On voyait venir les choses. Et c’est désormais chose faite. Le Burkina Faso, le Mali et le Niger, tous en pleine crise sécuritaire et en transitions politiques dirigées par des militaires, ont décidé de se retirer de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). L’annonce a été faite le 28 janvier dernier.
Cette intention officiellement exprimée par le Burkina, le Mali et le Niger de quitter la CEDEAO, est historique, interpellatrice et assourdissante comme un grondement de tonnerre dans un ciel de l’intégration régionale chargé de nuages.
En effet, le Burkina Faso, le Mali et le Niger reprochent à la CEDEAO de n’avoir non seulement pas volé à leur secours face à la situation qu’ils vivent depuis quelques années, mais aussi d’être à la solde de puissances étrangères. Vrai ou faux ? On ne saurait y répondre. Toujours est-il que l’organisation ouest-africaine n’est pas exempte de tout reproche. Car, s’il est vrai qu’elle constitue un véritable outil d’intégration des peuples, force est de reconnaître qu’elle a souvent péché par ses prises de position. Si fait qu’elle est perçue par certains comme un syndicat des chefs d’Etat qui rame à contre-courant des intérêts des peuples qu’elle est censée protéger. Et comme pour ne rien arranger, certains de ses dirigeants ne cachent pas leur proximité avec l’ex-puissance coloniale qu’est la France dont la politique, on le sait, est de plus en plus décriée sur le continent, notamment au Sahel où les soldats tricolores ont été priés de plier bagage sans autre forme de procès.
Une décision lourde…
Face à ce retrait avec effet immédiat de l’AES (Alliance des Etats du Sahel), la CEDEAO doit s’en prendre à elle-même ; tant elle a souvent prêté le flanc en privilégiant parfois le bâton là où les peuples attendaient la carotte.
Ce fut, par exemple, le cas au Niger où, au lendemain du coup de force contre le président Mohamed Bazoum, les dirigeants ouest-africains ne sont pas allés de main morte en imposant de lourdes sanctions financières et économiques au pays, en rajoutant ainsi à la souffrance des populations. Pire, elle menaçait même d’intervenir militairement pour rétablir le président déchu dans ses fonctions, consciente que cela pouvait déstabiliser toute la sous-région. Toutefois, en décidant de tourner le dos à la CEDEAO, les présidents Assimi Goïta, Ibrahim Traoré, et Abdourahamane Tchiani ont-ils pris toute la mesure de la situation ? La question reste posée ; tant la décision, faut-il le relever, est lourde… de conséquences.
En effet, la libre circulation dont bénéficiaient les Maliens, les Burkinabè et les Nigériens ainsi que leurs biens, dans l’espace communautaire, risque de prendre un sérieux coup. A cela s’ajoute le fait que tous les trois pays membres de l’AES sont enclavés et dépendent, pour l’essentiel, des pays côtiers, en l’occurrence le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Togo, le Ghana, le Bénin et le Nigeria. A moins que la décision de se retirer de la CEDEAO, ne cache mal la volonté des militaires de ne pas respecter leurs engagements pris de rendre le pouvoir aux civils dans des délais raisonnables. Ce n’est pas impossible d’autant que s’ils restent toujours membres de la CEDEAO, ils se feront sans doute remonter régulièrement… les galons. C’est peut-être ceci qui explique cela.
Divorce salutaire ou saut dans l’inconnu ?
Beaucoup de vent, de poussière et de grêle avaient jeté le froid entre les 3 Etats de l’Alliance du Sahel et la CEDEAO mais on n’avait pas pensé que ces relations tendues conduiraient le général Abdramane Tiani, le colonel Assimi Goïta et le capitaine Ibrahim Traoré à franchir le Rubicon de la rupture.
Décision souveraine et responsable qui rebat les cartes de la tactique et de la stratégie de l’intégration, de la solidarité et de la stabilité régionale ou saut dans l’inconnu, mû par les humeurs de Césars qui préfèrent être premiers dans un village que second à Rome ?
