Pendant des décennies, Paris et Washington ont coordonné leurs efforts diplomatiques et militaires en Afrique, partageant une vision commune de la lutte contre le terrorisme et de la stabilisation des États fragiles. Cette alliance, forgée dans le creuset de la Guerre froide, s’est renforcée au lendemain du 11 septembre 2001, lorsque le Sahel est devenu un front majeur de la guerre contre le terrorisme. Les deux puissances occidentales ont alors multiplié les initiatives conjointes, partageant renseignements et ressources logistiques pour contrer la montée en puissance des groupes djihadistes dans la région.
Une diplomatie américaine discrète mais active
Cependant, des signes de changement se font jour. Selon des révélations récentes de la presse française, les États-Unis auraient discrètement dépêché des émissaires de haut rang dans plusieurs capitales sahéliennes. Ces missions, menées sous l’égide de John Bass, sous-secrétaire d’État aux Affaires politiques, et de Christophe Maier, secrétaire adjoint à la Défense chargé des Opérations spéciales, soulèvent des interrogations quant aux intentions américaines dans la région.
Ces déplacements, qui n’ont pas échappé à la vigilance des services de renseignement français, semblent indiquer une volonté de Washington de reprendre pied dans des pays où sa présence s’était estompée. Au Tchad, les émissaires américains ont renoué le dialogue avec le président Mahamat Idriss Déby, ouvrant la voie au retour d’un contingent militaire américain dédié à la lutte antiterroriste. Au Niger, des tractations secrètes laissent entrevoir la possibilité d’un retour des forces américaines, pourtant contraintes au départ il y a peu.
Un jeu d’échecs à trois
Cette offensive diplomatique américaine s’apparente à un coup de billard à trois bandes. D’une part, elle vise à contrecarrer l’influence grandissante de la Russie, qui a su habilement exploiter le vide laissé par le retrait français dans certains pays. L’Africa Corps, structure paramilitaire pilotée par Moscou, s’est en effet imposé comme un acteur incontournable dans plusieurs États sahéliens.
D’autre part, cette manœuvre semble reléguer la France au second plan, remettant en question des décennies de prééminence française dans son pré carré africain. Pour Paris, c’est un coup dur qui s’ajoute à une série de revers diplomatiques et militaires dans la région.
Enfin, cette stratégie américaine pourrait bien être le prélude à une redéfinition plus large de l’engagement occidental au Sahel. En privilégiant une approche plus discrète et ciblée, Washington cherche peut-être à éviter les écueils rencontrés par la France, dont la présence militaire visible a cristallisé les ressentiments d’une partie des populations locales.
Vers un nouveau paradigme sécuritaire ?
Cette évolution de la posture américaine au Sahel pourrait annoncer un changement de paradigme dans l’approche sécuritaire de la région. Là où la France avait misé sur une présence militaire massive et visible, incarnée par l’opération Barkhane, les États-Unis semblent opter pour une stratégie plus feutrée, privilégiant les opérations spéciales et le renforcement des capacités locales.
Ce repositionnement américain intervient à un moment crucial pour le Sahel. Face à la persistance de la menace terroriste et à la multiplication des coups d’État, la région est en quête d’un nouveau modèle de sécurité collective. Dans ce contexte, l’approche américaine, si elle se confirme, pourrait offrir une alternative au schéma français, perçu par certains comme trop intrusif.
Toutefois, ce revirement potentiel de Washington soulève des questions quant à la cohérence de l’action occidentale dans la région. Une divergence trop marquée entre les stratégies française et américaine risquerait de créer des failles dont pourraient profiter les groupes terroristes ou les puissances rivales comme la Russie et la Chine.
L’avenir des relations franco-américaines au Sahel reste incertain. Si les États-Unis semblent effectivement prendre leurs distances avec la politique française dans la région, il est peu probable qu’ils abandonnent totalement leur allié historique. Plus vraisemblablement, nous assisterons à une redéfinition des rôles et des responsabilités de chacun, dans un Sahel en pleine mutation géopolitique.
Source: lanouvelletribune