La vérification des opérations de cession des bâtiments publics de l’Etat a mis en évidence de graves incohérences, d’une part, entre les crédits alloués par le budget d’Etat pour l’entretien et la réparation de bâtiments publics, et d’autre part, les dépenses exorbitantes payées pour abriter les services et loger des hautes personnalités. En outre, il a été relevé que la gestion de ces bâtiments n’est pas conforme à la réglementation en vigueur. De même, le recensement des bâtiments publics n’est pas actualisé, les cessions ou locations de bâtiments publics sont effectuées sans les autorisations administratives requises, des immeubles non immatriculés ou hypothéqués ont été proposés à la vente à travers, souvent, des modes de cession qui n’existent pas dans la législation domaniale et foncière. Ces irrégularités prouvent à suffisance que les acteurs chargés de la gestion des bâtiments publics, notamment, le ministère du logement, la Direction Générale de l’Administration des Biens de l’Etat et l’Agence de Cessions immobilières ne jouent pas adéquatement leur rôle.
Afin de s’assurer de la régularité et de la sincérité des opérations de cession des bâtiments publics de l’Etat, le Végal initié une mission de vérification dans les structures impliquées dans la gestion du patrimoine immobilier de l’Etat. La vérification a concerné les exercices de 2002 à 2014 (1er semestre).
En quoi cette vérification est- elle importante? Selon le BVG, le patrimoine immobilier bâti de l’Etat est constitué, d’une part, par les bâtiments légués par l’Administration coloniale et, d’autre part, par les bâtiments réalisés par les gouvernements successifs de la République du Mali. Ces infrastructures servent de bureaux, de logements, d’établissements scolaires et universitaires, de centres hospitaliers, sportifs, culturels, militaires, etc. A la date d’aujourd’hui, il n’existe pas de données exhaustives et fiables sur ce patrimoine notamment sur le nombre exact de bâtiments publics de l’Etat à l’intérieur et à l’extérieur du pays. La mauvaise tenue de la comptabilité–matières et la non mise à jour du sommier de consistance du patrimoine bâti de l’Etat ont favorisé une gestion inadaptée et inefficace de ce patrimoine. Ainsi, au cours de ces 10 dernières années un nombre important de bâtiments de l’Etat dans le District de Bamako a fait l’objet de cession suite au changement de leur vocation ou en raison de leur situation au centre commercial dans le District. Ces cessions n’ont néanmoins fait l’objet d’aucune évaluation tant sur le plan technique que financier par les services compétents. Par ailleurs, la gestion du patrimoine bâti de l’Etat est caractérisée par un paradoxe tant au plan budgétaire que financier. En effet, de 2012 à 2014, l’Etat, pour la gestion de son patrimoine bâti, a procédé à une inscription budgétaire annuelle moyenne de 500 millions de FCFA destinée aux travaux d’entretien et de réhabilitation des bâtiments. Parallèlement, l’Etat a développé une politique de bail de bâtiments des particuliers pour abriter ses services et loger les hautes personnalités. A la date du 31 décembre 2014, six cent quarante (640) contrats de bail sont en vigueur dans le District de Bamako, pour un loyer annuel cumulé de 2,96 milliards de FCFA toutes taxes comprises. A cela s’ajoute la situation des baux pour abriter les bureaux et loger le personnel des missions diplomatiques et consulaires. Aussi, entre 2012 et 2013, les coûts engendrés par les travaux d’entretien desdits bâtiments sont en moyenne d’environ 450 millions de FCFA.
Malgré tout, le MLAFU a commis l’ACI, par mandat n°2013-001/MLAFU-SG du 25 juillet 2013, afin de procéder à la vente de certains bâtiments publics de l’Etat. Dans le souci de s’assurer du respect des procédures législatives et réglementaires ainsi que de l’effectivité des paiements des frais de cession et de leur reversement au Trésor Public, le Vérificateur Général a, dans le cadre de la satisfaction d’une saisine du Premier ministre, initié la présente vérification des opérations de cessions des bâtiments publics de l’Etat. Le champ d’application de la mission a concerné les bâtiments publics de l’Etat gérés par la DGABE. Il exclut les bâtiments des Collectivités Territoriales, des Etablissements Publics, des Sociétés d’Economie Mixtes et des Sociétés d’Etat y compris celles qui ont été privatisées ou liquidées.
La vérification des opérations de cession des bâtiments publics de l’Etat a relevé de nombreux dysfonctionnements dans le contrôle interne ainsi que des irrégularités financières. Elle met en exergue des manquements relevés dans les opérations effectuées par le MLAFU. En effet, le ministre de ce département a ordonné la cession ou la location des bâtiments publics sans décret pris en Conseil des Ministres. En violation des dispositions du Décret n°01-040/P-RM du 2 février 2001 déterminant les formes et conditions d’attribution des terrains du domaine privé immobilier de l’État, le MLAFU s’est uniquement référé aux Lettres n°0653/PM-CAB du 21 mai 2008 et n°0236/PMCAB du 14 mars 2013 du Premier Ministre pour donner mandat à l’ACI en vue de la vente ou de la location des bâtiments administratifs au Centre commercial de Bamako. Or, lesdites lettres ne dispensent pas le Ministère du respect de la procédure prévue en la matière.