Les conjectures vont bon train avec quatre certitudes. Primo, qu’il s’agisse de l’ONU, de l’Union africaine, de la CEDEAO ou de l’UEMOA, pour ne citer que les organisations multi- étatiques les plus connus au Mali, les pays y adhèrent librement et des dispositions statutaires prévoient également leur retrait libre. Dans le cas d’espèce, l’article 91 du Traité de la CEDEAO dispose que « tout Etat membre désireux de se retirer de la Communauté notifie par écrit, dans un délai d’un an, sa décision au Secrétaire exécutif qui en informe les Etats membres. A l’expiration de ce délai, si sa notification n’est pas retirée, cet Etat cesse d’être membre de la Communauté. Au cours de la période d’un an visée au paragraphe précédent, cet Etat membre continue de se conformer aux dispositions du présent Traité et reste tenu de s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu du présent Traité. »
Secundo, ce n’est pas une première pour la CEDEAO d’enregistrer le retrait d’un pays membre. La Mauritanie l’a fait en 2000 au profit de l’Union du Maghreb Arabe (UMA), aujourd’hui dans une somnolence comateuse.
Tertio, la CEDEAO n’est pas exempte de tout reproche dans sa gestion du processus d’intégration régionale. Elle a été, bien des fois, en déphasage avec les aspirations des peuples qu’elle veut servir, héritant ainsi de l’appellation peu flatteuse de « syndicat des chefs d’Etat ».
Cette critique récurrente a donc été reprise contre elle par les Etats de l’AES qui, dans leur déclaration d’intention de retrait de l’organisation communautaire font remarquer « qu’après 49 ans d’existence, les vaillants peuples du Burkina, du Mali et du Niger constatent avec de regrets, d’amertume et une grande déception que leur organisation s’est éloignée des idéaux de ses pères fondateurs et du panafricanisme. En outre, la CEDEAO, sous l’influence de puissances étrangères, trahissant ses propres principes fondateurs, est devenue une menace pour ses Etats membres et ses populations… En effet, l’organisation n’a pas porté assistance à nos Etats dans le cadre de notre lutte existentielle contre le terrorisme et l’insécurité ; pire lorsque ces Etats ont décidé de prendre leur destin en main, elle a adopté une posture irrationnelle et inacceptable en imposant des sanctions illégales, illégitimes, inhumaines et irresponsables en violation de ses propres textes ».
Un violent réquisitoire qui indique que les autorités du Mali, du Burkina, du Niger et leurs nombreux soutiens en avaient gros sur le cœur contre une CEDEAO plus soucieuse de faire respecter son Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance dans ces pays, que de dénoncer les attaques déstabilisatrices des groupes terroristes que ces Etats subissent.
Quarto, une chose est que les pays de l’AES annoncent ensemble leur décision de retrait, une autre est qu’ils saisissent individuellement le président de la commission de la CEDEAO pour poursuivre la procédure. Comparaison n’est pas raison, mais quand on voit le temps que la Grande-Bretagne a mis pour matérialiser son retrait de l’Union européenne, des négociations et, pourquoi pas, des remises en cause de part et d’autre peuvent faire tirer les choses en longueur entre les pays de l’AES et la CEDEAO.
Mais, d’ores et déjà, on s’interroge sur l’impact de cette décision sur la libre circulation des personnes et des biens, la gestion des Maliens, des Burkinabè et Nigériens fonctionnaires internationaux dans les différentes institutions de la CEDEAO. Et si ce retrait de la communauté régionale était confirmé, quid de l’appartenance des Etats de l’AES à l’UEMOA et à sa monnaie commune, le CFA ?
De grandes questions qui, in fine, rejoignent celle de savoir si ce retrait est un divorce salvateur ou un saut dans l’inconnu.
Jean Pierre James