La réouverture des dossiers d’acquisition de l’Avion de commandement du Président de la République et l’achat des équipements militaires sème une grande panique au sommet de l’Etat. Ces affaires datant de 2014 et ayant coulé beaucoup d’encre et de salives impliquent des proches du Président Ibrahim Boubacar Kéïta, lesquels s’étaient barricadés derrière le fameux secret de défense. Un dossier hyper sensible entre les mains du Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de la Commune III, en charge du Pôle Economique et Financier de Bamako, Mamoudou Kassougué.
« Nous avons remis un autre dossier d’acquisition d’avion, notamment l’avion présidentiel et le dossier d’équipements militaires. Nous avons décidé avec courage et détermination de rouvrir ce dossier parce qu’il y avait un classement sans suite ». Extraits de l’interview accordée à l’Ortm, le 24 janvier 2020, par le ministre de la justice et des droits de l’homme, garde des sceaux, Me Malick Coulibaly. Une annonce qui ne manquera pas de semer une panique au sein de certains cercles du pouvoir qui se croyaient à l’abri des convocations des enquêteurs du Pôle économique et financier de Bamako. Car, l’ancien Procureur de la République en charge du Pôle économique et financier, Mamadou Bandiougou Diawara, avait classé sans suite cette affaire. Une décision motivée à l’époque par l’article 9 de la directive N°04/2005/CM/UEMOA du 9 décembre 2005 portant procédures de passation d’exécution et de règlements des marchés publics. Selon cet article, «la présente réglementation ne s’applique pas aux marchés de travaux, de fournitures et services, lorsqu’ils concernent des besoins de défense et de sécurité nationales exigeant le secret ou pour lesquels la protection des intérêts essentiels de l’Etat est incompatible avec des mesures de publicité ». Une décision légale qui a été perçue à l’époque par de nombreux observateurs comme une façon de soustraire des mailles de la justice les hauts responsables du régime en place. Et cela en dépit de l’existence des rapports du Bureau du Vérificateur général et de la Section des Comptes de la Cour Suprême. Le rapport explosif du Vegal avait décelé des irrégularités financières d’un montant de 28.549.901.190 FCFA.
Sous la pression des partenaires techniques et financiers notamment le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale qui avaient gelé leur partenariat avec le Mali, le Premier ministre de l’époque Moussa Mara avait saisi ces structures afin qu’elles puissent enquêter sur cette affaire mise sur la place publique par le Parena de Tiébilé Dramé, aujourd’hui ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale.
Dans les jours à venir, si ce n’est pas commencé, les enquêteurs du Pôle économique et financier de Bamako devraient commencer à entendre des personnalités comme Soumeylou Boubèye Maïga, ex ministre de la défense et des anciens combattants, Mme Bouaré Fily Sissoko, ancienne locataire de l’hôtel des Finances, Moustaph Ben Barka, ex ministre délégué en charge des investissements, Mahamadou Camara, ancien directeur de cabinet de la Présidence de la République et Sidi Mohamed Kagnassy, ex conseil spécial du président de la République. Il y a d’autres cadres qui ont participé à différents niveaux au montage de ces dossiers. Le Chef de l’Etat, Ibrahim Boubacar Kéïta, a été contraint, un moment donné, de s’éloigner de ces personnalités même si certaines sont revenues rapidement en grâce.
Ancien Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, président de l’Asma CFP, dirigeait le département de la défense et des anciens combattants au moment des faits. Limogé ou démissionné à la suite des douloureux événements de Kidal en mai 2014, l’ancien directeur général de la Sécurité d’Etat a croisé le fer avec le Bureau du Vérificateur général sur cette question. Premier ministre de l’économie et des finances sous l’ère IBK, Mme Bouaré Fily Sissoko est actuellement commissaire à l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa). En janvier 2015, elle a quitté l’équipe gouvernementale. Moustaph Ben Barka est l’actuel secrétaire général de la Présidence de la République. Avant de regagner le palais de Koulouba, il fut ministre délégué en charge de la promotion des investissements puis ministre de l’industrie et de la promotion du secteur privé. Dans quelques jours, il prendra fonction à la Banque ouest africaine de développement (Boad) en qualité de vice-président. Cette nomination sur proposition du gouvernement du Mali est aujourd’hui assimilée à une opération d’exfiltration visant à mettre à l’abri des poursuites judiciaires ce proche de la famille présidentielle qui n’a pas connu de disgrâce à l’image de Mahamadou Camara et Sidi Mohamed Kagnassy.
Qui a fait quoi ? Le président IBK a-t-il donné des instructions à certaines personnalités pour orienter le dossier ? Les ministres Soumeylou Boubèye Maïga et Fily Sissoko accepteront-ils de couler seuls ? Le Président IBK va-t-il accepter la comparution de ces anciens collaborateurs avec lesquels il partage beaucoup de secrets ? Pourquoi le nom de l’ami du président IBK, Michel Tomi, « le parrain des parrains », apparait beaucoup dans ce dossier ? Dans l’acquisition de l’Avion présidentiel, le gouvernement avait-il besoin de payer les services d’un intermédiaire à coup de millions ?
En tout état de cause, le ministre de la justice et des droits de l’homme, garde des sceaux, Me Malick Coulibaly, affiche sa détermination et récemment, le Président de la République Ibrahim Boubacar Kéïta a insisté sur le fait qu’il n’intercéderait point auprès de la justice pour qui que ce soit. « Au regard de l’état de déliquescence de notre Etat, au regard du mauvais rôle joué par la délinquance financière dans cet état de déliquescence, ne pas combattre énergiquement la délinquance financière n’est pas de l’irresponsabilité, c’est de l’ignominie. En tant que gouvernement responsable, il faut engager de façon énergique et déterminée cette lutte implacable contre la corruption qui n’est dirigée contre personne ni au profit de personne mais pour faire en sorte que, dans notre pays, nous puissions avoir un autre regard, une autre conduite envers la chose publique », a confié le ministre Coulibaly à l’Ortm.
Les pendules sont suspendus à l’heure du Procureur de la République Mamoudou Kassougué et ses enquêteurs du Pôle économique et financier de Bamako. En dépit des arrestations, l’opinion reste dubitative jusqu’à ce que les filets de la justice attrapent de gros poissons dans le cadre de la lutte contre la corruption et de la délinquance financière.
Affaire à suivre
Daouda T. Konaté
Source: L’Investigateur