Alors que Donald Trump mène une politique étrangère toujours plus imprévisible, la question de la présence des États-Unis sur le continent africain se pose alors. Entretien avec Jeff Hawkins, chercheur associé à l’IRIS et ancien ambassadeur américain.
Trump semble se désintéresser du continent africain. Pourquoi cet éloignement ?
C’est vrai que le président américain a montré très peu d’intérêt pour l’Afrique. Près de trois ans après son investiture, Donald Trump n’a encore jamais fait de déplacement sur le continent – Mme Trump s’y est rendue en 2018. Le président américain n’a reçu qu’une petite poignée de chefs d’États africains à la Maison-Blanche. Il ne parle quasiment jamais de l’Afrique et n’a jamais fait de discours majeur sur le positionnement des États-Unis à l’égard du continent. La Maison-Blanche ne communique que rarement sur des sujets africains.
Comment expliquer le désintérêt du chef d’État américain pour un continent qui pourrait représenter jusqu’à 40 pourcent de la population mondiale d’ici 2100 ? Il y a certainement un aspect personnel à prendre en compte : Donald Trump l’homme d’affaires connaît mal l’Afrique et n’a pratiquement pas cherché d’opportunités économiques en Afrique subsaharienne. De plus, ses propos maintenant célèbres sur les « pays de merde » suggèrent certains préjugés vis-à-vis de l’Afrique. Plus important encore, quelques-uns des piliers traditionnels de la politique américaine en Afrique — lutte contre l’instabilité, aide humanitaire, promotion de la démocratie et des institutions — n’ont que très peu d’attrait aux yeux du président pour qui seuls comptent les enjeux commerciaux.
Dans une séquence où les États-Unis se retirent des terrains moyen-orientaux et afghan, plus proches de leurs préoccupations sécuritaires que les terrains africains, pourquoi l’AFRICOM (commandement pour l’Afrique) garderait-il des troupes engagées dans des conflits africains plus lointains ? Au moment où le budget 2020 proposé par l’administration Trump prévoit une coupe de plus de 20 pourcent de l’assistance internationale, quelles perspectives pour l’action humanitaire américaine sur le continent ? Quand Donald Trump semble favoriser ses relations avec des chefs d’État autoritaires en Asie ou en Europe, le gouvernement des États-Unis est-il crédible pour parler de démocratie et droits de l’homme en Afrique ?
Les États-Unis se désengagent-ils d’Afrique ?
On pourrait s’en inquiéter. Le chef d’état-major américain, le général Mark Miley, a annoncé récemment que le Pentagone comptait réduire sensiblement les effectifs de l’AFRICOM sur le continent. Il n’a pas spécifié le nombre de troupes à retirer ni annoncé de mesures concrètes. On évoque la possibilité de la fermeture d’une importante base de drones à Agadez, au Niger, élément clé dans la lutte antiterroriste au Sahel. D’après un rapport publié cette année, le Département de Défense américain ne cherche plus à « affaiblir » les groupes terroristes en Afrique, qui ne sont plus considérés comme un danger immédiat pour les États-Unis, mais à les « contenir. »
Au mois de février, l’administration Trump a imposé un nouveau « visa ban » pour quatre pays africains : l’Érythrée, le Soudan, la Tanzanie et le Nigeria, plus grande économie du continent, et riche source d’immigrés qualifiés et diplômés. Les ressortissants de ces pays ne pourront plus immigrer légalement aux États-Unis. Par ailleurs, le projet de budget pour l’année fiscale 2021 de Donald Trump prévoit une réduction de la contribution américaine aux opérations de maintien de la paix de l’ONU de 447 millions de dollars. Les missions en République centrafricaine, en République démocratique du Congo, au Soudan du Sud pourraient en être affectées.
La Maison-Blanche parle d’une « réorientation » de sa politique africaine plutôt que d’un « abandon », d’une stratégie qui privilégie des partenaires africains fiables, met fin à des missions interminables, et concurrence Russes et Chinois sur le continent. Mais l’effet est le même, l’Afrique semble laissée pour compte, tandis que l’attention américaine s’oriente vers d’autres cibles.
Que reste-t-il des États-Unis en Afrique ?
Les États-Unis restent un acteur important en Afrique, même si les signaux de cette administration ne sont pas très encourageants. La diplomatie américaine y est toujours active, et l’aide importante. L’assistance américaine non militaire pour l’Afrique atteignait 9 milliards de dollars en 2019. L’AFRICOM continue ses opérations militaires en Libye et en Somalie. Dans un discours à Johannesburg l’année dernière, le sous-secrétaire d’État pour l’Afrique, Tibor Nagy, évoquait un « partenariat durable » et mettait l’emphase sur la jeunesse africaine. Le secrétaire d’État, Mike Pompeo, sera en déplacement au Sénégal, en Angola, et Éthiopie la semaine prochaine pour évoquer les enjeux économiques et sécuritaires. L’administration Trump a même proposé une médiation dans certains conflits africains, comme sur la question du Nil entre l’Égypte et l’Éthiopie. Mais un président qui néglige le continent et une administration qui réduit son engagement en Afrique ne présagent pas un regain imminent de l’influence américaine sur le continent.