Que représente Salif Kéita comme joueur en Afrique ? Y a-t-il eu un avant-après Salif Kéiïta ?
C’est une personnalité, une référence pour les joueurs africains qui rêvent d’Europe. Il était notamment un pionnier pour les joueurs francophones, ceux d’Afrique de l’Ouest et centrale.
Dans les années 60-70, il y a en revanche déjà des joueurs africains en Europe. D’un côté, ceux de la communauté nord-africaine, avec l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, notamment pour des raisons historiques. De l’autre, des Africains sont aussi présents, avec des joueurs qui ont déjà porté le maillot de leur pays dès les indépendances. Mais Salif Kéïta est déjà un joueur dont on parle en Afrique et notamment en Afrique de l’Ouest, avant de venir en Europe. On le surnommait Domingo. Les autres n’étaient pas forcément des très grands noms. Mais il est vrai que derrière lui, on voit arriver de nouveaux joueurs, qui ont eux aussi un destin similaire à Salif Kéita.
Je pense à Roger Milla, qui est déjà une vedette dans le football africain et camerounais, quand il arrive à Valenciennes. Il a d’ailleurs rencontré des difficultés dans ce club, où il n’a pas été bien respecté. Il y a aussi des joueurs congolais, ivoiriens, sénégalais, qui sont en France déjà. Mais des références comme Salif, à l’époque, pas encore.
Comment Salif Kéiïta est-il passé du statut de star africaine à star internationale ?
Sa trajectoire en elle-même est absolument incroyable. Nous ne sommes pas très nombreux à l’avoir vu jouer. Il est décédé à l’âge de 76 ans. Il faut être né dans les années 1950 pour l’avoir vu. Je ne l’ai personnellement admiré que sur des cassettes et dans des extraits. J’ai en revanche côtoyé le personnage. Il joue au plus haut niveau dès l’âge de 16 ans au Mali. Il est appelé en équipe nationale des jeunes. Il part faire les jeux des nouvelles forces montantes, que l’on appelait les Ganefo, en Indonésie, alors qu’il a signé une licence à l’AS Real Bamako peu de temps auparavant.
C’est le début d’un destin qui va lui faire disputer, avant de quitter l’Afrique, deux finales de Coupe d’Afrique des champions, l’ancêtre de la Ligue des Champions d’Afrique, en 1964-65 avec le Stade Malien où il avait fait un petit crochet, puis ensuite au Real de Bamako, en décembre 1966.
Dans son club, l’idée est de gagner la Coupe des clubs champions africains. Malheureusement, ils sont battus par le Stade d’Abidjan le jour de Noël 1966. Après cela et comme il a déjà tout gagné au pays, très jeune, il décide de tenter l’expatriation, à 23 ans. Il n’y a alors pas énormément de grands attaquants subsahariens, qui sont en Europe. Au milieu des années 1960, lui va partir. Sur la recommandation d’un commerçant libanais, il prend un vol pour Paris Orly. La suite de l’histoire, nous la connaissons tous, elle est entrée dans la légende.
En effet, Salif Kéïta se rend en taxi à Saint-Etienne depuis Orly. Il explique par la suite que l’AS Saint-Etienne, le club qu’il rejoignait, ne répondait pas au téléphone et que sans un sous en poche, il n’a eu d’autre choix que de prendre un taxi, qui sera payé à l’arrivée.
Le taxi le dépose devant le stade Geoffroy Guichard et il y fait une carrière incroyable, chez les Verts de l’AS Saint-Etienne. C’est un destin assez incroyable, un destin fou, d’un jeune homme qui était un grand attaquant déjà très jeune et qui est devenu celui que les Français ont appelé “La Panthère Noire”, à Saint-Etienne, puis un peu à Marseille, à Valence en Espagne et ensuite au Sporting du Portugal à Lisbonne. Enfin, il termine sa carrière à la fin des années 70, dans un club aux Etats-Unis.
Quelle était sa façon de jouer ?
Il a appris à jouer dans la rue à Bamako et n’a pas été formaté, ni par des entraîneurs à Bamako ni par la suite en Europe. Il avait ce football d’instinct. D’autre part, les surfaces de jeux des jeunes, sur le continent africain, sont souvent difficiles, avec beaucoup de faux rebonds, avec beaucoup d’herbe et plutôt du sable ou de la terre battue. Il faut donc maîtriser l’objet.
Cela explique, parfois, le jeu qu’il a pu avoir, assez impétueux avec le ballon et en même temps puissant, avec de la vitesse, de l’efficacité, de l’adresse. Mais il lui a fallu apprendre à dominer le ballon pour devenir le grand attaquant qu’il a été, notamment à l’AS Saint-Etienne. Vous ne marquez pas 42 buts par le fruit du hasard. C’est énorme pour les années 70.
Dans les années 2000, nous avons eu Messi ou Ronaldo qui pouvaient avec leurs clubs marquer eux aussi des 40 buts, mais ils avaient toute une équipe à leurs services. Salif, lui, était au service de son équipe. C’est pour cela que ses statistiques sont ébouriffantes.
C’est un technicien mais surtout un chasseur de but, un joueur qui aux abords de la surface de réparation, est extrêmement adroit. Pour être bon, il faut qu’il soit en pleine possession de ses moyens. Malheureusement, lors de la CAN 1972 au Cameroun, il est blessé à la cheville.
Il s’y rend pour aider les Aigles du Mali, mais comme il est diminué, il manquera dans les matchs importants et notamment dans la finale contre le Congo-Brazzaville. Les Aigles perdront cette finale sans lui. Il était une pièce importante. Amoindri, il n’était pas non plus le même joueur. Il ne pouvait pas s’en remettre qu’à sa technique.
Salif Kéïta s’est illustré dans le foot, mais sa carrière ne s’arrête pas à ce sport. Qu’a-t-il fait à la fin de sa carrière ?
Il ne faut pas dissocier l’homme de l’athlète. Nous avons évoqué sa technique, son palmarès, mais c’est aussi un dirigeant. Au Mali, il a été ministre dans la première transition, en 1991, il a été président de la Fédération malienne de football pendant cinq ans, il a créé le centre Salif Kéïta qui a vu naître de très belles pousses, notamment son neveu Seydou Kéïta.
Ce dernier a eu une carrière admirable avec le Mali, avec Barcelone, etc. Salif, dans l’après foot, a également fait des études aux Etats-Unis, puis il a été gérant d’un hôtel où j’ai moi-même résidé, au début des années 1990, à Bamako. Salif Kéita est un tout. Il a fait de nombreuses choses dans son après-carrière. Il a certes été un grand joueur, il a fait de grandes choses, mais pas seulement avec un ballon rond.
Par Séraphine Charpentier