Entrepreneur malien multifacettes, “développeur de solutions” pour concrétiser des projets, actif dans dix-huit pays africains, Samba Bathily, PDG du Groupe ADS (Africa Development Solutions), était l’invité vedette du panel consacré aux “infrastructures de transport et logistique multimodale” lors du Forum Ambition Africa 2019, organisé par Business France à Paris-Bercy, les 30 et 31 octobre. Entretien express, entre deux avions…
Arrivé de l’Arabie saoudite, vous repartez aussitôt pour Conakry, en Guinée, où la situation politique paraît actuellement compliquée…
C’est exact. Et je serai après-demain à Bamako, puis le lendemain au Sénégal et le surlendemain en Côte d’Ivoire. En Guinée-Conakry, nous, nous apportons des solutions au pays, mais on ne s’implique pas dans la politique. On est plutôt business. Chaque pays a ses réalités, mais on ne s’ingère pas dans les affaires internes du pays, on fait des affaires.
En Guinée, je travaille dans les infrastructures comme ADS (Africa Development Solutions) le fait aujourd’hui dans dix-huit pays africains. Pour nous, le continent, c’est notre aire de jeu : on a tout de suite compris qu’un seul pays ne suffit pas pour notre expansion, car nos pays sont des micro-Etats. Il faut donc que l’on sorte de ces micro-Etats.
Les besoins annuels en investissements pour les infrastructures nécessaires au continent sont estimés à plus de 170 milliards de dollars. Or, on en est à peu près à 80 milliards. Comment fait-on pour combler ce gap ?
Je pense qu’il faut d’abord que les Africains se mettent ensemble, car jusqu’à présent on ne mutualise pas les infrastructures. Ce qui fait que leurs réalisations sont beaucoup trop chères.
Je vous donne un exemple : dans n’importe lequel de nos pays, quand le ministre des Travaux publics fait construire des routes, on n’implique pas le ministère des Télécoms qui pourrait en profiter pour tirer de la fibre, ni celui de l’Energie qui pourrait tirer des lignes électriques…
Je pense donc qu’il faut revoir la conception de nos systèmes, que l’on réfléchisse à tout l’écosystème des infrastructures en Afrique, que l’on raisonne par pays, sous-région et continent. Je pense qu’en fait l’on investit actuellement autour de 50 milliards, et le gap des 100 milliards de dollars pourrait ainsi être résorbé en grande partie.
Il vous semble donc urgent de mutualiser les travaux d’infrastructures en Afrique ?
Je vous donne un exemple d’un projet que j’ai eu à faire de quelque 200 millions de dollars en Guinée, pour 4000 km de fibre optique et de l’autre il y avait un projet d’électrification. En mutualisant les deux projets sur 600 km, on a pu économiser 40 millions de dollars pour la seule et bonne raison que, dans un projet d’installation de fibre optique, 65 % du travail relève du génie civil. Il n’y a donc pas eu à faire de travaux pour installer l’électricité. Voilà un exemple concret parmi tant d’autres.
Et je suis très bien placé pour en parler, car, comme j’ai souvent plusieurs projets d’infrastructures en cours, je vois qu’il n’y a pas de synergie et que chacun réfléchit de son côté. Chaque ministère veut garder son projet alors que si l’on arrivait à mutualiser les projets d’infrastructures, déjà au sein d’un même pays, les coûts seraient au final nettement moindre.
Car quand une entreprise de génie civil mobilise des équipes pour construire une route, cela ne lui coûte rien de plus si à côté de la route elle tire des lignes électriques. Tout simplement parce que ce sont les mêmes personnels et les mêmes équipements qui sont à l’œuvre !
Il faut donc que l’on pense mutualisation, au niveau de nos pays comme à l’échelle du continent. Et d’autant plus qu’avec la création de la zone de libre-échange africaine, la Zleca, nous allons entrer dans une nouvelle ère.
L’accord instituant une “Zone de libre-échange continentale africaine” (Zleca) ne bouleverse-t-elle pas la donne économique de bien des pays ?
La Zone de libre-échange, c’est le cadre réglementaire. Il s’agit maintenant de mettre tout cela en musique, en réfléchissant à des ensembles économiques pour que les projets soient viables et que cette Zone de libre-échange nous donne accès à un marché de plus d’un milliard de personnes et, à terme, réalise près de 4000 milliards de dollars de PIB ! Mais il nous faut commencer par équiper nos pays en infrastructures de base : énergie, transports télécommunications. Avec ces infrastructures de base, je pense que l’Afrique peut déployer son potentiel.
Que préconisez-vous pour répondre aux immenses besoins énergétiques de l’Afrique ?
L’énergie est la priorité des priorités pour les infrastructures. Aujourd’hui, l’Afrique dispose de beaucoup de ressources mal exploitées. Ce n’est pas normal que sur un continent qui bénéficie de beaucoup de cours d’eau et de soleil, on produise de l’énergie à un coût aussi élevé de 20 cents de dollar par kilowattheure, contrairement à l’Asie où on en est à 4 cents.
Il faut que les Africains se mettent ensemble car bien souvent la difficulté est que les projets imaginés ne sont pas bancables parce qu’on réfléchit à la taille d’un pays de 10 ou 15 millions d’habitants.
Il faut penser en termes de corridors énergétiques. Prenons l’exemple du barrage hydroélectrique d’Inga, en RD Congo, qui pourrait fournir plus de 100 000 mégawatts à un coût de production de 3,5 cents. Cela peut changer le continent. La ressource est là !
Mais aujourd’hui, on continue de payer l’énergie jusqu’à 25 cents. Si le seul barrage d’Inga est exploité à pleine capacité, il peut nous permettre de sauvegarder et d’économiser pour l’Afrique 15 milliards de dollars, alors que le barrage lui-même va coûter 80 milliards ! Il faut -je le répète – que les Africains se mettent ensemble et réfléchissent à l’échelle du continent. Cela fera un plus grand marché, et donc les projets deviendront plus bancables. Propos recueillis par Bruno Fanucchi, Africa Presse
Source: Journal Aujourd’hui-Mali