Né à Nantes en 1977, ce Français s’installe au Mali en 2001 où il crée son agence d’architecture, avant de s’inscrire à l’Ordre des architectes du Mali, après avoir acquis la nationalité malienne. L’architecte malien participe, ainsi à la rénovation du Palais de Koulouba, suite aux évènements de mars 2012. Passionné d’histoire, il a consacré deux ouvrages aux symboles du Mali. Dans cette interview, Sébastien Philippe parle de ses recherches sur notre pays et invite les Maliens, notamment les jeunes, à s’approprier leur histoire
L’Essor : Dites-nous comment vous avez découvert le Mali ?
Sébastien Philippe : Ma découverte du Mali remonte à l’an 2001. C’était lors d’un voyage touristique qui a changé ma vie. J’y suis venu avec un ami, originaire de Médina-Coura (Bamako). Quand j’ai foulé le sol malien, ce fut un coup de foudre. J’ai été subitement fasciné par ce pays. Les valeurs qui y sont véhiculées comme le respect des vieux, la religion, la courtoisie, le sourire, l’hospitalité, m’ont frappé. Et moins d’un an après, je suis venu m’installer à Bamako. Juste après avoir obtenu mon diplôme d’architecte, en 2001.
L’Essor : Vous étiez en voyage exploratoire pour comprendre l’histoire du Mali et tâter les opportunités qu’elle pourrait vous offrir ? Expliquez-nous alors votre passion pour l’Histoire, vous qui êtes scientifique de formation.
Sébastien Philippe : À l’origine, je voulais me diriger vers l’Histoire à l’Université. Je voulais m’inscrire à l’Ecole des monuments historiques en France. Cet engouement pour l’Histoire, c’était toujours dans le contexte de l’architecture, c’est-à-dire l’étude des vieux bâtiments. Je serais devenu architecte des monuments historiques de la France.
Mais, après avoir obtenu mon diplôme, je suis venu au Mali. J’ai commencé à travailler. J’étais très jeune. De fil en aiguille, j’ai créé mon agence d’architecture qui s’appelle Edificaré. Il a fallu que j’acquière la nationalité malienne pour pouvoir exercer le métier d’architecte au Mali. À la suite de tout cela, j’ai été inscrit à l’Ordre des architectes du Mali. L’agence a grandi depuis. Au début, je travaillais avec la Société d’équipements du Mali (SEMA). J’ai travaillé sur des projets intéressants comme la Cité administrative du Mali. J’ai aussi participé à la rénovation du Palais de Koulouba, suite aux événements de 2012. J’ai également conçu le Pavillon VIP de l’aéroport de Senou qui a été utilisé pour le sommet Afrique-France en 2017.
L’Essor : Une intégration facile et visiblement bien réussie grâce à votre fascination pour notre histoire et notre culture. Comment vous vous êtes imprégné de l’histoire et de la culture maliennes ?
Sébastien Philippe : Quand je suis arrivé, je ne connaissais rien du Mali. Je ne connaissais que ce que tout jeune Français apprenait à l’époque dans les écoles. On nous enseignait uniquement les guerres de décolonisation. Les heures glorieuses de l’Afrique comme le temps des empires du Ghana ou du Mali n’étaient pas encore au programme. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
Une fois arrivé, je me suis d’abord intéressé à l’histoire de la ville de Bamako. Je partais souvent chez mon ami à Médina-Coura qui vivait dans une grande famille. J’étais très curieux. Du coup, je me suis intéressé à la structuration de la famille malienne. J’essayais de comprendre les choses. Je commençais à faire des recherches sur la base d’interrogations personnelles.
Si je demandais quand a été construit le siège de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) à Bamako et que personne ne me donnait une réponse, cela signifiait qu’il y avait là matière à rechercher. Mon amour des archives aussi m’a guidé dans ce travail. En fouillant dans les Archives nationales du Mali, j’ai découvert beaucoup de choses. J’ai été jusqu’à Dakar pour voir des archives sur l’histoire du Mali.
C’est ma double nationalité qui m’a facilité l’accès aux Centres de recherches de la sous-région et de la France. J’ai accumulé une somme d’informations qui m’a permis de comprendre comment la ville de Bamako s’est construite et a évolué. Concernant la fondation de Bamako, il n’y a pas d’archives.
