La médecin vivait depuis 2001 à Gao où elle s’employait à lutter contre la malnutrition des plus jeunes. « Tout Gao pleure Sophie. Depuis qu’on a plus Sophie, Gao est triste ». Ce sont les mots d’une employée du centre fondé par Sophie Pétronin dans cette ville du nord-est du Mali.
L’humanitaire française de 72 ans a été enlevée par le groupe djihadiste Jamaat Nosrat al-Islam wal-Mouslimin (JNIM), relié à Al-Qaïda, en décembre 2016 à Gao où elle dirigeait depuis 2004 une ONG d’aide aux mères et aux enfants. Depuis le rapt, seulement deux preuves de vie ont été délivrées par ses ravisseurs. La dernière est une vidéo datant du 1er mars. L’humanitaire, qui a consacré sa vie à la lutte contre la malnutrition des plus jeunes, est apparue alitée et très affaiblie. D’après le site de son Association d’Aide à Gao (AAG), Sophie Pétronin « débarque » pour la première fois à Gao en 1996 pour une semaine d’itinérance aux côtés des Touaregs. La médecin découvre une population « démunie », dont « elle essaie de soulager les souffrances avec les moyens du bord ». « Dès son retour, profondément touchée par ce qu’elle vient de vivre, elle décide de s’investir en apportant toute l’aide possible : récolte de médicaments, de matériel médical, de vêtements, de dons en espèces… Sophie remue ciel et terre pour la cause des laissés pour compte. » « Une amoureuse de Gao, du désert et de leurs habitants » Les allers-retours entre l’Europe et l’Afrique débutent. Sophie fonde une association en France, puis une antenne en Suisse et se spécialise en médecine tropicale. La praticienne étudie particulièrement la maladie du ver de Guinée, un fléau du nord du Mali qui se transmet par l’ingestion d’eau contaminée. En 2001, celle que Slate Afrique décrit comme « une amoureuse de Gao, du désert et de leurs habitants », s’installe définitivement au Mali où elle démarre avec son équipe un programme de nutrition des enfants et d’assainissement de la ville. Sophie fonde également un centre d’accueil pour les petits orphelins, « ceux qui ne peuvent être recueillis par un membre de leur famille ». Dans un reportage diffusé en 2009 par TV5 Monde, l’humanitaire est filmée lors d’une consultation avec une fillette de 5 ans. « Je t’avais promis que si tu buvais tout ton lait, je t’apporterais une robe. Je t’ai apporté une robe et une poupée », rappelle-t-elle en tenant la main de l’enfant désespérément maigre. La médecin explique son travail aux journalistes : « En règle générale, il faut trouver le moyen qui va faire l’approche de l’enfant, trouver le chemin qui va nous conduire vers l’enfant, où il sera réceptif et puis s’ouvrir. » La mission de Sophie l’a même menée à « adopter » une petite dont la famille lui avait confié l’éducation. « Je me sens triste pour ma mère, je n’arrête pas d’y penser », confie Zenabou, 15 ans, la « fille adoptive » de Sophie, dans un reportage diffusé par France 2 en décembre dernier. Un avertissement en 2012 Sophie Pétronin avait bien conscience du danger qu’elle encourait. En 2012, c’est le premier avertissement : elle échappe de peu à un enlèvement lorsque des rebelles du mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) profitent du coup d’état contre le président Amadou Toumani Touré pour fondre sur les villes stratégiques du Mali, dont Gao. Sophie se réfugie au consulat d’Algérie où elle assiste à la capture de diplomates par des djihadistes. Elle parvient à s’enfuir. Commence alors une épopée, qu’elle relatera quelques jours plus tard au Dauphiné Libéré. Grâce à l’aide d’une famille dont elle a soigné l’enfant auparavant, elle est déguisée et exfiltrée « dans l’urgence » à travers le désert jusqu’en Algérie, d’où elle s’envole pour la France. Ils ont « risqué leurs propres vies pour sauver les nôtres », se rappellera Sophie interrogée par BFMTV. Après l’incident, l’humanitaire reste en Ardèche auprès des siens mais ne tient que quelques semaines et repart rapidement pour Gao où elle a construit sa maison en 2003. Sophie reprend sa mission et la raconte dans « Fil de Lumière », un livre publié en 2013. Mais la « Malienne de coeur » ne se leurre pas sur la situation. En témoigne, le rapport de AAG qu’elle publie en 2016 : « Le risque d’attentat et d’enlèvement visant les Occidentaux est toujours très élevé dans tout le Mali. Nous devons redoubler de prudence. » La Française ne fait pas l’objet d’une surveillance particulière malgré la menace. Elle est enlevée le 24 décembre 2016 par le groupe djihadiste Jamaat Nosrat al-Islam wal-Mouslimin (JNIM), relié à Al-Qaïda. « Cette vidéo, c’est un pied de nez à l’Etat français » « Le gouvernement a abandonné ma mère » se désolait son fils, un an plus tard. « Aucune tentative de rapprochement ou de dialogue avec les ravisseurs n’a été réalisée », reprochait Sébastien Chadaud-Pétronin. « Ils ont pris la décision de ne pas intervenir, c’est clair ». De quoi inquiéter sur le sort de Sophie, dont l’état de santé est un gros point d’interrogation pour ses proches. Baptisée « Sauvez la vieille Sophie », la vidéo diffusée le 1er mars, montre Sophie sous traitement médicamenteux, alitée et mal en point. La séquence a attisé la colère de Sébastien Chadaud-Pétronin, qui a confié ce vendredi au Dauphiné Libéré : « Cette vidéo, c’est un pied de nez à l’Etat français. Je suis très attristé, on ne peut pas laisser faire ça, c’est ma mère. Avec le comité de soutien, on va se débrouiller par nos propres moyens… » En décembre, ce fils en colère expliquait déjà son projet de retourner au Mali pour libérer Sophie par ses propres moyens. « Je ne peux pas enlever à ma mère le seul espoir de s’en sortir, même s’il est très faible. »
Source: leparisien