Si on propose une nouvelle Constitution, c’est que l’ancienne n’est pas bonne.” Assis sous un hangar, sur son lieu de travail, Mohamed [prénom modifié], exploitant de sable sur les berges du fleuve Niger à Bamako, s’exprimait [fin mai] sur le référendum du 18 juin prochain au Mali [présenté comme la première étape d’un processus de consultations et de réformes impulsé par la junte au pouvoir. Il doit aboutir à des élections en février 2024]. Il était, à notre passage, avec certains de ses collaborateurs autour d’un thé, croquant des arachides.

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Ce commerçant, natif de la région de Mopti, dit être pressé de voter en faveur de la nouvelle Constitution. Avant qu’il ne termine de nous expliquer les motivations de son choix, un autre à ses côtés prend la parole : “Pas que ça… ”, rétorque Lassina [prénom modifié] pour rebondir sur les propos de Mohamed.

En ce qui me concerne, j’ai appris qu’il y a beaucoup de points positifs dans la nouvelle Constitution pour le pays. Selon toujours ce que j’ai appris, c’est une Constitution dans laquelle on se reconnaît suffisamment en tant que Maliens, qui va permettre au pays d’être désormais bien gouverné”, avance-t-il, avec certitude, à partir de ce qu’il a appris du projet de Constitution dans la presse bamakoise et sur les réseaux sociaux.

Ce sont, selon Lassina, les raisons pour lesquelles il choisit de voter, lui aussi, en faveur du projet de Constitution. Pour les deux amis, si elle est adoptée, la nouvelle Constitution permettra au pays de “réaffirmer davantage sa souveraineté”.

Pas d’argent, pas de vote

Sauf que, sur le même site de vente de sable, tout le monde n’est pas du même avis. “On donne de l’argent pour voter ?” nous demande un autre monsieur juste à côté. À notre réponse par la négative en invoquant les textes l’interdisant, ce dernier affirme que, si c’est le cas, il ne votera point.

Au Mali, il est de coutume, depuis plusieurs décennies, de constater de telles pratiques, allant de l’achat de conscience par des billets de banque au bourrage d’urnes et autres fraudes. Ce qui fait que certains électeurs n’acceptent de se rendre aux urnes qu’à condition de recevoir des pots-de-vin. L’exception cette fois-ci ? Pour le moment, les autorités de transition promettent une élection libre et transparente, avec une large participation possible des électeurs.

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Au départ, la loi électorale modifiée du 13 mars 2023 fait de la carte nationale d’identité biométrique la seule pièce de vote. Pour ces échéances électorales, ce n’est plus le cas. Exceptionnellement, toutes les pièces d’identité officielles [cartes d’identité nationale, passeports, permis de conduire] sont aussi acceptées dans les bureaux de vote, le 18 juin prochain, selon une ordonnance du gouvernement prise au Conseil des ministres du 10 mai 2023.

Cette mesure exceptionnelle a pour but de permettre à l’AIGE [Autorité indépendante de gestion des élections] d’avoir “plus de moyens techniques et de contrôle pour mener à bien sa mission d’organisation et de gestion des opérations référendaires”, selon le communiqué du Conseil des ministres du 10 mai 2023.

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Lorsque nous avons commencé, nous nous sommes rendu compte qu’à ce rythme, il serait difficile de donner une carte nationale d’identité [biométrique] à tous les Maliens”, a déclaré le ministre Abdoulaye Maïga lors d’une session de vulgarisation du document.

“Nous avons proposé de revenir à la fois sur l’ancien découpage [territorial, comptant huit régions administratives, plus la capitale Bamako], mais également sur la base du fichier électoral, [afin] de permettre à nos compatriotes de voter pour le référendum exceptionnellement avec toutes les pièces d’identité officielles qui existent dans notre pays”, a-t-il expliqué, invoquant au passage des dispositions de la Constitution de février 1992, encore en vigueur, et la nouvelle loi électorale, la première permettant au gouvernement de prendre une ordonnance pour procéder de la sorte si besoin en est.

Division, défis et consensus

Cette nouvelle décision fait-elle l’unanimité ? Déçus des politiques, ces exploitants de sable estiment que cette exception à la règle donne des arguments aux détracteurs et voix discordantes pour critiquer la crédibilité de ces élections référendaires.

Bien qu’ils soient enrôlés, ces Maliens, qui croient au “salut” par le pouvoir dirigé par le colonel Assimi Goïta, [disaient] n’avoir pas encore retiré leurs cartes d’identité biométriques, mais [gardaient] espoir de les obtenir avant le 18 juin.

Président de l’Alliance panafricaine pour la consolidation des idéaux d’Assimi Goïta, l’activiste Ibrahim Boiny Adiawiakoye soutient que “le projet de Constitution est un produit issu d’un large consensus”.

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Le natif de Tombouctou s’explique : “On a donné suffisamment de temps à tout le monde pour réagir sur la question, on a mis en place une commission d’élaboration de la Constitution, ensuite on a donné l’occasion à chacun d’apporter ses amendements. Un premier document est présenté au président [de la transition], une autre commission de finalisation a été mise en place, qui a pris en compte d’autres remarques pertinentes”.

Et d’ajouter que “c’est un texte qui va nous permettre de refonder le pays et de prendre en compte la majeure partie des aspirations des Maliens, même s’il est difficile de satisfaire toutes les attentes”.

Cependant, il faut rappeler que d’autres voix continuent de s’y opposer pour diverses raisons. “Le projet de nouvelle Constitution divise profondément les Maliens”, fait observer Halidou Malick, président du conseil local de la société civile du cercle de Gao, une localité comme d’autres toujours en proie à l’insécurité, liée à l’activisme des groupes armés qualifiés de terroristes et d’autres groupes armés.

À mon humble avis, ce n’est pas le bon moment quant à la tenue du référendum, avec les vagues de déplacés vers les grands centres urbains”, estime-t-il.

Les défis ? Lui comme d’autres se posent des questions liées notamment à l’effectivité de la tenue du référendum dans toutes les localités du pays.