Il a fallu que je travaille sur la tradition orale. Je suis allé auprès des familles fondatrices : Niaré, Touré et Dravé. Je passais de nombreuses heures en leur sein pour comprendre quelle était leur histoire. Après recoupement des sources orales et écrites, je me suis dit qu’il pourrait être intéressant d’en faire un livre pour le public. Je l’ai publié en 2009 sous le titre : «Une histoire de Bamako». Ça été une vraie réussite. Tous les stocks ont pu être vendus en 10 ans. C’est un travail personnel et autofinancé.
L’Essor : Dans l’histoire de Bamako, qu’est-ce qui vous a fasciné ?
Sébastien Philippe : Ce qui me semble fascinant, c’est comment la ville s’est construite autour d’un petit village et d’un premier bâtiment construit par les Français. Et comment à partir de ces deux éléments-là, toute la ville de Bamako s’est construite. J’ai recherché les vieux plans.
L’Essor : Outre votre fascination pour notre histoire, «Une histoire de Bamako» vous a aussi ouvert les portes du succès ?
Sébastien Philippe : J’avoue que ce livre m’a été utile. Il m’a permis d’être choisi par les autorités de la mairie du District, en 2012, pour réfléchir sur Bamako de demain, en 2030. On ne peut pas se projeter dans le futur d’une ville si l’on ne sait pas comment elle a été dans le passé. Il faut respecter sa logique. J’ai pu réussir la jonction entre sources écrites et sources orales. Avec la tradition orale, on agrandit parfois certaines réalités. Mais, en essayant de trouver les documents d’archives qui traitaient des mêmes choses que la tradition orale, on parvient à recadrer les faits historiques.
L’Essor : Parlant du futur, comment voyez-vous Bamako en 2030 ?
Sébastien Philippe : Je l’imagine assez difficilement. Certes, ce projet Bamako 2030 est ambitieux. Il existe, il y a 8 ans de cela. Mais, depuis qu’on l’a dessiné, presque rien n’a été mis en place. On perd du temps. Voyez ce quatrième pont qui tarde à être réalisé, alors qu’il urge de le construire, malgré les enjeux économiques qui nous dépassent. Car, ce pont va désengorger la ville de Bamako plus que le troisième pont qui est très éloigné de l’épicentre.
Le temps presse. La démographie de Bamako augmente sans cesse. Les problèmes de circulation et de pollution vont s’accentuer de manière exponentielle. On a du mal à s’imaginer à Bamako dans dix, quinze, voire vingt ans et d’y vivre mieux. Ça va être pire. J’aimerais être optimiste, mais dans ma vision d’architecte, je le suis de moins en moins. Il faut aller plus vite même si je reconnais que financièrement ce n’est pas facile.
L’Essor : Pourquoi vous vous êtes intéressé à la symbolique nationale ?
Sébastien Philippe : En 2010, j’avais fait une brochure d’exposition sur la symbolique nationale lors du Cinquantenaire. Mais, elle n’était pas à hauteur de la thématique. C’était dans le cadre d’une exposition. Je l’ai enrichie pour aboutir à mon livre intitulé «Les Symboles de la République du Mali», paru en 2020. Le terme symbole en grec signifie unité. Avec la crise qui a frappé le pays, tous les Maliens devaient connaître les éléments qui les rapprochent les uns des autres. Il faut connaître l’Hymne national, savoir ce que représentent les couleurs de notre drapeau. Il faut savoir aussi l’histoire de notre armée qui défend notre territoire. Les noms de nos grands premiers officiers.
Le général Soumaré, par exemple, a une statue. Mais, est-ce que les jeunes savent l’histoire de ce grand homme ? C’est en connaissant le parcours de ces grands hommes qu’on fédère la Nation et qu’on stimule un sentiment de fierté nationale. Je sens depuis 2012 que le Malien se cherche. On voit des étoiles partout. L’autre jour je discutais avec des jeunes qui ont feuilleté mon livre sur «Les Symboles de la République du Mali». Quand ils ont vu Mamadou Konaté, ils m’ont demandé qui était-il. Moi, j’étais vraiment ahuri de voir que des jeunes compatriotes ignorent l’histoire de ce personnage incontournable dans l’histoire du Mali.
