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Putsch au Mali : « Il y avait une usure du pouvoir » selon l’ex-ambassadeur Nicolas Normand

Le Président malien Ibrahim Boubacar Keita a annoncé sa démission ce matin, plusieurs heures après son arrestation par un groupe de militaires. L’ancien ambassadeur de France au Mali, Nicolas Normand, décrypte la situation.

 

Hier, mardi 18 août, après une journée rythmée par des coups de feu à Bamako, la capitale du Mali, le Président malien Ibrahim Boubacar Keita (IBK) a été arrêté par des militaires avec son Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga.

Emmené au camp miliaire de Kati, à 15 kilomètres de Bamako, il s’est exprimé à l’aube à la télévision nationale, l’ORTM. Dans cette allocution, il a annoncé sa démission, ainsi que la dissolution du gouvernement et de l’Assemblée nationale. « Ai-je vraiment le choix ? » a-t-il déclaré, expliquant qu’il souhaitait « qu’aucun sang ne soit versé pour me maintenir au pouvoir ».

Sont ensuite apparus à l’écran des militaires, qui se sont présentés comme appartenant au Comité du salut du peuple, souhaitant restaurer la démocratie, et la mise en place d’une transition civile jusqu’à des élections présidentielles et législatives « dans un délai raisonnable ».

La France condamne « avec la plus grande fermeté »

Ce coup d’État militaire survient alors que de nombreuses manifestations avaient lieu dans la capitale malienne depuis plusieurs mois. De ces contestations est né le Mouvement du 5 juin (M5), dont l’une des figures, l’Imam Mahmoud Dicko, est accusée d’avoir des liens avec les jihadistes du nord-Mali. Le M5 réclamait la démission d’IBK, élu en 2013, un an après un autre coup d’État militaire, et réélu en 2018.

La France a aussitôt condamné « avec la plus grande fermeté » ce coup d’État, par la voix du ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. « La France réaffirme avec force son plein attachement à la souveraineté et à la démocratie maliennes », et « partage pleinement la position exprimée par la communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) (…) qui appelle au maintien de l’ordre constitutionnel et exhorte les militaires à regagner sans délai leurs casernes. »

Emmanuel Macron s’est entretenu avec les chefs d’État de la région

Selon LCI, Emmanuel Macron s’est entretenu à plusieurs reprises avec les chefs d’État de la région, dont le président nigérien Mahamadou Issoufou. Ce dernier est à la tête de Cédéao (présidence tournante entre les chefs d’État de la région). « Le président de la République condamne la mutinerie, source d’instabilité et opportunité pour les groupes djihadistes », a expliqué l’Élysée à la chaîne d’information en continu.

Ancien ambassadeur de France au Mali, mais aussi au Congo et au Sénégal, Nicolas Normand est également l’auteur de « Le Grand livre de l’Afrique » (éditions Eyrolles), préfacé par Érik Orsenna. Fin connaisseur du Mali et du continent africain, il est par ailleurs connu pour ses positions critiques sur la stratégie de l’armée française au Mali, présente dans le pays à travers l’opération Barkhane.

Cette dernière a été mise en place en 2014, à la suite de l’opération Serval de 2013, lancée par François Hollande à la demande du Mali, afin de chasser les jihadistes qui occupaient le Nord et menaçaient de fondre sur Bamako. L’ancien diplomate décrypte la situation malienne pour Public Sénat.

Comment interprétez-vous la déclaration du Comité du salut du peuple ?

Il n’y a plus de gouvernement, l’Assemblée nationale a été dissoute, tout le pouvoir est donc aux mains de ce Comité d’officiers, mais il apparaît que ce dernier souhaite respecter, malgré le coup d’État, les règles de la démocratie, en instaurant, dans un délai raisonnable disent-ils, une transition civile qui doit mener à des élections présidentielles et législatives, notamment.

Ces déclarations se veulent rassurantes, puisqu’ils insistent sur leur volonté de respecter les règles de la démocratie et de la bonne gouvernance, ce qui est néanmoins assez classique. Ils annoncent également le respect des accords internationaux du Mali. Ils ont cité l’opération française Barkhane, la force européenne Tacouba, et la force africaine du G5 Sahel, comme des partenaires nécessaires pour rétablir la paix.

Toutes ces déclarations apparaissent assez rassurantes, dans la mesure où il n’y a aucune tonalité idéologique, qu’elle soit islamiste ou d’extrême gauche. Ce sont des militaires qui se présentent comme des responsables voulant assurer la continuité de l’État.

