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Quelles stratégies pour compléter la réponse militaire contre le terrorisme ?

L’accident qui a coûté la vie à 13 soldats français au Mali le 25 novembre dernier rappelle que d’autres pistes doivent être explorées.
L’hommage national aux 13 soldats morts dans le crash de deux hélicoptères au Mali aura lieu ce lundi 2 décembre, une semaine après l’accident survenu lors d’une opération d’envergure lancée quelques jours plus tôt dans la vallée d’Eranga, située au sud d’Indelimane, dans le Liptako, région du centre-est du Mali où sévit l’organisation État islamique au grand Sahara (EIGS). Cette région dite des « trois frontières » située entre Mali, Burkina et Niger est la zone d’action du groupe EIGS depuis sa création en 2015. Il compte entre 100 et 200 combattants sur ce territoire du centre-nord du pays.
En août 2014, 22 pays se sont unis pour lutter militairement contre Daech, mais maintenant que les frappes de la coalition ont cessé en Syrie, il ne reste plus guère que la France pour combattre la progression des mouvements djihadistes au Sahel. Protéger notre sécurité et nos libertés qui sont nos biens communs, c’est pourtant l’affaire de tous.
La mort des treize soldats français ne cessera de nous rappeler que l’État islamique et l’instauration du « califat » ne concernent plus seulement la Syrie et l’Irak. Le chef de Boko Haram, Abubakar Shekau, a proclamé un « califat islamique » dans le nord-est du Nigeria le 24 août 2014. Ce groupe islamiste nigérian lié à Al-Qaïda prend de l’ampleur en essayant de gagner du terrain dans cette zone. Il menace les pays voisins, tout comme l’État islamique le faisait au Moyen-Orient. Le modus operandi de ces deux organisations présente de nombreuses similitudes bien que la spécificité de Boko Haram se situe dans le fait d’utiliser des femmes et de très jeunes filles pour commettre des attentats suicides.
Appréhender le problème autrement
Pour honorer la mémoire des victimes du terrorisme et celle des soldats morts au combat, il faut donc tout mettre en œuvre pour venir à bout de ces hydres malveillantes.
De nouvelles pistes doivent être explorées. La première mènerait vers une compréhension plus pointue de la résilience du mouvement en étudiant l’architecture organisationnelle complexe de Daech qui agrège divers sous-systèmes. Cette structure permet au mouvement de fonctionner même lorsque l’un de ces systèmes est atteint ou affaibli. Le système de filiales et de franchises apporte des éclairages essentiels sur la capacité de Daech à fédérer des mouvements djihadistes dispersés dans le monde qui risquent de former à terme une « méta-organisation Daech 2.0. ».
Dans une méta-organisation, les membres ne sont pas des individus mais des organisations qui partagent un trait d’identité en commun et décident de créer une entité pour les représenter, pour partager l’information, pour agir en commun afin de mieux maîtriser leur environnement. Daech a créé une nouvelle forme organisationnelle rampante, imprévisible, difficile à qualifier, et donc in extenso à combattre.
La réponse militaire reste insuffisante
Considérer que Daech est une organisation militaire relève, comme le souligne le spécialiste du renseignement Jean‑François Gayraud, d’une « persistance rétinienne ». Autrement dit, l’application de modèles connus à des phénomènes sociaux émergents mènerait à préparer la guerre de demain avec des conceptions d’hier.
Dans un article intitulé « La bataille d’Hajin : victoire tactique, défaite stratégique ? » publié dans la Revue Défense nationale de février 2019, François-Régis Legrier, commandant la task force Wagram au Levant d’octobre 2018 à février 2019, écrivait : « Une bataille ne se résume pas à détruire des cibles comme au champ de foire. […] Seule une vue globale du problème aurait permis d’ébaucher une stratégie globale et d’éviter le constat amer de voir Daech resurgir là où on l’a chassé il y a deux ans. »
En Syrie, l’excellente connaissance du territoire (topographie, météo, localisation des ressources) a conféré à Daech le coup d’avance. À cela s’opposerait donc une excellente connaissance de Daech.
Sur le plan financier et matériel, la deuxième piste consisterait à identifier des moyens d’assécher les ressources du mouvement de manière à empêcher les investissements dans de nouvelles actions.