L’Essor : Racontez-nous alors votre histoire avec Koulouba
Sébastien Philippe : (Rires). J’ai découvert Koulouba en levant la tête comme tout Bamakois. On le voyait moins bien à l’époque parce qu’il était caché par les arbres. En plus de cela, il était moins haut. Longtemps, j’ai cru que Koulouba était la salle de Banquet, le bâtiment qu’on voyait devant, construit sous le président Konaré.
Quand j’y suis allé pour la première fois dans le palais, j’étais vraiment émerveillé. C’était lors de la préparation de son Centenaire entre 2004 et 2005. J’étais avec le professeur Kamian et un confrère Nicolas Koné. J’en ai profité pour prendre quelques photos qui sont d’ailleurs très rares. Il faut reconnaître que Koulouba est un bâtiment très sensible. C’est le cœur du pouvoir.
Après, j’ai fait des recherches pour avoir des bouts de plan du bâtiment original construit entre 1904 et 1908. Ce sont ces recherches et ce travail en 2005 qui m’ont permis d’être choisi pour travailler sur le Palais après l’attaque qu’il a subi lors du coup d’État de 2012. Il était en très mauvais état. C’était presqu’une ruine. Deux saisons après, les plafonds s’étaient écroulés à cause de la pluie. C’est l’entreprise Eiffage (un groupe de construction et de concessions français, fondé en 1993 par la fusion de Fougerolle et de SAE NDL) qui a fait les travaux. Moi, j’étais l’architecte.
Il fallait tout refaire. On n’aurait pu le raser à l’époque. Mais, le président IBK, qui aime beaucoup l’histoire, a souhaité qu’on remette le palais dans son état d’avant 2012. Le bâtiment avait beaucoup souffert et ce n’était pas possible de le remettre exactement dans son état original.
Le deuxième étage du palais avait été construit au début des années 60 par le président Modibo Keita pour en faire sa résidence privée. On a été obligé de l’enlever en le remplaçant par un nouvel étage plus fonctionnel. Mais, on l’a construit dans le même style architectural que le bâtiment d’origine. L’étage de 1960 était très différent parce qu’il était très bas. On l’a recréé en lui redonnant un peu de hauteur et de magnificence. C’est pourquoi, le palais est maintenant plus visible. Ce projet passionnant a été inauguré pour le sommet Afrique-France de février 2017.
Je considère le Palais de Koulouba comme le point d’orgue de ma carrière. Ça été un grand honneur de travailler deux fois sur un bâtiment important de l’histoire malienne. En 2005, le président Amadou Toumani Touré (ATT) avait souhaité fêter les 100 ans du palais. Le président du comité du Centenaire, le professeur Bacary Kamian, m’a dit que je pouvais entrer au sein dudit Comité puisque j’étais architecte et l’Ordre des architectes devait envoyer un représentant.
Le président de l’Ordre a fait un courrier pour notifier que je les représentais. Vu que j’étais intéressé par l’histoire. J’ai fait des recherches pour faire l’exposition historique sur le palais. Après le coup d’État, j’ai vu les images du palais attaqué. Je savais qu’il fallait le remettre en état. J’étais tout le temps émerveillé à chaque fois que j’y allais.
L’Essor : Quel sentiment avez-vous après les travaux ?
Sébastien Philippe : J’étais très content. Parce qu’on venait en quelque sorte de réparer l’histoire. C’est un lieu très symbolique. Quand je l’ai vu pillé en 2012, en tant que Malien ça m’a fait très mal. À la fin de ces travaux, c’était un ouf de soulagement. Car, on venait de le sauver. Les efforts conjugués et le souhait du président IBK de le conserver ont été à l’origine de cet exploit.
L’Essor : Avez-vous d’autres projets d’écriture ou de recherche ?
Sébastien Philippe : Je suis sur un roman qui s’inspire aussi de l’histoire de Bamako. Le personnage principal est Abdourahamane Touré appelé Toubabou Dramane. Car, c’est lui qui a amené les Blancs ici. Mon autre grand projet, c’est de travailler sur l’architecture coloniale.
Propos recueillis par
Lassana NASSOKO
Source : L’ESSOR