Pour le chercheur Serge Michailof, la croissance de la population en Afrique de l’Ouest conduira inévitablement à des migrations de grande ampleur.
Le président français, Emmanuel Macron, a récemment abordé à deux reprises le problème de la démographie en Afrique. Ce faisant, il s’est attiré une volée de bois vert de la part du président de l’Union africaine, Alpha Condé, et des accusations de racisme sur les réseaux sociaux, où Africains et Français ont surenchéri pour lui demander de quoi il s’occupait. Il s’occupait pourtant d’un sujet qui nous concerne directement, en tant qu’Européens, car le problème de la démographie en Afrique, du moins en Afrique de l’Ouest, risque de nous poser un problème migratoire – et donc politique – majeur. Lire aussi : « Macron, les femmes et l’Afrique : un discours de sélection sexuelle et de triage colonial » Globalement, l’Afrique va devenir au cours du XXIe siècle un géant démographique. Sa population, de 1 milliard en 2017, se situera entre 1,8 et 2,3 milliards en 2050. Mais le problème qui nous concerne directement est celui de l’Afrique de l’Ouest et en particulier du Sahel. Au Niger, au Burkina Faso, au Tchad et au Mali, les courbes montrant l’évolution les taux de fécondité, c’est-à-dire du nombre d’enfants par femme, sont désespérément plates depuis soixante ans. Ceci signifie que, contrairement au reste du monde et même d’une bonne partie de l’Afrique subsaharienne, la transition démographique, qui veut qu’au fur et à mesure que diminue la mortalité infantile le nombre moyen d’enfants par femme baisse, ne s’est pas engagée.
La première conséquence est que, par suite de l’inertie des phénomènes démographiques, même si ces pays engagent demain une vigoureuse campagne de limitation des naissances, l’impact d’une telle politique sera minime à échéance de vingt ans et ne commencera à timidement à porterses fruits que vers 2050. Pour donner un exemple, le Niger, qui est certes un cas particulièrement inquiétant, comptait 3 millions d’habitants en 1960 et en a 20 millions actuellement. Il en aura de 42 à 45 millions en 2035 et de 62 à 89 millions en 2050. Ceci dans un pays où seulement 8 % de la superficie peut être cultivée. Une densité rurale en hausse Dans tout le Sahel, malgré la forte croissance urbaine, nous constatons une poursuite de la croissance de la population rurale de l’ordre de 2 % par an, ce qui est un cas unique au monde. Cette croissance de la densité rurale provoque la destruction des sols par raccourcissement des jachères et accroît les tensions entre agriculteurs et pasteurs, qui ne disposent plus d’espace libre pour leurs animaux, comme le montre le merveilleux film Timbuktu. En l’absence d’investissements adaptés dans l’agriculture, la dépendance à l’égard des aides alimentaires augmente régulièrement. En ce domaine extraordinairement sensible, la tentation est toujours d’espérer que le développement économique et l’éducation régleront « spontanément » ce problème, tout comme en Europe et en Amérique du Nord. Rappelons toutefois que, dans nos régions, la transition démographique s’est étalée sur une centaine d’années et que l’accroissement naturel n’a jamais dépassé 1 % par an. Or les taux de croissance démographique très élevés constituent un frein à la croissance économique. Lire aussi : « Au Sahel, notre politique d’aide au développement s’est complètement fourvoyée » Avec une croissance du PIB de 5 %, si le taux de croissance démographique est comme actuellement au Sahel de 3,5 %, la croissance effective du PIB par habitant n’est que de 1,5 % et il faudra quarante-cinq ans pour doubler le niveau de vie par habitant. Une deuxième raison est d’ordre budgétaire, car lorsque les enfants en bas âge ou en âge d’être scolarisés représentent la moitié de la population, la satisfaction des besoins en éducation, en formation et en santé devient un fardeau financier insupportable pour les budgets nationaux. Au total, la transition démographique au Sahel ne s’achèvera pas avant plusieurs décennies, provoquant au cours des trente ans à venir un accroissement spectaculaire du nombre de jeunes qui va peser sur les disponibilités alimentaires, sur les niveaux de vie, sur les dépenses sociales et surtout sur l’emploi. Va se constituer, tant dans les campagnes que dans les mégalopoles en cours de formation, une masse sous-employée, sans espoir de promotion sociale. Il est difficile de croire que cette folle croissance de la population, dans une région du monde confrontée à tant de handicaps et de menaces, ne conduira pas à des drames.
Djihadisme, famines, migrations
Le plus probable est que la paupérisation du monde rural et la perte d’espoir des jeunes feront le lit du djihadisme bien avant que ne se manifestent des famines régionales. Car les menaces se profilent de tous côtés. Entre Boko Haram, la Libye en plein désordre, le nord du Mali ingérable et la déstabilisation du centre de ce pays, l’insécurité a toutes les chances de se généraliser au Sahel, au point de paralyser les circuits économiques. Cette paralysie de l’économie rurale liée à l’insécurité est la première cause des famines qui frappent actuellement le nord du Nigeria, le Soudan du Sud et la corne de l’Afrique et qui contribuent à la vague actuelle de migrations africaines vers l’Europe. Des migrations de grande ampleur sont donc inévitables au cours des décennies à venir. D’abord au niveau sous-régional, vers les grandes mégalopoles du Nigeria et de Côte d’Ivoire. Mais le Nigeria aura 400 millions d’habitants en 2050 et, en Côte d’Ivoire, la population a déjà été multipliée par sept depuis l’indépendance. Si le même ratio était appliqué à la France, notre population serait supérieure à celle des Etats-Unis. A moins d’une croissance industrielle à la chinoise qui n’est pas encore amorcée dans ces pays, il faut s’attendre à des migrations très importantes vers l’Europe d’une population peu scolarisée qu’il sera difficile d’intégrer. Lire aussi : Crise migratoire : « L’Europe mène une politique du déni » Certes, des politiques appropriées peuvent permettre au moins de gagnerdu temps. Une croissance agricole soutenable est possible et permettrait de doubler les rendements en milieu paysan sans apport de coûteux fertilisants et pesticides chimiques. Mais la mise en œuvre de ces techniques implique des programmes de développement rural de grande ampleur dans un contexte où les budgets locaux sont asphyxiés par les dépenses de sécurité, alors que l’aide internationale s’est désinvestie de ce secteur. Les responsables politiques, tant africains qu’européens, ont donc la responsabilité historique de plaider à contre-courant des idées dominantes défendues tant par les djihadistes que par la droite religieuse américaine. Le président Macron a bien fait de poser le problème démographique africain au moment où le président Trump vient de réactiver une décision prise par George W. Bush coupant tout crédit américain aux organisations internationales finançant le contrôle des naissances. Le premier combat, celui des idées, vient juste de s’engager. Serge Michailof, ancien directeur à la Banque mondiale et à l’Agence française de développement (partenaire du Monde Afrique), est chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et auteur d’Africanistan : l’Afrique en crise va-t-elle se retrouver dans nos banlieues ? (Fayard, 2015).
Source: lemonde