Alors que les protestations contre la guerre menée par les Français s’intensifient
Quarante-neuf soldats maliens tués lors d’une attaque de l’État islamique
Vendredi dernier, alors que la septième année de la guerre menée par la France au Mali touchait à sa fin, une attaque contre un avant-poste de l’armée malienne à Indelimane, près de la frontière avec le Niger, a tué 49 soldats. Cette attaque, l’une des plus meurtrières visant l’armée malienne, montre clairement que l’impérialisme français n’a pas réussi à stabiliser le gouvernement malien. Au lieu de cela, il s’est enlisé, avec ses alliés, dans un bourbier sanglant.
Vers midi, l’escouade de 80 soldats maliens postés à Indelimane a essuyé des tirs de mortier, suivis d’attaques répétées d’hommes armés à moto. Au moment où les renforts de l’armée malienne ont pu arriver à Indelimane, plus tard dans la journée, la plupart des soldats étaient morts. Quelques dizaines ont réussi à s’enfuir, mais l’armée malienne, qui a d’abord fait 53 morts, a indiqué que plusieurs de ses soldats ainsi que des armes et du matériel étaient toujours manquants.
Samedi, un soldat français du 1er régiment de Spahi basé à Valence, Ronan Pointeau, a été tué lorsque son véhicule a fait exploser une bombe en bordure de route dans la même zone.
Ces attaques se sont déroulées dans un contexte de recrudescence de protestations contre les opérations militaires menées par la France, ancienne puissance coloniale dans la région, qui s’étendent du Mali au Burkina Faso et au Niger.
L’État islamique (EI) a revendiqué la responsabilité des deux attentats dans des communiqués publiés sur Telegram. «Les soldats du califat ont attaqué une base militaire où des éléments de l’armée malienne apostate sont postés dans le village d’Indelimane, dans la région de Ménaka» explique le premier communiqué de l’EI. Plus tard, ils ont ajouté: «Les soldats du califat ont visé un convoi de véhicules des forces françaises […] près de Indelimane dans la région de Ménaka en faisant exploser un dispositif explosif.» Les deux communiqués ont été signés par la «Province d’Afrique de l’Ouest» de l’EI.
La dernière attaque contre l’armée malienne survient un mois seulement après deux attaques meurtrières contre les troupes maliennes, à Boulkessi et Mondoro, dans le sud du pays, près du Burkina Faso, qui ont fait 40 morts.
Les médias français admettent ouvertement que Paris, ses alliés européens au Mali (Berlin en tête) et le régime néocolonial malien ne parviennent pas à endiguer une vague croissante d’opposition armée. Yvan Guichaoua, chargé de cours à l’Université du Kent, spécialisé dans la guerre du Mali, a déclaré à Radio France Internationale (RFI): «Nous voyons non seulement un caractère relativement avancé sur le plan technologique dans ces attaques. Mais aussi des attaques qui mobilisent un nombre toujours plus grand d’hommes, ce qui montre que les mouvements djihadistes peuvent recruter et maintenir des forces relativement importantes.»
Faisant un commentaire sur l’armée malienne, Le Point écrit: «Sans le soutien aérien français, elles seraient souvent en grande difficulté face aux coups de main de plus en plus hardis des djihadistes. Malgré ses moyens, le dispositif français est lui aussi à la peine, les militaires de Barkhane intervenant la plupart du temps après coup, dans une chasse aux terroristes qui se dispersent dans la nature […] L’ennemi semble à chaque fois s’être volatilisé, se regroupant seulement pour passer à l’action afin éviter de se faire repérer.»
Si la France et ses alliés perdent la guerre au Mali et dans le Sahel, c’est surtout parce qu’ils mènent une guerre de pillage impopulaire, néocoloniale. Cette guerre vise avant tout à sécuriser les intérêts impérialistes français et européens au détriment de leurs adversaires de grande puissance.
Paris a lancé la guerre du Mali après la sanglante guerre de l’OTAN contre la Libye en 2011. Les milices touarègues employées par le régime libyen détruit par l’OTAN ont fui à travers le désert du Sahara vers le nord du Mali. La guerre, facilitée par la décision de l’Algérie d’accorder aux bombardiers français des droits de survol de la France sur l’Algérie vers le Mali et vice-versa, a à peine stoppé un effondrement du régime malien. Cependant, en bombardant et en envahissant le nord du Mali, les forces françaises n’ont fait que provoquer une opposition croissante.
