Après la proclamation des résultats définitifs du scrutin présidentiel du 29 juillet et du 12 août 2018 par les instances en charge des élections au Mali, la Mission d’Observation Electorale de l’Union Européenne au Mali (MOE UE) a, conformément à sa mission, produit son rapport final qu’elle a présenté le mercredi de la semaine dernière, 24 octobre, à l’hôtel Sheraton de Bamako. Ce document fait ressortir les failles constatées lors de ce scrutin, les points forts, ainsi que les recommandations pour de meilleurs scrutins au Mali.
Présents au Mali depuis le 29 juin dernier, les observateurs venus dans le cadre de l’élection présidentielle du 29 juillet se sont, au nom de l’Union Européenne, fait entendre à travers la présentation de leur rapport final sur les deux tours du scrutin présidentiel qui ont eu lieu respectivement le 29 juillet et le 12 août 2018.
Ce rapport a mentionné un facteur de disparité qui a marqué le déroulement de la campagne électorale à travers l’utilisation des biens de l’État. Car, précise le rapport, l’implication des ministres du gouvernement y compris celui de l’Administration territoriale et de la décentralisation (MATD) a été, tout au long de la campagne du président IBK, importante. Des activités gouvernementales ont, à maintes reprises, servi d’occasion pour des ministres chargés de la mission d’État de mettre en avant le bilan du président IBK. À ceci, s’ajoute la multiplication des initiatives présidentielles peu de temps avant l’élection présidentielle telle que l’inauguration de certains ouvrages publics, la distribution des tablettes aux étudiants…
Selon les observateurs de l’Union Européenne, la distribution des cartes d’électeur n’a pas été faite de façon individuelle, mais de manière groupée par chef de famille, de village et des représentants des partis politiques. Avant le 1er tour, lit-on dans ce rapport, le nombre des cartes non distribuées s’élevait à 2.012.282, ce qui représentait 23% de l’électorat. Suivant les données des observateurs de l’UE, malgré des dispositions préétablies par la loi électorale, les cartes d’électeur n’étaient pas présentes le jour du scrutin dès l’ouverture dans tous les bureaux observés lors du 1er tour. Le point sur ladite situation, fait par le ministère lui-même, atteste selon le rapport que seulement 1,06% des cartes ont pu être retirées dans les BV lors du 1er tour, privant ainsi le reste des électeurs d’accomplir le droit de vote. Selon l’analyse faite par les observateurs, environ 24% des cartes ne sont pas toujours distribuées. C’est la raison pour laquelle, ils ont invité, d’ici l’entame des législatives prochaines, à les distribuer.
Un nombre de votants supérieur au nombre de cartes d’électeurs retirées
Selon toujours ce rapport, le taux des participants est plus élevé que le nombre des cartes retirées dans certaines zones. Comme ce fut le cas à Tin Essako (région de Kidal) où 2.589 personnes ont voté alors que le nombre des cartes retirées s’estime à 2.431. Chose qui, selon les observateurs, est difficile à expliquer. En outre, des constats du rapport révèlent que les autorités ont limité la distribution des cartes au niveau des locaux des sous-préfets. Cette mesure a pénalisé les électeurs résidant loin des chefs-lieux d’arrondissement en les empêchant d’accomplir leur devoir citoyen, peut-on lire dans ledit rapport.
Des disparités ont été également repérées par Mme Cécile Kyenge, non moins cheffe de la mission et ses observateurs dans la région de Mopti. S’inspirant des annonces homologuées par la mission électorale de l’UE sur cette présidentielle, au nord ainsi que dans le centre du pays, il y a eu un recensement électoral incomplet et des limitations des droits des Maliens au suffrage universel dues à des modalités de distribution des cartes d’électeur et des conditions sécuritaires.
Au-delà du manque de mesures spéciales prises pour faciliter le vote des personnes déplacées, ces émissaires notent que le droit de vote des réfugiés dans les pays limitrophes n’a pas suffisamment été respecté et pareillement pour le cas des personnes handicapées. Quant à la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), les observateurs ont estimé que cette structure largement implantée et dotée d’une forte ressource humaine dont le nombre s’élève à près de 30.000 personnes y compris les démembrements et les délégués, et qui doit en principe accomplir son rôle secondaire de veiller sur la supervision et le suivi électoral, a une efficacité réduite par le fait qu’elle n’a pas pleinement joué son rôle quant à la distribution des cartes, de la campagne présidentielle qu’au moment du scrutin et de la centralisation des résultats.
