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Revue de presse. Afrique du Nord : L’Internationale berbère entre érosion et résistance

Du Maroc à l’Égypte, en passant par le Mali et le Niger, les Berbères occupent une place à part. Souvent marginalisée par les États, la culture amazigh a survécu. Au prix d’une lutte constante.

Maroc

manifestation berbere afrique nord

Du bout des lèvres…

Un juillet 2011, le Maroc est devenu le premier pays à reconnaître la langue amazigh comme langue officielle. C’est à la fois une victoire et un défi pour les militants de la diversité culturelle au sein du royaume. Car il y a loin de la coupe aux lèvres. Un exemple : les prénoms. Régulièrement, des officiers de l’état civil rechignent à enregistrer des prénoms à consonance amazigh, voire refusent. Les parents les plus motivés vont jusqu’au contentieux administratif, les autres rejoignent la cohorte des déçus, blessés et amers de voir une partie de leur identité niée. Mohand Laenser, le ministre de l’Intérieur, a annoncé en avril une énième levée de l’interdiction. Dans les faits, une ancienne circulaire a été renvoyée aux services administratifs, ce qui n’a pas empêché un père résidant en Espagne de se voir refuser l’inscription de sa fille Sifaw au consulat marocain de Valence, en mai.

La généralisation de l’enseignement de la langue, lancée en 2003, n’avance pas. En 2012, seuls 2 % des écoles et 15 % des élèves y avaient accès, selon les chiffres du ministère de l’Éducation nationale. Pour rappel, l’objectif est d’en faire une langue d’enseignement obligatoire pour tous. Le débat politique sur le tifinagh, la graphie retenue officiellement en 2003, affleure à nouveau. À l’époque, 31 des 33 partis représentés au Parlement avaient opté pour le tifinagh, un choix du mouvement amazigh qui permettait d’éviter la graphie arabe ou latine. Or le Parti de la justice et du développement (PJD) et l’Istiqlal, qui s’y étaient opposés, mènent aujourd’hui respectivement la coalition gouvernementale et l’opposition parlementaire.

Depuis l’indépendance, le « berbérisme » était regardé avec suspicion par les nouvelles élites nationalistes. Il a longtemps été associé au colonialisme à cause du dahir berbère [décret de 1930, qui a instauré des tribunaux coutumiers] puis dominé par le modèle panarabe, alors porté par les idéologies nassériste et baasiste. Pourtant, les Amazighs existent. C’est même une évidence anthropologique. Et plutôt trois fois qu’une. Dans le Rif (Nord), dans le centre du pays, et dans le Souss (Sud), on parle respectivement tarifit, tamazight et tachelhit. Ces trois dialectes – le terme est impropre et peut froisser certaines susceptibilités – reflètent les variantes régionales d’une langue et d’une culture restées vivaces.

C’est la défense de ce patrimoine qui préside à la fondation, en 1967, de l’Association marocaine de recherche et d’échanges culturels (Amrec). La neutralité de son nom témoigne de son caractère universitaire. Dès les années 1970, le mouvement prend un tournant plus politique, avec la création, en 1978, de l’association Tamaynut. Il s’agit d’internationaliser la question amazigh, en mobilisant la diaspora (lire p. 31) et en s’appuyant sur les textes protecteurs des droits de l’homme, notamment les conventions internationales sur les droits culturels et linguistiques. En 1991, Tamaynut traduit la déclaration universelle des droits de l’homme en tamazight. Dans les années 1990 et 2000, la jonction se fait avec le mouvement altermondialiste, dans le sillage des forums sociaux.

Algérie

Printemps fugace

Kabyles, Chaouis, Mozabites, Touaregs, Chenouis… Ils seraient quelque 7,5 millions à faire partie de cette communauté berbère, descendants des Amazighs qui peuplaient déjà l’Afrique du Nord plusieurs siècles avant Jésus-Christ. Bien qu’ils constituent presque un quart de la population et que de grandes figures de cette communauté aient activement pris part à la guerre de libération, les Berbères ont subi une politique d’exclusion de la part du pouvoir central. Dans les années 1960 et 1970, il était même très malvenu de se revendiquer amazigh, et certains militants de cette cause – comme l’écrivain Mouloud Mammeri ou des chanteurs Ferhat Mehenni et Idir – ont été persécutés ou contraints à l’exil. Au lendemain de l’indépendance, dans une Algérie régie par un parti unique, le Front de libération nationale (FLN), la question relevait du tabou. Il a fallu le Printemps berbère d’avril 1980 pour que les autorités acceptent de reconnaître le berbère comme composante de l’identité et de la culture algériennes, aux côtés de l’arabité et de l’islam.

Le paradoxe est que plusieurs personnalités berbères ont exercé ou exercent encore de très hautes fonctions. L’ancien président Liamine Zéroual et l’ex-chef du gouvernement Ali Benflis sont chaouis, originaires de Batna (dans les Aurès). Abdelmalek Sellal, l’actuel Premier ministre, et Ahmed Ouyahia, son prédécesseur, sont kabyles. Des généraux aussi : Mohamed Mediène, dit Toufik, patron des services de renseignements, est issu de la petite Kabylie ; Gaïd Salah, vice-ministre de la Défense et chef d’état-major, ou Khaled Nezzar, l’ex-patron de l’armée, sont natifs de Batna.

