« Une grande présence militaire, moins de sécurité : le Mali, cinq ans après le début de l’intervention militaire ». C’est le titre d’une étude que notre consœur Allemande a menée au Mali sur l’impact de cinq années des interventions militaires au Mali, au compte de la fondation allemande « Heinrich-Böll-Stiftung ».
-Cinq années d’intervention militaire internationale n’ont apporté aucune sécurité à la population malienne. En effet, les zones d’insécurité ne cessent de s’étendre à l’intérieur du pays.
-Le processus de paix officiel au nord du Mali n’a pas entraîné l’éviction des groupes armés. Au contraire, il a généré la prolifération des milices. Les frontières entre les alliés, les djihadistes et le grand banditisme sont mouvantes. Dans le centre du Mali,
le djihadisme se confond désormais avec la révolte sociale.
-La tabouisation du dialogue avec les djihadistes est ressentie tel un diktat des partenaires européens et contribue à renforcer un sentiment de mise sous tutelle.
-La mission des Nations unies Minusma et la prédominance des acteurs internationaux dans les décisions relatives aux intérèts maliens sont perçues comme un fardeau.
-La qualité de la gouvernance a touché le fond sous la présidence d’Ibrahim Boubacar Keita.
-La crise a engendré des dynamiques nouvelles au sein de la jeune génération, ainsi qu’une opposition renforcée. Ces deux facteurs sont ignorés par les acteurs du processus de paix.
-L’état est aujourd’hui moins présent sur le terrain au regard de la situation d’il y a cinq ans. C’est la raison pour laquelle les élections présidentielles prévues pour juillet 2018 sont devenues incertaines.
-Bilan : associé à une gouvernance lamentable, un processus dominé à plusieurs égards par des acteurs extérieurs a rapproché encore davantage le pays du précipice.
I Introduction : les origines et les visages de la crise
La crise malienne présente une nature complexe. Toutefois, il est plus aisé de la comprendre en prenant en compte deux facteurs générés par les événements suivants qui se sont produits au début de l’année 2012 : d’une part, la chute du chef d’Etat libyen, Mouammar Kadhafi (accélérée par une intervention de l’OTAN) et, de l’autre, le déclin continu de la démocratie malienne.
Anciens mercenaires des services libyens, les combattants touaregs lourdement armés ont très rapidement conquis une grande partie du nord du Mali sous la conduite du nouveau groupe rebelle MNLA et l’action conjointe menée avec les djihadistes. Le grand nombre de victimes subies par une armée malienne inférieure ont incité un sous-officier en service dans la capitale de Bamako à entreprendre un coup d’Etat à l’encontre du président. Conséquence: le système s’est écroulé comme un château de cartes.
Dans l’intervalle, le MNLA a proclamé l’indépendance de l’Etat indépendant de l’Azawad au nord du pays. Cependant le mouvement s’est fait chasser de ce territoire par les djihadistes davantage armés aux termes d’une brève guerre fratricide. L’occupation de la région portait alors les traits d’une répression aux motifs religieux.
Au moment où les combattants de deux organisations djihadistes ont franchi la frontière de la zone actuellement occupée pour progresser vers le sud au mois de janvier 2013, le président malien par intérim Dioncounda Traoré a demandé l’aide aérienne de la France en soutien des forces armées du pays. Néanmoins, le président français, François Hollande, privilégia -notamment pour des raisons de politique intérieure -une solution de grande ampleur et envoya dans les jours et semaines qui suivirent un contingent de 4 000 soldats au nord du Mali par voie terrestre. Les troupes de la mission « Serval » parvinrent en peu de temps à libérer les villes de Tombouctou et de Gao avant de repousser en l’espace de trois mois une grande partie des quelque 2 000 combattants djihadistes vers le Sahara ou la frontière algérienne.
à Kidal, la seule région du Mali à majorité touarègue, l’objectif officiel de la mission, à savoir rétablir l’intégrité de l’Etat malien, fut relégué au second plan pour des motifs tactiques. La mission « Serval » a permis au MNLA de prendre tacitement le contrôle militaire de Kidal, notamment afin de recruter ses combattants experts des lieux pour la recherche d’otages français détenus dans les positions isolées des djihadistes. Une décision aux conséquences graves. L’intégrité de l’Etat malien, soit l’objectif également fixé par les missions suivantes, n’est pas encore assurée à l’heure actuelle et la France est accusée par les Maliens d’avoir contribué en grande partie à une telle situation.