Il n’y a pas d’intentions révolutionnaires, c’est plutôt une bonne nouvelle
Après le coup d’État de 2012, le capitaine Sanogo, leader du putsch, s’était accroché au pouvoir. Peut-on faire confiance aux militaires ?

Il y a une critique de la gouvernance, mais elle n’est pas très virulente. Et ce qu’ils évoquent est plus ou moins admis par tout le monde : une démocratie défaillante caractérisée par le clientélisme et une certaine corruption. Mais ils n’insistent pas trop sur ces éléments-là.

Ce comité militaire annonce clairement vouloir restaurer la démocratie avec une transition politique. Il n’y a pas d’intentions révolutionnaires, ils n’ont pas annoncé, par exemple, vouloir passer en jugement tous les anciens dignitaires du régime.

Nous ne sommes pas dans une logique d’affrontement, le comité est dans une logique de continuité de l’État et d’entente entre les Maliens, c’est une logique de bonne volonté, et non de radicalisation, de vengeance et de représailles. C’est plutôt une bonne nouvelle.

IBK était-il corrompu ?

Si ces choses-là ne sont pas faciles à dire, reconnaissons qu’il n’était pas plus corrompu que d’autres. Il y a eu quelques affaires, le Vérificateur général, une sorte de Cour des comptes malienne, dénonçait un certain nombre de choses, mais pas plus que dans beaucoup d’autres pays.

On a également beaucoup parlé de sa famille, qu’il aurait favorisée, et des vidéos de son fils faisant la noce ont circulé… Mais, il n’y a pas eu de scandales caractérisés qui auraient conduit le régime à sa chute.

Le contentieux électoral a tout déclenché
Peuvent-ils être liés au M5 et à l’imam Dicko ?

Pour l’instant, il ne s’agit que d’une structure militaire qui souhaite s’ouvrir à la société civile et à l’opposition. Ils ne citent pas le M5, ni Mahmoud Dicko. Il y a en revanche un appel à la société civile et aux mouvements politiques et sociaux à les rejoindre. Le M5 se réjouit certainement de cette situation, mais n’ose pas le dire clairement, et ne les a pas encore officiellement rejoints.

Quelles sont les causes structurelles de ce mécontentement ?

Il y avait une usure du pouvoir. IBK a été maladroit vis-à-vis du mouvement M5 qui contestait fortement le régime. Il n’a pas su gérer cette situation. Il n’a pas su non plus convaincre la population qu’il avait un projet, et qu’il pouvait sortir le pays de l’ornière dans laquelle il se trouve.

Les conséquences de la crise de 2012 se sont poursuivies : la sécurité s’est dégradée ; les services publics étaient de moins en moins assurés ; électricité, éducation… fonctionnaient de moins en moins bien. Une vraie descente aux enfers du pays. En tant que premier personnage de l’État, IBK en a naturellement été rendu responsable.

Y a-t-il eu un élément déclencheur ?

Le contentieux autour des dernières élections législatives a tout déclenché. Il y a eu 30 députés pour lesquels les résultats ont été inversés, en faveur du pouvoir. On a eu l’impression d’une fraude de la part du Conseil constitutionnel, qui a décidé d’inverser les résultats. C’est ce qui a mis le feu aux poudres. Cet évènement a été le détonateur d’une crise qui couvait depuis longtemps.

IBK n’était pas l’homme de la France
Un sentiment anti-français s’est développé chez les Maliens. Ce coup d’État, contre un président proche des Français, n’est-il pas aussi dirigé contre la présence française au Mali ?

Rien en ce sens ne ressort des déclarations de ce Comité. Maintenant, il est vrai qu’il y a un sentiment anti-français très fort au Mali, mais indépendamment d’IBK et du coup d’État. Ce sentiment est dû d’abord aux particularités de l’intervention française en 2013, où il y a eu une certaine coopération de l’armée française avec les séparatistes du Nord.

Aujourd’hui, la question de Kidal dans le nord n’est toujours pas résolue : ce territoire est de facto une sorte d’enclave dirigée par les ex-séparatistes, devenus un groupe signataire des accords d’Alger [signés en 2015 à Bamako entre le Mali et la Coordination des mouvements de l’Azawad].

Les accords d’Alger donnent des pouvoirs importants à ces groupes qui ne sont toujours pas désarmés, malgré l’affichage officiel d’un agenda purement politique. Les Maliens sont très attachés à l’unité du pays et à l’intégrité territoriale. Or cela paraît menacé par le statut actuel de Kidal, du fait de l’intervention française et des accords d’Alger.

