C’était l’un des projets phares de la présidence finissante d’Ernest Bai Koroma en Sierra Leone: un nouvel aéroport international confié à une entreprise chinoise. Mais son annulation repose la question des gigantesques chantiers d’infrastructures de la Chine en Afrique.
Le gouvernement du président Julius Maada Bio, au pouvoir depuis avril, a signifié au début du mois l’arrêt de tous les contrats liés à ce projet, jugé « pas rentable économiquement ».
Le projet, annoncé en décembre 2012, visait à construire d’ici à 2022 un nouvel aéroport à environ 60 km de Freetown, en remplacement de l’aéroport de Lungi, situé dans un estuaire du fleuve Sierra Leone, difficile d’accès à partir de la capitale.
Pendant la campagne électorale, M. Bio avait qualifié « d’arnaques » les projets d’infrastructures financés par la Chine privilégiés par le gouvernement sortant, notamment l’aéroport et une autoroute à péage.
Le coût de cette autoroute, 165 millions de dollars (143 millions d’euros), un prêt consenti par l’entreprise de construction chinoise, doit être remboursé sur 25 ans par les recettes des postes de péage.
« Nous avons besoin des investissements chinois, mais pas au prix des dettes que nous transmettrons à nos enfants à naître », grommelle Hassan Dumbuya, un chauffeur de taxi mécontent de devoir payer pour utiliser un ouvrage achevé à seulement 20 %.
Cette inquiétude s’exprime à travers toute l’Afrique subsaharienne, comme en Zambie où un militant politique a été brièvement détenu en septembre pour avoir défilé avec une pancarte « Chine égale Hitler » afin de dénoncer l’emprise économique de Pékin.
La Chine, premier partenaire commercial de l’Afrique, y investit annuellement plusieurs milliards de dollars depuis 2015 dans des infrastructures (routes, chemins de fer, ports) ou des parcs industriels.
En Ouganda par exemple, plus de 40 % des investissements directs en 2017 étaient chinois, selon le gouvernement. Parmi les principales infrastructures chinoises dans ce pays d’Afrique de l’Est figure l’usine hydroélectrique de Karuma, d’un coût d’1,7 milliard de dollars (1,477 milliard d’euros), assuré à 15 % par le pays et 85 % par la Exim Bank of China.
– ‘Financement soutenable’ –
Ces investissements largement salués par les Etats concernés suscitent toutefois des critiques croissantes de la part d’institutions ou centres de recherche occidentaux imputant en grande partie l’endettement des pays africains aux prêts généreux accordés par Pékin.
Mais l’annulation du projet d’aéroport en Sierra Leone n’annonce pas pour autant un reflux des capitaux chinois, selon les analystes.
Pour Michael Kottoh, de Konfidants, une entreprise de consultance pour les multinationales, cet abandon « montre une fois de plus que beaucoup de gouvernements africains se précipitent pour obtenir des contrats chinois sans s’assurer de conseils sérieux pour mener leurs négociations ».
Mais selon lui, la décision, d’abord dictée par des considérations de politique intérieure n’aura pas nécessairement d’impact sur la présence chinoise en Sierra Leone.
« La Sierra Leone n’a pas tant d’options de financement externes que cela », a souligné l’analyste. « Le contenu du portefeuille chinois du pays changera, mais le portefeuille lui-même ne se réduira pas significativement, il pourrait même augmenter à long terme en taille et en valeur ».
En marge du 7e Forum sur la coopération sino-africaine (Focac) à Pékin début septembre, le président Bio a évoqué avec une entreprise chinoise la construction d’un pont reliant Lungi à Freetown, une alternative d’un coût estimé à plus d’un milliard de dollars, soit deux à trois fois celui d’un nouvel aéroport.
Lors de cette réunion, le président chinois Xi Jinping a promis une nouvelle enveloppe de 60 milliards de dollars dédiée au développement de l’Afrique, dont 15 milliards « d’aide gratuite et de prêts sans intérêts ».
Dans une note publiée la semaine dernière sur les « Routes de la soie », titanesque programme lancé par le président chinois pour relier son pays à ses partenaires commerciaux, le Trésor français souligne le risque de « dérives d’endettement insoutenables ».
« Compte tenu des niveaux croissants d’endettement dans de nombreux pays à faible revenu, notamment en Afrique, et de vulnérabilités importantes en matière de mobilisation des ressources domestiques », il insiste sur la nécessité pour tous les acteurs de respecter les principes de « financement soutenable » adoptés en 2017 par le G20.
Mais l’évaluation des bénéfices pour la population de ces grands projets, souvent qualifiés d’ »éléphants blancs », doit s’évaluer à long terme, soulignent des experts.
Une étude conduite par l’université américaine de William & Mary à partir d’images satellite et publiée en septembre, AidData, montre que les projets chinois dans les pays pauvres, notamment les routes et les ponts, réduisent les inégalités géographiques et favorisent la diffusion de l’activité économique, selon ses auteurs.
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