Le rôle de la CENI jugé inégal
Aussi, lit-on dans ledit rapport, le rôle des membres de la CENI durant les périodes susmentionnées a été jugé inégal. Parlant des remarques faites sur la Cour constitutionnelle, le rapport estime que bien que pour le scrutin des deux tours, les délais impartis étaient trop courts pour le traitement des trente-sept recours déposés, dont vingt-et-un rejetés pour une question de délai et douze pour une question de manque de preuve, la Cour n’a pas utilisé tous les moyens à sa disposition pour traiter ses recours et assurer la crédibilité du processus.
Selon les observateurs, la Cour n’a pas au préalable, et de façon claire, signalé les moyens de preuve qu’elle accepte, alors qu’au 1er tour, elle a rejeté deux recours pour faute de preuve. C’est pourquoi, supposent les observateurs, qu’en tant que juge de plein contentieux électoral, la Cour aurait dû non seulement accepter les demandes d’enquête complémentaire des avocats de l’opposition, mais aussi ouvrir elle-même des enquêtes au moins pour les résultats contestés dans les régions septentrionales et du centre car, précise le rapport, la Cour devait, en tant que juge du contentieux électoral, comprendre que la charge des preuves n’incombe pas au seul requérant, mais est partagée entre le requérant et le défendeur et le juge lui-même.
La disposition des BV ne garantissait pas le secret du vote
Le juge, notamment la Cour constitutionnelle, n’a malheureusement pas agi ainsi lors de ce scrutin présidentiel. Au sujet des rapports procéduraux existant entre le ministère de l’Administration et la Cour, des constats d’irrespect de procédures figurent aussi dans le présent rapport.
Suivant les appréciations des émissaires européens en mission électorale au Mali, des insuffisances liées à l’absence des listes électorales ont été constatées dans environ 26% des bureaux de vote observés, de même que l’absence des bulletins. Dans près de 14% des cas, la disposition des BV ne garantissait pas le secret du vote.
Ibrahim Boubacar Keita élu avec 41,70 % des voix a ainsi remporté dans toutes les régions et dans 43 cercles sur les 49 plus le district de Bamako lors du 1er tour. Selon toujours le rapport, les meilleurs résultats obtenus par IBK ont été enregistrés dans la région de Kidal, avec 89% des votants alors qu’en 2013, il aurait eu 30% des voix, suivi de Gao avec 63% des voix tandis qu’il a obtenu 36% en 2013 et Tombouctou avec 56% des voix cette année alors qu’il n’a eu que 11% en 2013. Ainsi dans ces trois régions du nord où il y a eu d’importants problèmes sécuritaires, le président IBK a vu ses suffrages majorés considérablement avec le taux de participation le plus élevé du pays. Pareil cas s’est produit dans la zone dite « CMDT », alors qu’à Bamako où la présence des délégués de candidat et d’observateurs est généralisée, IBK a obtenu 33,6% des voix contre 71,38% en 2013.
Des recommandations formulées
C’est pourquoi, vu ces nombreuses insuffisances enregistrées malgré des améliorations également répertoriées de la part du gouvernement, les observateurs ont, entre autres, recommandé : le rallongement d’intervalle imparti pour l’organisation électorale, pouvant ainsi permettre de respecter les délais de recours, la précision du cadre légal de nomination des membres du bureau de vote, l’adoption d’un cadre juridique pour le règlement des sources financières de la campagne, création d’une division électorale permanente au sein du ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation, amélioration de la communication et de la transparence via la publication systématique de ses décisions sur son site ainsi que les résultats de supervision de la CENI à tous les niveaux, rendre le fichier électoral plus inclusif et cohérent par une opération spéciale de recensement de longue durée, procurer à chaque personne présente dans le fichier électoral sa carte d’électeur, garantir la liberté d’expression et de la presse pendant les périodes électorales…. Des mesures importantes pour de meilleurs scrutins à l’avenir au Mali.
Mamadou Diarra
Source: Le Pays