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Réfugiés: «dans le camp, l’espace et le temps sont bouleversés»

Choucha est un camp tunisien de réfugiés, situé à cinq kilomètres de la frontière avec la Libye. Il a ouvert en février 2011, au début de la révolution libyenne, et a officiellement fermé le 1er juillet 2013, après le départ du Haut-commissariat de l’ONU pour les réfugiés (UNHCR).

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Samuel Gratacap, photographe français de 32 ans, lauréat du prix BAL de la jeune création, y a effectué plusieurs séjours sur trois ans, dont une année de juillet 2012 à juillet 2013. Ses images et les témoignages rapportés de cet « Empire » personnalisent des masses trop souvent indifférenciées de migrants qui retrouvent ici dignité et identité.

RFI : Quel est ton premier souvenir de Choucha ?

Samuel Gratacap : C’est celui d’une rencontre avec un Somalien, lors de mon arrivée dans le camp en janvier 2012. J’y étais alors pour trois jours, j’accompagnais une journaliste. C’est lui qui m’interpelle. Il veut me parler de ses conditions de vie et de sa réponse de demandeur d’asile qui ne vient pas. Il y a aussi cet autre homme, tchadien, qui retire une feuille A4 de sa poche et me la montre, bras tendu. Il semble abattu, fatigué. Le document lui signifiait le rejet, définitif, de sa demande d’asile. La vie, l’avenir de cet homme tenait sur ce bout de papier.

Durant ces premiers jours dans le camp, j’ai été marqué par le lieu. J’ai fait peu d’images. J’étais frustré. Je n’avais que des fragments de réalité. Je voulais en savoir plus sur le parcours de ces personnes, sur le lieu et son organisation administrative. Un endroit créé à partir de rien. Surexposé à la lumière avec des personnes sous-exposées médiatiquement. J’ai décidé d’y revenir.

Tu t’installes dans le camp ?

A la fois dans la ville voisine, Ben Guerdane, et dans le camp. Sur place, c’est la communauté ivoirienne qui m’a accueillie. Nous avions la langue en commun. Elle me propose un espace où dormir et me nourrit même. Dès lors, je ne suis plus un simple photojournaliste. Je monte alors un projet de volontariat pour une ONG danoise d’initiation à la photographie argentique pour les jeunes. L’atmosphère est tendue, autour des tentes de l’administration mais aussi entre les réfugiés. La fatigue, la chaleur, la maladie, l’inquiétude… En parallèle, je commence un travail de cartographe…

… « cartographe profane » dis-tu…

Oui ! J’étais entré par le nord du camp. Et quand j’ai montré mon travail à une vraie cartographe, elle m’a dit que mon plan était orienté nord-sud et non sud-nord comme toutes les cartes ! Je commence donc à compter les tentes et à les dessiner sur des feuilles que je scotche entre elles. J’avais besoin d’avoir une vision globale de ce territoire qui ne figure sur aucune carte. J’ai établi une échelle, j’ai vectorisé le plan. J’ai dû arrêter, car le camp est situé sur un terrain militaire. Je ne voulais pas avoir d’ennui. Mes allers et venues faisaient rires certains réfugiés. Cela créait des conversations. C’était aussi pour m’excuser d’être là. Les gens ont fini par m’identifier, les rapports se sont normalisés. Cela a facilité le travail photographique, qui peut être parfois très intrusif et brutal.

L’espace et le temps sont au cœur de ton travail photographique et filmographique. Quel est le quotidien d’un camp comme Choucha ?

Le temps est marqué par l’attente. L’anthropologue Michel Agier parle de « personnes suspendues en migration ». Cette formule est éloquente pour expliquer ce qu’est Choucha, un camp de transit provisoire mais où des gens vivent jusqu’à plusieurs années. Lorsqu’une personne arrive dans le camp, on lui attribue un numéro, puis il est reçu en entretien. On lui pose des questions sur son pays d’origine, son parcours. Cet entretien déterminera son avenir, à savoir l’obtention ou non du statut de demandeur d’asile. Ensuite, c’est l’attente. Régulièrement, peut-être une fois par semaine, les gens de l’UNHCR affichent les listes. J’ai photographié ce phénomène d’attente. Un costume de départ suspendu sous une tente. Des jeux de dominos. Des fumeurs. Beaucoup se mettent à fumer. Un tapis de prière rudimentaire. Le smartphone aussi, pour garder contact avec la famille et les amis via les réseaux sociaux. Les jours n’ont plus d’importance.