Le département a inclus dans le mandat octroyé à l’ACI des immeubles non immatriculés. En effet, la cession de cinq immeubles non immatriculés au Livre foncier, donc sans numéro de titre foncier, a été inscrite dans le mandat donné à l’Agence, en violation de la réglementation en vigueur. Cette situation affecte la sécurité des transactions y afférentes et le droit de propriété de l’Etat. Il a aussi fait figurer sur la liste des immeubles dont la gestion a été confiée à l’ACI un bâtiment ayant fait l’objet d’une hypothèque dans le cadre de l’accord de prêt entre une banque étrangère et l’État malien, relativement au financement des travaux de construction de la Cité Administrative de Bamako. Pourtant, l’ACI a cédé le bâtiment pour un montant de 1,45 milliard de FCFA en l’absence de la radiation de l’hypothèque consentie en faveur de ladite banque.
Il a commis un cabinet d’architecture privé pour procéder au recensement et à l’expertise immobilière des bâtiments appartenant à l’Etat, alors que cette compétence relève de la Section Promotion Immobilière de la Direction Nationale de l’Urbanisme et de l’Habitat. Le recrutement ainsi opéré renchérit le coût financier de l’opération de cession des bâtiments publics de l’Etat.
Aussi, pour le recensement, l’état des lieux et l’expertise immobilière des bâtiments administratifs du centre commercial de Bamako, le Ministre a choisi, par simple lettre, un Cabinet d’Expertise Immobilière, en violation des dispositions régissant la commande publique. La transparence et le libre accès à la commande publique n’ont ainsi pas été respectés. En outre, par cette décision, il a engagé l’État sans s’assurer de l’existence de crédit budgétaire nécessaire pouvant supporter les dépenses de l’opération d’expertise qui s’élèvent à 132,37 millions de FCFA.
Le Ministre du Logement des Affaires Foncières et de l’Urbanisme a commis un expert immobilier qui a sous-évalué la superficie de certains immeubles. En effet, les superficies de deux immeubles dont la gestion a été confiée à l’ACI ont été sous-évaluées avec conséquemment une diminution des montants de mise à prix à hauteur de 768, 25 millions de FCFA.
Dans son rapport, le Végal recommande que ces manquements constatés soient corrigés.
Au niveau de la DGABE, il a été constaté que cette structure ne dispose pas de manuel de procédures, comme l’exige l’Instruction n°00003-PRIM-CAB du 21 novembre 2002 du Premier Ministre relative à la méthodologie de conception et de mise en place de système de contrôle interne dans les services publics. L’absence de manuel de procédures affaiblit la qualité du contrôle interne et peut entraîner un manque d’efficience dans la réalisation des activités de sauvegarde du patrimoine de l’Etat.
Il s’est aussi avéré que cette structure ne maîtrise pas le patrimoine immobilier bâti de l’Etat. Le sommier de consistance du patrimoine bâti de l’État, qui représente la base de données dans laquelle doit se trouver toutes les informations sur le patrimoine bâti de l’État, n’est pas tenu. L’absence de données exhaustives et fiables concernant ledit patrimoine peut être source de déperdition, d’occupation et d’exploitation illégales des biens de l’Etat.
Il est également demandé à cette structure de corriger ces manquements constatés.
Les opérations effectuées par l’Agence de cessions immobilières ne sont pas exemptes de reproches. En effet, il a été constaté que l’ACI n’a pas élaboré des études « d’avant-projets sommaires et détaillés » de bâtiments devant abriter les services publics affectés par les opérations de cession, conformément au mandat qui lui a été assigné. La non-élaboration de ces études ne favorise pas une exécution régulière du mandat.
L’ACI n’a pas recouru à la vente aux enchères publiques lors de la cession des bâtiments publics. Elle n’a fourni aucune preuve de publicité donc de mise en concurrence des acquéreurs potentiels des bâtiments concernés. Cette non mise en concurrence a entaché la transparence des opérations de cession et a procuré des situations de privilégiés à certaines personnes physiques ou morales. L’ACI a cédé des bâtiments publics suivant un mode d’attribution illégal. Lors de certaines cessions, le mode « location-accession » qui ne figure ni au nombre des modes d’attribution prévus par le Code domanial et foncier, ni dans le mandat donné par le MLAFU à l’ACI a été utilisé comme mode d’attribution.
Il est recommandé à l’Agence de Cessions Immobilières de faire réaliser des études d’avant-projet sommaire et d’avant-projet détaillé relatives aux bâtiments à reconstruire ou à mettre en valeur; recourir à la vente aux enchères publiques lors des opérations de cession ou de location des immeubles de l’Etat ; régulariser la cession des bâtiments attribués par « location-accession »; annuler la vente de l’immeuble hypothéqué…
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Source: L’Aube