Le tamazight est enseigné dans les établissements scolaires (primaire, collège et lycée) depuis la grève du cartable de 1994 à 1995, mais son apprentissage jusqu’au début des années 2000, sous l’autorité du Haut Commissariat à l’amazighité (HCA), se limite aux régions berbérophones par manque de moyens et d’enthousiasme des populations arabophones…

En avril 2001, la mort d’un lycéen enflamme la Kabylie et donne naissance à un mouvement citoyen, porteur de revendications politiques, sociales et culturelles contenues dans la fameuse « plateforme d’El Kseur ». Alger donnera satisfaction aux populations, en avril 2002, par l’insertion dans la Constitution d’un article reconnaissant le tamazight comme langue nationale et par le versement de compensations financières aux victimes de la répression. Si le mouvement populaire s’est depuis dissous et si ses animateurs sont retombés dans l’anonymat, onze ans plus tard les Berbères ne continuent pas moins de demander l’inscription dans la Constitution du tamazight comme langue officielle, au même titre que l’arabe.

Tunisie

Identité perdue

Au fil des invasions et des métissages, la Tunisie a perdu sa berbérité, que tous les pouvoirs successifs ont perçue comme un élément de sédition et de séparatisme. Si la révolution de 2011 a suscité un nouvel engouement pour les Amazighs, celui-ci relève surtout d’une réaction au débat qui entoure l’identité arabo-musulmane des Tunisiens. Associations et festivals sont souvent organisés pour perpétuer les traditions, bien que le texte de la loi fondamentale ne mentionne toujours pas les origines berbères de la Tunisie. Pourtant, plus de 150 000 locuteurs continueraient de pratiquer le chelha, l’idiome des ancêtres. « Sous Bourguiba et Ben Ali nous avons été marginalisés ; l’arabe et le français, langues de colonisation, ont pris le pas sur le berbère, qui semblait incompatible avec la modernité » explique Chérif Dergaa, originaire de Djerba, et membre de Culture et Patrimoine amazigh.

Aujourd’hui, la question berbère est avant tout culturelle. Le mouvement reste trop timide pour aborder des questions politiques et constituer un rempart aux modèles politico-religieux importés du Moyen-Orient. Les courants religieux conservateurs sont fortement implantés dans des régions où les foyers berbères ont toujours été présents même s’ils s’amenuisent. L’héritage amazigh en tant que composante de l’identité du pays n’est reconnu que timidement. En revanche, les distributeurs de journaux à Tunis, tous originaires de Douiret, comme Mohamed Daadaa, le patron de la corporation, utilisent encore le chelha pour communiquer entre eux. Mais ni Brahim Kassas, ni Habib Bribech, ni Said Kharchoufi, élus à l’Assemblée nationale constituante, n’ont évoqué jusqu’à présent leurs racines berbères.

Mali-Niger

Guerres et paix

Parfois marginalisés au sein du monde berbère, les Touaregs (ou Kel Tamasheq), que des estimations très vagues situent à près de 3 millions d’individus, le sont plus sensiblement encore dans les États au sein desquels ils évoluent, et qui les perçoivent souvent comme des « corps étrangers ». L’anthropologue André Bourgeot notait au début des années 1990 qu’ils faisaient l’objet, selon qu’ils vivaient en Algérie, en Libye, au Burkina Faso, au Mali ou au Niger, de politiques « qui visaient soit à marginaliser […] soit à œuvrer à leur assimilation économique, politique et culturelle ». « Dans les deux cas, écrivait-il, marginalisation et/ou assimilation s’inscrivent dans une volonté des États indépendants de rompre avec la politique de la puissance coloniale », laquelle, après avoir détruit le pouvoir guerrier des Touaregs, les utilisa comme de précieux relais dans le Sahel et dans le Sahara. Au Niger et au Mali, deux États tournés vers l’Afrique noire, cette marginalisation, couplée à l’irrédentisme de certaines tribus, à la crise du nomadisme qui a suivi les indépendances et à l’exode vers la Libye des années 1970, n’a pas eu la même ampleur. Mais elle a eu les mêmes effets : aux revendications d’ordre communautaire ont succédé des révoltes armées, des accords de paix ou des répressions, puis un calme précaire, suivi de nouvelles révoltes.

Au Mali, le problème est apparu dès l’indépendance, lorsque les notables de Kidal se sont opposés à leur intégration dans l’ensemble malien. Première rébellion dès 1963, violemment réprimée, deuxième en 1990 (et premiers accords de paix fragiles en 1992 et 1996), troisième en 2006, et la dernière en 2012, qui a provoqué l’irruption des mouvements jihadistes armés et la partition du pays. Cette crise est loin d’être réglée. Si une partie des Touaregs du Mali rejette la violence armée, et si des notables clament leur attachement à la nation malienne, beaucoup sont sensibles au rêve, sinon de l’indépendance, du moins de l’autonomie telle que prônée par le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA).