IBK n’était-il pas l’homme idéal pour Paris, et donc l’homme de la France ?

Pas du tout ! Il n’y a pas de candidat appuyé par la France. La France ne fait que constater les choix opérés par les Africains à travers des élections. Il y a d’ailleurs eu un certain nombre de critiques publiques françaises, notamment de la part de Jean-Yves Le Drian, sur le manque de rapidité dans l’application des accords d’Alger.

On voit bien que le Quai d’Orsay n’était pas pleinement satisfait de la gouvernance d’IBK. Parler d’un soutien de la France est inexact, puisqu’il y avait même un esprit plutôt critique vis-à-vis des autorités maliennes. IBK est certes très francophile, il a fait ses études en France, mais comme beaucoup de Maliens !

Sans Barkhane, les villes du nord-Mali seraient prises d’assaut par les jihadistes
Les Français sont accusés de ne pas avoir réussi à sécuriser le pays malgré les promesses…

Sans Barkhane, la situation se dégraderait, les villes du Mali seraient prises d’assaut par les jihadistes. On a beau rappeler qu’on ne peut pas vaincre une guérilla de ce type, que même les Américains n’ont pas réussi contre les talibans en Afghanistan avec des effectifs beaucoup plus importants, la population ne retient que l’insécurité et les massacres qui se perpétuent.

Les Maliens voient aujourd’hui trois causes à leur insécurité : la question du Nord non réglée, la question des jihadistes avec deux organisations, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GNIM) et l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS), de plus en pus actifs et envahissants, et les affrontements intercommunautaires dans la région du Centre exploités par les djihadistes, notamment entre les Dogons, les Peuls et les Bambaras.

Or la France n’est pas étrangère à tout ceci : le fait de ne pas avoir désarmé les groupes du Nord a poussé les communautés locales à s’armer. Si la France avait insisté pour neutraliser et désarmer tous les groupes, dès le début, sans distinction, la situation serait sans doute beaucoup plus calme, stable, et sûre.

La France n’a jamais expliqué ce qu’elle avait fait, n’a pas cherché à se justifier, ni à reconnaître des erreurs éventuelles. Tout ceci contribue à une impopularité française. Ce qui n’excuse pas les débordements et les accusations fallacieuses, comme le soi-disant pillage des ressources minières par l’armée française, ou encore le fait qu’IBK était le valet de la France… Tous ces fantasmes sont malheureusement répandus, et diffusés par des leaders politiques.

On ne sait pas encore qui est le cerveau de ce coup d’État
La classe politique actuelle est-elle en mesure de répondre aux attentes des Maliens ?

Le chef de l’opposition, Soumaïla Cissé, enlevé en mars à Tombouctou, est toujours aux mains des jihadistes. Un certain nombre de personnalités dans le mouvement M5 revendiquent le pouvoir. Il y a aussi quelques hommes politiques en dehors du M5, qui ne cautionnaient pas les revendications de ce dernier, à savoir l’interruption du processus démocratique par une démission du président. C’est le cas de l’ancien Premier ministre, Moussa Mara.

Le Mali a de nombreux hommes politiques. Mais, surtout, on ne sait pas encore qui est le cerveau de ce coup d’État. Qui se cache derrière les militaires ? Ils ont annoncé un certain nombre de choses qui auraient pu être écrites dans un certain nombre de capitales démocratiques, à savoir restaurer les services de l’État, remettre la justice au service du peuple, restaurer la sécurité, la liberté des citoyens, rétablir un État qui fonctionne…

On sent bien que, derrière ces colonels, il y a, me semble-t-il, des personnes bien intentionnées, qui ont vu le pays dériver, la montée des extrémistes qui risquaient de prendre le pouvoir… Et qui ont lancé une sorte de coup d’État préventif pour restaurer la démocratie sur de nouvelles bases. Je n’approuve pas le coup d’État militaire, mais force est de constater que cela se présente de manière plus favorable qu’en 2012.

En Guinée et en Côte d’Ivoire, un regain de tension est observé à l’approche des élections présidentielles. À Abidjan, des manifestations contre un troisième mandat du Président actuel ont fait au moins 5 morts. Ce coup d’État au Mali peut-il être contagieux ?

Je ne crois pas qu’il y aura des effets sur les autres pays de la région. Un coup d’État n’exerce pas d’effet d’attraction. Mais il est vrai aussi que ce risque est bien réel en Guinée, voire en Côte d’Ivoire, mais pour des raisons internes à ces pays.

Par Propos recueillis par Michael Pauron

Source : Le Figaro

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