voire les auteurs plus âgés parce que la connaissance n’a pas d’âge. Ça me donne une sorte de satisfaction personnelle. J’aime très bien ce travail et pour rien au monde je n’échangerai ce travail contre un autre.
Avez-vous en vue d’autres projets de livre ?
Bien sûr ! À la croisée des chemins est le titre de mon prochain recueil. Un titre qui m’a permis de remporter un concours de poésie. C’est la raison pour laquelle je l’ai choisi comme titre de ce recueil. Ma vie est comme une sorte de carrefour. Il faut que je décide de quelle voie je vais prendre. Je suis également en train de préparer un recueil de nouvelles et un roman. Mais, il faut reconnaitre qu’à force d’être éditeur, j’oublie même que je suis écrivain.
Réalisé par Fousseni TOGOLA
Source: Le Pays