Les leaders de la rébellion dénoncent le sous-développement du « pays » qu’ils partagent avec les Songhaïs, les Peuls, les Arabes et les Bellas. Une réalité que l’on ne nie pas à Bamako, où l’on rétorque cependant que des efforts ont été faits ces dernières décennies et où l’on met en avant l’intégration, souvent à marche forcée, de nombreux Touaregs (et Arabes) dans l’armée et l’administration.

Au même moment, au Niger, le spectre d’une troisième rébellion armée semble s’éloigner. Des efforts ont été consentis depuis la première révolte pour intégrer les Touaregs dans l’armée et l’administration (comme l’actuel Premier ministre, Brigi Rafini), et la décentralisation est effective depuis quatre ans. Le risque d’un nouveau soulèvement dans le Nord n’est cependant pas totalement écarté : alors que le Niger est considéré comme l’un des pays les plus pauvres du monde, le septentrion n’attire plus les touristes et ne profite pas pleinement des richesses de son sous-sol, ce qui alimente la colère des jeunes Touaregs, dont certains ont entrepris de rejoindre les groupes armés libyens ou les mafias locales.

Libye 

“Azul tagrawla !” (Bonjour révolution !)

Divine surprise de la révolution du 17 février ou menace contre l’identité unitaire de la Libye ? Qu’importe, la question amazigh est apparue sur la scène politique et une chose est certaine : le temps est révolu où Mouammar Kaddafi pouvait déclarer, péremptoire, que « l’amazighité a disparu ». Adepte des explications pseudo-historiques, il racontait que tous les habitants d’Afrique du Nord étaient originaires du Yémen, venus par voie terrestre (barr, en arabe, la répétition donnerait « berbère »). En septembre 2012, au lendemain de la chute de Tripoli, les drapeaux qui accueillirent Mustapha Abdeljalil, le président du Conseil national de transition (CNT), étaient majoritairement frappés d’un Z (en alphabet tifinagh, lire ci-dessous). Plus présents qu’en Cyrénaïque, où ils se concentrent dans l’oasis d’Oujla, les tigrawlin [rebelles] ont joué un rôle décisif sur le front de l’ouest. Dans le Djebel Nefoussa, ils ont été les premiers à réceptionner les armes venues de l’étranger et ont multiplié les foyers de résistance autour de la capitale. Certains de leurs leaders sont parvenus à gravir les échelons du CNT, comme Othman Ben Sassi ou Salem Gnane, compagnon de route de Mansour Kikhia, célèbre opposant à Kaddafi. Cet activisme n’a pourtant pas porté ses fruits sur le plan politique. Malgré quelques élus au Congrès national général (CNG), les rares voix amazighs sont comme éclipsées par la tension grandissante qui oppose le gouvernement d’Ali Zeidan, les Frères musulmans et les fédéralistes.

Dans ce contexte, la revendication de l’officialisation de la langue et de la reconnaissance de la culture n’avance pas. Nouri Bousahmein, élu de Zouara, a succédé à Mohamed el-Megaryef comme président du CNG en juin dernier. C’est le plus haut poste jamais occupé par un Amazigh. Un symbole, sans plus. Quelques semaines plus tard, les élus amazighs ont décidé de se retirer du Parlement. « Nous n’acceptons pas que la Constitution soit adoptée selon un principe majoritaire, alors que nous sommes sous-représentés dans la Constituante », lancent-ils pour expliquer leur décision de boycotter la commission des 60. Fethi Benkhalifa, ancien conseiller du CNT et aujourd’hui président du Congrès mondial amazigh (CMA), principal rassemblement de la diaspora, menace : « Ceux qui nous croient faibles se trompent lourdement. Les Amazighs ont les moyens de résister. Ils l’ont montré sous Kaddafi, pendant la révolution du 17 février. Nous continuerons, s’il le faut. »

Égypte

Une oasis dans la tourmente

Un havre de verdure en plein milieu du désert libyque : l’oasis de Siwa, palmiers et maisons de terre en guise de décor, abrite ce qui serait la seule population berbère d’Égypte. Située à la frontière de la Libye, la zone, autrefois très touristique, est aujourd’hui confrontée à l’instabilité non seulement de son voisin, mais aussi du pays tout entier. Comme leurs cousins de la région, les Berbères de Siwa ont longtemps dénoncé la marginalisation de leur culture par les pouvoirs successifs. Difficile cependant pour les 150 000 Amazighs de l’oasis de se faire entendre dans le pays le plus peuplé d’Afrique du Nord où la révolution a laissé place à un imbroglio politique.

Fin 2012, le Congrès mondial amazigh (CMA) s’inquiétait de l’attitude des Frères musulmans à leur égard. Relayé par l’Agence kabyle d’information Siwel, l’appel de la militante Amani El Ouahchi, conseillère au sein du CMA, était très vindicatif : les Amazighs égyptiens pourraient prendre les armes. L’oasis deviendrait alors, selon elle, un nouveau Sinaï, région régulièrement endeuillée par des attaques armées.

Source: Jeune Afrique

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