Pesanteurs socioculturelles et religieuses, manque d’interlocuteur ou de structures d’accueil adéquates, etc., des freins qui impactent négativement sur l’accès des jeunes aux informations sur les services de contraception et de planification familiale. Face à ces phénomènes, Marie Stopes Mali développe des programmes adaptés aux besoins des adolescentes et jeunes filles en milieu scolaire.
Dans un des quartiers périphériques de la ville, Founé a presque fini de servir ses clients de midi. La restauratrice rentre se reposer à la maison avant le service du soir. En son absence, Ina, sa fille, prend la relève. “Ba, est-ce que tu peux garder Na ? Je vais voir la marmite du haricot sur le feu”. A 18 ans, Ina ne se voit plus reprendre le chemin de l’école. La jeune fille passe sa journée et ses débuts de nuit dans la gargote de sa maman. Un quotidien, loin de l’objectif qu’elle s’était fixée il y a deux ans.
- Ina commence une année scolaire normale. Comme ses camarades en classe d’examen, elle se fixe un objectif précis : décrocher à la fin de l’année son Diplôme d’études fondamentales (Def). Quelques mois de cours intenses, une rencontre bascule tout. “Nous nous sommes rencontrés deux fois, deux fois seulement”, se souvient-elle. “Et je suis tombée enceinte”, dit-elle, tête baissée.
La même année, Niama, une jeune fille de la capitale, venait d’avoir ses 16 ans. A la différence d’Ina, elle a eu son Def un an plus tôt. A la première année du lycée, l’adolescente entend parler, pour la première fois, de la planification familiale. Une discussion tenue entre camarades de classe. “J’étais contente ce jour-là. En famille on ne parle jamais de ces sujets”, se souvient-elle. Niama précise : “j’avoue que j’étais intriguée en même temps. Au cours de la discussion, une amie a raconté que sa grande sœur a eu des problèmes à cause d’une méthode de contraception. Elle n’a pas donné plus d’informations”. Après ce premier échange entre amies, Niama, ne se laisse pas dominer par cette angoisse.
A travers une autre camarade de classe, elle décide d’appeler le centre d’appel sur la santé de la reproduction. L’appel est gratuit. “Le premier constat que j’ai apprécié, c’était l’accueil. Cela m’a permis de m’ouvrir. J’ai eu des réponses à toutes les informations que je me posais sur moi, sur l’importance de la PF, ses avantages ainsi que les différentes méthodes de contraception disponibles”, raconte la lycéenne. “Maintenant, je sais comment on peut se protéger et éviter les grossesses non désirées”. C’est deux ans après, en terminal, que Niama part choisir dans l’une des cliniques de planification familiale sa méthode de contraception mais à l’insu de ses parents, “qu’ils ne lui ont pas toujours parlé de la santé sexuelle”.
L’Enquête démographique et de Santé, (EDS V 2012-2013) réalisée au Mali, indique qu’en 2012, seules 10 % des femmes utilisaient des méthodes de contraception modernes. Si ce taux enregistre un gap important dans les zones rurales, l’enquête souligne un risque plus élevé de grossesses non planifiées chez les jeunes. Malgré ce risque, relève l’enquête, cette couche constitue le groupe le plus gravement sous-desservi pour accéder à des informations précises sur les services de contraception et de planification familiale.
Barrière énorme
Ina n’a pas eu la même chance que Niama. L’adolescente a eu un début de grossesse difficile qui lui a pris plusieurs semaines de repos à la maison avant d’être remise sur pied. Ces semaines se prolongent jusqu’à neuf mois. Partagée entre le regard de ses camarades de classe et amies qui ne la voyaient plus comme l’adolescente d’avant, l’élève renonce à son examen. “J’étais sous les projecteurs. On me demandait comment j’avais eu la grossesse à mon âge. Je ne savais pas comment éviter une grossesse”, affirme Ina.
L’élève se voit contraint de revoir ses plans après la venue de sa petite fille, Na. Elle n’avait personne pour garder l’enfant. “Ma maman dit qu’elle ne pouvait pas garder l’enfant parce que son restaurant lui occupait nuit et jour. J’ai donc abandonné l’école pour garder ma fille”. Et son père ? “Il m’a dit qu’ils ont déménagé, mais je n’ai plus de ses nouvelles”, répond la jeune fille. Et de poursuivre : ” il ne survient plus aux besoins de l’enfant. C’est ma maman qui s’en occupe maintenant”.
Un fait majeur lie les deux adolescentes : le manque de dialogue parents-enfants sur la sexualité. A 18 ans, elles n’ont jamais abordé ce sujet avec leurs parents. Pis, la maman d’Ina, après son accouchement, ne veut toujours pas entendre parler de planning familial.
Ce manque d’information pourrait entrainer d’autres conséquences, selon Jeanne Kamaté, sage-femme. “Les enfants aujourd’hui sont curieux. C’est indispensable de leur parler de la sexualité, de la PF. Si tu ne le fais pas, l’enfant apprendra par lui-même”, dit la sage-femme. “Si jamais elle tombe sur une personne mal informée, la conséquence est encore plus grave”, prévient-elle.