Bien que l’Etat ne fût pas en mesure de prendre pied dans de nombreuses régions du nord, un nouveau président fut élu dès juillet 2013 sur la demande insistante de l’Union européenne qui avait besoin d’un partenaire légitime du point de vue de l’Etat de droit afin de mener la guerre contre le terrorisme. Le vainqueur des élections, Ibrahim Boubacar Keita, dit IBK, est un vieux crocodile de l’appareil politique.
Une mission militaire de courte durée conduite par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest a laissé la place, à compter du 1er juillet 2013, à la « Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali » (Minusma).
D’abord prévue pour un an et prolongée chaque année depuis cette échéance (jusqu’au 30 juin 2018 pour l’année en cours), la Mission, dont le déploiement concerne actuellement 11 231 soldats et 1 745 policiers, a pour but de soutenir le processus de paix et de réconciliation, d’assurer la protection de la population civile et des droits de l’Homme et d’aider à la remise sur pied de structures de sécurité.
Toutefois, le mandat de cette mission sous-estime la réalité du terrain. La paix que la Minusma est censée stabiliser n’existe pas et, au lieu de cela, les casques bleus ne cessent d’être la cible d’attaques. En dépit d’un mandat plus robuste depuis juin 2016, le taux de mortalité connaît une augmentation accélérée.
Depuis 2014, un millier de forces spéciales françaises de l’ « opération Barkhane » (représentées par un total de 4 000 soldats dans les pays du Sahel) mènent la lutte contre les djihadistes sur le retour ou nouvellement recrutés.
D’après des informations internes, cette opération détruit chaque année six tonnes d’équipements et de munitions et met régulièrement les djihadistes «hors d’état de nuire ».
« D’un point de vue militaire, la mission Barkhane fonctionne », affirme Roland Marchal, spécialiste français en conflits armés. « Le problème est le suivant : pour que l’opération soit un succès, les soldats ont dû conclure des alliances locales, parfois avec des individus douteux. Ce n’était pas bon pour la région. Le trafic de drogue, à titre d’exemple, est plus florissant que jamais. Le Mali est aujourd’hui un pays nettement moins sûr qu’il ne l’était en 2014, lorsque l’opération Barkhane a débuté ».
Le minage des rues et les attentats suicides ont commencé uniquement après le début de l’intervention internationale. La population civile fut libérée d’une occupation, mais elle souffre actuellement d’une guerre irrégulière qui s’étend au centre du Mali, bien que pour des motifs différents.
Cette guerre a coûté la vie (jusqu’au mois de janvier 2018) à 146 casques bleus et 500 ont quant à eux subi des blessures graves. Selon un informateur des forces armées du pays, trois Maliens meurent chaque jour à l’heure actuelle : deux soldats et un civil.
D’après les indications des Nations unies, 140 000 Maliens du nord continuent de vivre dans des camps situés dans les pays voisins. La plupart d’entre eux sont des personnes qui se sont réfugiées à l’étranger en 2012/13. De plus, 30 000 Maliens se sont à nouveau fait chasser depuis le début de l’année 2017. Les écoles de 150 000 enfants sont fermées au nord et dans le centre du pays.
Bien que l’intervention militaire n’ait pas obtenu de résultats probants jusqu’à présent, elle va encore faire l’objet d’un renforcement à l’avenir. En effet, une troupe composée de 10 000 soldats va être mise à disposition par les Etats du G5 Sahel.
Dans les paragraphes suivants, l’étude propose de présenter les facteurs-clés de la dégradation dramatique de la situation, de décrire le regard porté sur la crise par les Maliens et de mettre en avant des potentiels jusqu’à présent inexploités afin de la surmonter.
Charlotte Wiedemann
Journaliste et auteure du livre intitulé
« Le Mali ou la lutte pour la dignité »
Les echos