La région est stratégique non seulement comme fournisseur d’or et d’autres matières premières clés, dont l’uranium pour les centrales nucléaires françaises et européennes. Mais aussi comme zone de rivalité croissante entre l’Amérique, la Chine, la Russie et les puissances européennes. Berlin, qui remilitarise agressivement sa politique étrangère pour impliquer son armée dans des conflits meurtriers à l’étranger, a accepté d’envoyer ses forces au Mali pour soutenir la guerre française en 2016.
Ces déploiements visent non seulement à piller les principales matières premières stratégiques. Ils visent aussi à mettre en place des réseaux de camps de concentration, comme ceux de Libye et de la ville nigérienne d’Agadez, pour retenir les réfugiés et les empêcher de fuir en Europe.
Depuis la guerre de l’OTAN en Libye, la rivalité géostratégique s’est rapidement intensifiée en Afrique subsaharienne. La Russie a signé des contrats pour former des forces dans la République centrafricaine voisine et vend pour des milliards de dollars d’armes au Mali ainsi qu’en Égypte, au Kenya, au Nigeria, en Angola et en Algérie. La Chine lance d’importants projets d’infrastructure à travers l’Afrique, dont un chemin de fer reliant la capitale malienne de Bamako au port sénégalais de Dakar. Elle vend aussi des armes et des biens de consommation bon marché.
Le Point écrit que ces nouvelles puissances, «venues bousculer le pré carré des anciennes puissances coloniales comme la France et la Grande-Bretagne, elles n’en bousculent pas moins les États-Unis, un peu sur la défensive… à travers le monde et donc en Afrique aussi.»
Ces conflits géostratégiques se développent entre les puissances impérialistes, la Russie, la Chine et diverses puissances régionales. Toutefois, en même temps, il y a une recrudescence croissante des protestations des travailleurs et des opprimés dans l’ancien empire colonial français. En parallèle, des grèves et des protestations de masse comme celles des «gilets jaunes» éclatent en France et en Europe. Ainsi, les conditions nécessaires émergent pour la construction d’un mouvement international de la classe ouvrière contre la guerre impérialiste au Mali et dans le Sahel.
En février, les manifestations des jeunes et des travailleurs ont commencé à exiger le renversement du régime en Algérie. Avec sa population importante et sa position stratégique centrale en Afrique de l’Ouest, le régime algérien est la clé des tentatives françaises pour dominer la région.
De plus en plus, cependant, des manifestations de masse éclatent dans les pays du Sahel pour exiger le retrait des troupes françaises. Ils soulignent la collusion entre la France et les puissances de l’OTAN et Al-Qaïda en Syrie et ailleurs pour discréditer les justifications de la guerre. Ils soulèvent aussi des questions sur la complicité française dans les attaques et les massacres ethniques dans la région.
En mai, après une vague d’attaques, des milliers de jeunes ont marché dans la capitale nigériane de Niamey pour exiger le retrait des troupes françaises. Ils criaient des slogans tels que «À bas les bases militaires étrangères», «À bas l’armée française», «À bas l’armée américaine», «À bas les djihadistes et Boko Haram» et «Notre pays est indépendant depuis le 3 août 1960».
Le mois dernier, une manifestation a eu lieu dans la ville malienne de Sévaré, près de Mopti, qui a incendié les bureaux locaux de la mission de l’ONU au Mali (Minusma). Les manifestants ont adressé une pétition aux responsables de l’ONU. Ils ont demandé le retrait des troupes françaises et des troupes parrainées par l’ONU de la région. Ils scandaient aussi des slogans comme «La France quitte notre pays», «Minusma dehors, Barkhane dehors, nous avons tout compris» et «Minusma est une base terroriste qui reçoit de l’argent de l’ONU».
Des manifestations ont également éclaté dans le nord du Burkina Faso, près de la frontière avec le Mali, après qu’une unité djihadiste eut tué 16 personnes dans la grande mosquée de Salmossi. Par la suite, des milliers de personnes ont manifesté dans la capitale, Ouagadougou. Ils ont créé des slogans tels que «l’armée française hors du Burkina Faso» et «les troupes étrangères hors d’Afrique» lors d’un événement qualifié de «journée d’action anti-impérialiste».
Par Alex Lantier
6 novembre 2019
(Article paru d’abord en anglais le 5 novembre 2019)
Source: wsws.org