La sexualité reste une “barrière énorme” pour la PF. Aussi, les jeunes sont confrontées à d’autres problèmes, analyse Mahamadou Haddou Maïga, coordinateur de recherche, suivi et évaluation à Marie Stopes Mali. “Actuellement, quand un jeune veut avoir un service de planification familiale, il se rend au CSCOM. Là-bas, ce n’est pas un lieu propice pour lui”, explique l’agent. “Même des personnes âgées s’y rendent. En plus, cette couche est en crise d’interlocuteur. Il est bien d’écouter. Mais, l’interlocuteur est celui qui écoute et t’aide à avoir une solution à ton problème”. Ce constat a orienté Marie Stopes Mali à mettre des stratégies adaptées.
Moins de 20 ans, focus spécifique
“Nous avons constaté que les actions en matière de la planification familiale sont axées sur les hommes en général. Au lieu de mettre un focus sur un couple, pourquoi ne pas le faire sur un jeune, l’aider à préparer sa vie de jeunesse pour qu’ils puissent être un père ou une mère responsable à l’avenir”, explique le coordinateur de recherche, suivi et évaluation de l’ONG.
Dans ses stratégies élaborées, Marie Stopes Mali met un focus spécifique sur certains indicateurs “ à haut impact” dont les jeunes moins de 20 ans. Objectif : réduire le risque de grossesses non désirées en milieu scolaire. Pour y parvenir, l’ONG a d’abord mis en place des centres jeunes. “Ce sont des centres de prestation de distraction. Ils offrent des services de planification familiale. Mais à côté, nous avons mis en place des cybers et des salles de gym pour créer un cadre de vie autour de la PF”, détaille M. Maïga.
A la fin du projet des centres jeunes, l’ONG a élaboré une nouvelle stratégie. Celle-ci consiste à recruter et former des MS Ladys, (des demoiselles de Marie Stopes, des jeunes sages-femmes et infirmières de santé), des Agents de marketing social (AMS) et des pairs éducateurs.
Sira Sojourner Touré est parmi cette dernière catégorie. La jeune fille est dans ce bénévolat depuis près de quatre ans.
“La pair éducation en PF c’est l’échange entre jeunes parce que nous remarquons que les jeunes sont un peu réticents envers les adultes. Nous sommes là pour les informer, pour qu’ils puissent savoir quel choix faire au moment d’entrer dans leur vie procréative afin d’éviter des grossesses non désirées en même temps poursuivre leurs études”, raconte-t-elle, expliquant quelques techniques qu’ils développent face à un interlocuteur réticent. “Nous appliquons le conceling. C’est-à-dire, aller voir la personne après la causerie éducative, essayer de lui parler en tant qu’amie, l’écouter, voir ses problèmes”. Ça marche ? “Oui. Si elle a toujours honte de parler, nous l’orientons vers une personne adéquate et nous lui donnons le numéro de référence de la clinique Marie Stopes et là elle n’a pas besoin de faire un tête-tête. C’est gratuit sur Malitel”.
En plus des cliniques de Bamako, l’ONG a déployé au total 20 MS Ladys et près de 70 AMS dans ses six zones domaines interventions à travers le pays. Dans les établissements scolaires, les “grin” et manifestations de masse, ces jeunes sensibilisent leurs camarades sur la planification familiale, son rôle, son importance.
Cette méthode, selon le chef de recherche, suivi et évaluation, a permis de booster le nombre de jeunes au niveau des différents canaux de prestation dans les villes et au niveau des équipes mobiles qui sont en milieu rural. “Nous sentons un réel engouement de la communauté pour la PF. 90 % des clients reçus par nos équipes mobiles sont dus grâce aux AMS. Ils sont des poches très accessibles à la communauté ».
Passage réussi
Avec d’importants besoins non satisfaits de planification familiale de 30,3 %, Marie Stopes a élargi sa liste de partenariat aux établissements scolaires fondamentaux et universitaires, structures de santé et départements ministériels.
Le lycée de jeune fille Ba Aminata Diallo (LBad) est bénéficiaire de ce partenariat depuis janvier. Sous forme de jeu concours éducatif, l’organisation a sensibilisé plus de 1 700 lycéennes de LBad sur la planification familiale et la protection contre le VIH Sida. Avec ses lauréates sélectionnées, le lycée est parti en final avec une école privée de Tombouctou. Il est sorti vainqueur à la fin. L’organisation du jeu concours interscolaire a été bénéfique, témoigne Mme Koné Alima Koné, proviseur du LBad. “Elles jouaient et apprenaient en même temps. La majorité de nos élèves sont des adolescentes de 14 à 16 ans. C’était important qu’elles aient la connaissance de leurs corps, qu’elles sachent ce qui est mauvais pour elles et comment se protéger contre les maladies sexuellement transmissibles et les grossesses. Marie Stopes a levé le tabou. Depuis, je n’ai pas constaté de grossesses au sein des filles”, dit le proviseur souhaitant vivement la prochaine édition du jeu concours éducatif.
Sous l’ombre des pesanteurs socioculturelles et religieuses et du manque de dialogue parents-enfants sur la santé sexuelle et reproductive des jeunes, se trouvent plus de 1 000 autres adolescentes. Des défis, que se veut relever Marie Stopes Mali en exploitant de nouveaux créneaux. “La planification familiale n’est pas l’offre de service, mais le changement de comportement, amener la personne à changer, à voir autrement, à pouvoir maitriser son corps et à maitriser sa procréation”.
Kadiatou Mouyi Doumbia
Mali Tribune