Une surveillance accrue des systèmes financiers internationaux, notamment par des applications de l’intelligence artificielle qui permettent le traitement d’une grande quantité de données et la corrélation de variables que seule la puissance d’une machine peut effectuer. À cela s’ajoute une surveillance accrue des infrastructures de transport qui constituent des bases arrière logistiques et des lieux de transfert de marchandises, de matériel et d’armes.
La surveillance, une arme clé contre les djihadistes.
Enfin, un système de détection d’émergence d’activités djihadistes assurerait un monitoring en temps réel des zones sensibles avec la collaboration des acteurs présents sur le terrain (ONG, entreprises, etc.). Des systèmes de remontée d’information immédiate seraient mis en place pour déceler les modifications dans l’environnement avec des paramètres spécifiques.
Pauvreté et vulnérabilités
Les avis divergent quant à l’espérance de vie du mouvement, mais les zones de prédilection de Daech possèdent des caractéristiques spécifiques : un gouvernement faible, la présence d’une minorité musulmane opprimée, un grand nombre de ressources naturelles et des groupes ethniques qui se déchirent. Ces lieux sont relativement faciles à identifier. L’État islamique se nourrit également du délitement d’États quasi impossibles à réformer. Ces derniers ne peuvent en effet plus représenter l’ensemble de la population et se sont rendus vulnérables par une corruption endémique et une incapacité à assumer leurs responsabilités (par exemple, le paiement des fonctionnaires).
Les mouvements djihadistes en question sont les suivants : Al-Qaïda au Maghreb islamique, Ansar Dine, Mouvement pour l’unicité du Jihad en Afrique de l’Ouest, Al-Morabitoune, Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, État islamique au Grand Sahara, Ansaroul Islam.
La pauvreté de certains territoires peut inciter des populations isolées à rejoindre les mouvements djihadistes pour obtenir une source de revenus. Les agences internationales et les bailleurs du fonds de l’aide au développement sont également concernés, car une partie de l’aide versée peut être détournée dans les régions les plus pauvres, soit par l’extorsion, soit par des incitations plus ou moins coercitives à acheter des « services de sécurité ». En témoignent les déboires du cimentier Lafarge en Syrie.
Atouts de l’économie dématérialisée
D’autres éléments favorisent la résilience du mouvement, comme l’impossibilité de réguler Internet pour empêcher son expansion virtuelle. L’usage des outils et des technologies de collaboration du Web 2.0 lui confère une grande agilité. Les adhérents deviennent des acteurs d’un écosystème et rejoignent des communautés de membres et des groupes d’intérêts dispersés dans le monde. Ce sens du collectif permet de réunir des expertises internes et externes, d’évoluer vers une plus grande transversalité et d’exploiter les brèches des systèmes traditionnels dans le secteur financier, par exemple.
Daech joue de la complexité du difficile traçage des comptes pour bâtir et exploiter son propre réseau bancaire et l’inscrire dans un système international. L’ouverture des marchés, le déclin de l’État providence, les privatisations, la déréglementation de la finance et du commerce international tendent à favoriser la croissance des activités illicites, ainsi que l’internationalisation d’une économie criminelle concurrente.
Dans la phase initiale, l’organisation criminelle introduit ses bénéfices illégaux sur les circuits financiers à travers une série de déplacement des fonds, souvent dans des centres financiers off shore, communément appelés « paradis fiscaux », afin de les éloigner de leur source. La seconde phase consiste à réintégrer ces fonds dans des activités économiques légitimes pour leur donner l’apparence d’une origine légale afin de pouvoir les utiliser.
Seule une stratégie à 360 degrés permettra donc de faire converger ces divers champs d’analyse. Le succès de cette démarche découlera en conséquence nécessairement de collaborations disciplinaires, interorganisationnelles et interétatiques.

Source : le point

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