L’opposante Diane Rwigara et sa mère Adeline ont été acquittées, jeudi 6 décembre, par la Haute Cour de Kigali. Les juges n’ont pas suivi les réquisitions de l’accusation, qui avait demandé 22 ans de prison pour « incitation à l’insurrection », « faux et usages de faux » et « promotion du sectarisme ».
La Haute Cour de Kigali a annoncé l’acquittement de Diane Rwigara et de sa mère Adeline poursuivies pour « incitation à l’insurrection » et « faux et usages de faux » dans le cas de l’opposante, et « incitation à la violence » pour sa mère. Le 7 novembre, jour de l’ouverture du procès, cinq heures avaient suffi à la justice rwandaise pour boucler les audiences. Les juges ont décidé de ne pas suivre les réquisitions du Parquet, qui avait demandé la peine maximale pour ces chefs d’accusation, soit 22 ans de prison. Le verdict marque la fin d’un feuilleton judiciaire de plus d’un an.
L’affaire Rwigara commence en 2017. Le 3 mai, Diane Rwigara annonce sa candidature en tant qu’indépendante à l’élection présidentielle. Le 7 juillet, sa candidature est retoquée par la Commission électorale rwandaise (NEC), qui argue de la présence de plusieurs fausses signatures figurant sur la liste des parrainages.
Le 29 août 2017, la police rwandaise mène une perquisition au domicile de la famille Rwigara, qui débouche sur la saisie de sommes en liquide (130 000 dollars), d’ordinateurs et de téléphones portables. Les policiers agissent alors dans le cadre de deux procédures : une première visant les signatures présumées falsifiées figurant au dossier de candidature de Diane Rwigara, une seconde portant sur des soupçons de fraudes fiscales pesant sur l’entreprise familiale Premier Tobacco Company, gérée à l’époque par la sœur de Diane, Anne Rwigara.
Diane Rwigara, sa mère, Adeline, et sa sœur Anna sont placées en détention provisoire le 24 septembre à la prison 1930 de Kigali. Le 23 octobre, les charges contre Anne Rwigara seront finalement abandonnées.
Preuves insuffisantes
Après plus d’un an de procédure, les juges de la Haute Cour de Kigali n’ont pas retenu la charge d’« incitation à l’insurrection » contre Diane Rwigara. Celle-ci se basait sur les propos tenus lors d’une conférence de presse, le 14 juillet 2017, au cours de laquelle la candidate avait annoncé le lancement de son mouvement, le People Salvation Movement.
Elle avait alors notamment évoqué le décès de son père, l’homme d’affaires Assinapol Rwigara. Qualifié de « financier » du Front patriotique rwandais, celui-ci a trouvé la mort en février 2015 dans un accident de la route. Une version contestée par la famille, qui évoque alors un assassinat déguisé.
Pour l’accusation de « faux et usage de faux », les juges ont en revanche estimé que, si les faux ont bel et bien été attesté, un doute persistait sur la responsabilité de Diane Rwigara. Les preuves apportées par l’accusation, notamment les résultats du Kigali Forensic Laboratory qui a analysé l’authenticité des signatures, ne constituent pas des preuves suffisantes pour prouver sa culpabilité, ont tranché les juges.
L’accusation reprochait notamment à la candidate d’avoir recueilli les signatures de personnes décédées ou qui se trouvaient hors du pays parmi les 600 qu’elle a présenté à la NEC. D’autres signataires figurant sur cette liste nient avoir apporté leur soutien. Pour la Cour, ces témoignages ne suffisent pas non plus à prouver la responsabilité de Diane Rwigara dans la falsification des signatures.
Au cours de son procès, la défense de Diane Rwigara a regretté qu’« aucune des personnes dont la signature a été imitée n’a été convoquées lors du procès ». Selon les avocats de Diane Rwigara, la candidate avait demandé à ses relais sur le territoire de collecter des signatures et n’était donc pas consciente de l’usage du faux.
« Pourquoi ces gens là n’ont pas été poursuivis ? », a interrogé Me Pierre-Célestin Buhuru avant le verdict. « C’est un procès qui aurait pu durer un an, si on avait entendu tous les témoins », s’est-il également agacé. Joint par Jeune Afrique, le Parquet n’a pas souhaité commenter.
Conversations privées
La mère de Diane, Adeline Rwigara, était également poursuivie pour « incitation à la violence » et « promotion du sectarisme », des charges fondées sur le contenu de messages WhatsApp audios envoyés notamment à sa sœur, Tabitha Mugenzi. Adeline Rwigara a reconnu que les téléphones retrouvés par la police sur lesquels figuraient ces enregistrement lui appartenaient. « Nous estimons que l’incitation à l’insurrection ne peut pas être retenue dans ce cas là, dans la mesure où les échanges en question n’ont pas été partagés avec le public, ce sont des conversations privées », expliquait Me Gatera Gashabana après les réquisitions. Un avis partagé par les juges de la Haute Cour dans leur verdict.
Ce procès, que les partisans de l’opposante qualifient de « politique », a beaucoup fait réagir à l’étranger où elle a reçu le soutien de plusieurs ONG, dont Human Rights Watch et Amnesty International. Le soutien d’un groupe de congressistes américains de la Tom Lantos Human Rights Commission, qui a appelé, le 4 décembre, à l’abandon des charges contre l’opposante, a eu le don d’irriter Kigali.
« Nous estimons que les propos de ces membres du Congrès américain sont une atteinte à notre souveraineté et une ingérence dans les activités de la justice rwandaise, qui est un pouvoir indépendant. Le Congrès américain n’a aucune autorité sur le Rwanda, et encore moins sur sa justice. Les juges vont se prononcer en fonction des pièces du dossier et non des pressions extérieures », a martelé le secrétaire d’État au ministère des Affaires étrangères du Rwanda, Olivier Nduhungirehe.
Jeune Afrique