Puis il y a l’espace. Le camp se situe dans le désert, ce qui accentue le trouble des repères. C’est un lieu en perpétuelle recomposition. Ma carte est d’ailleurs vite devenue obsolète, je l’ai mise à jour six mois après. Le vent souffle en permanence, parfois chaud, froid, faible ou fort. Sur mes photos, on voit les gens se protéger des rafales, des tempêtes de sable. Les tentes se déchirent, d’autres réapparaissent. Le camp est mouvant. Enfin, c’est un lieu hostile : des femmes ont été violées, Choucha a été attaqué en 2011, par des habitants de la ville et par des militaires. Il y a eu huit morts.

Pour moi aussi, pour mon travail, l’espace-temps change. J’ai cherché mon « temps de travail ». D’ailleurs, je travaille avec des films ou au Polaroïd, pas en numérique. C’est encore une histoire de temps, celui de la réflexion sur l’image.

Que gardes-tu de tes rencontres et quel matériel ramènes-tu?

Outre les photos, il y a ce court documentaire construit à partir d’une vidéo amateur qu’on m’a donnée dans le camp. J’ai aussi récolté des témoignages que j’expose. Ces textes sont importants. Des centaines de milliers de personnes ont transité par Choucha et les trois ou quatre camps avoisinants. Essentiellement des réfugiés d’origine sub-saharienne fuyant la Libye. Les Libyens trouvaient à se loger à Tunis. Mon travail est subjectif. Je me suis positionné du côté de ceux qui n’avaient pas le statut. En arrière-fond de mon travail de photographe, le message est un peu politique.

L’« Empire », c’est la confrontation de la vie du camp à ce système bureaucratique des Nations unies qui a un pouvoir de vie et de mort sur les réfugiés dont certains ne seront jamais régularisés. « Le droit qui arrive en 4×4 », disait mon ami ivoirien Karim Traoré (que RFI a également rencontré l’été dernier). Soit tu racontes la bonne histoire avec le bon traducteur et tu obtiens l’asile, soit la mauvaise. Ce système d’aide humanitaire se mord la queue : des gens me racontaient qu’ils fuyaient la Libye pour des raisons ethniques et ils parviennent de nouveau dans un lieu où ils sont discriminés. Un membre du UNCHR m’avait dit à mon arrivée qu’il y avait de la discrimination ethnique. Or ce sont des réfugiés d’un même conflit, il faut trouver une solution pour tout le monde. Aujourd’hui, la Libye est plongée dans le chaos, il n’y a pas eu d’accompagnement assez fort après la guerre.

Comment s’est achevé ton séjour là-bas?

Je pars le 2 juillet 2013, au lendemain de la coupure du dernier générateur du camp, qui l’alimentait en eau potable. Le camp a été démantelé peu à peu, non sans protestation des réfugiés. Les ONG, dont la mienne, étaient parties quatre mois auparavant. Les ravitaillements ont cessé.

En fait, les réfugiés ont continué à arriver après la mort de Kadhafi, le 20 octobre 2011, qui marque la fin officielle du conflit libyen. Mais ceux-là ne pouvaient plus prétendre au statut de demandeurs d’asile, première étape qui, si elle est franchie, ouvre le droit à la demande de réinstallation dans un pays d’accueil. L’UNHCR est parti car il considérait qu’il avait fini son travail. Mais il restait plusieurs centaines de personnes. Par exemple, j’avais interdiction de photographier des enfants, sauf avec l’autorisation des parents. Pour des raisons de sécurité, « child protection ». Sauf que ces enfants, je les ai retrouvés lors de mon dernier passage, en janvier 2014, en train de mendier de l’eau et de la nourriture sur le bord de la route… « A Choucha, j’ai perdu deux ans de ma vie, de ma précieuse vie », m’a un jour confié mon ami Karim Traoré. Certains sont arrivés dès 2011 et ont dû repartir trois ans après en Libye, pour tenter la traversée de la Méditerranée.

Source: RFI

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