Bamako, 05 novembre (AMAP) L’image échappe difficilement aux usagers de la circulation routière dans la capitale malienne, Bamako. Des cyclistes, surchargés de repas entassés à la verticale sur le porte-bagage de leur bicyclette, dépassant, parfois, leur hauteur, d’autres placés sur le guidon, sont fréquents sur la route de Koulikoro ainsi que sur la route de Faladié, sur la rive droite, menant au pont des Martyrs. On les remarque, de 12 heures à 14 heures, dans leur exercice fait d’efforts et d’équilibrisme, transportant, précautionneusement, leurs colis en direction des marchés du centre-ville, notamment le Grand marché et le « Dibidani ».
Après de multiples coups de fil, nous voilà au contact d’un jeune évoluant dans ce domaine de l’acheminement du déjeuner des commerçants. Mardi 22 octobre 2019, à travers une relation du livreur. Nous nous mettons d’accord sur un reportage, dès le premier appel téléphonique, pour le lendemain mercredi 23 octobre 2019. Nous lui proposons de le suivre durant sa journée de travail. Il accepte d’être accompagné, de son point de départ, le matin, pour les domiciles de ses clients commerçants et de retourner avec lui aux marchés pour la livraison des colis. Rendez-vous est pris à 8 heures du matin, devant l’Institut national des arts (INA), en face de la grande mosquée de Bamako.
Une demi-journée avec le jeune Kalilou Coulibaly –Marié et père de deux enfants, Coulibaly est âgé de 28 ans. Il est originaire de la Région et est originaire, précisément, du village de Dougoukouna appelé aussi NGolokouna.
Comme prévu, nous nous pointons à l’heure précise. Après un coup de fil, un jeune se présente à nous. En t-shirt, manches courtes, de couleur bleue et en pantalon Jeans ultra serré. Il porte des chaussures en plastique, appelées localement « Faligalaka ». Le jeune homme, de taille au dessus de la moyenne et de corpulence mince, s’arrête à bicyclette près de nous. « C’est moi Kalilou Coulibaky. Etes-vous M. Diakité ? », Aussi, demande-t-il.
Après les présentations d’usage, nous prenons, à 8 heures 10 mn, la direction de Sarambougou et de Marseille, deux quartiers à l’extrémité de la ville de Bamako où Kalilou se rend pour prendre ses délicats colis. Auparavant, il était prévu que nous nous entretenions avec un collègue de Kalilou. Ce dernier n’était pas au rendez-vous à notre point de départ. Joint au téléphone, il nous demande de le rejoindre chez leur réparateur de vélo à Sanrambougou. Problème mécanique : il mettait au point le guidon de sa bicyclette. Pas de temps à perdre ! On se suit. Moi à moto et Kalilou à vélo.
Notre interlocuteur nous conduit chez ce réparateur, à Sanrambougou, en passant par un dédale de voies connues que des experts et natifs de la ville de Bamako. « Je m’y rendais, avant, par la route de Koulikoro, mais maintenant, je suis contraint de contourner cette voie. On traverse Banconi, en passant par l’Hippodrome », s’explique-t-il, en cours de chemin. La chaine de la bicyclette du jeune Coulibaly lâche, à l’entrée du quartier de Banconi. Y a-t-il une panne ? « Non, c’est la chaîne qui s’est détendue », répond-t-il. Ça t’arrive souvent ? « Non…je suis même étonnée », dit-il.
Des bicyclettes peu ordinaires –Plus de peur que de mal. Nous arrivons à destination sans aucun autre désagrément. Au garage du réparateur de vélos, après 30 mn de pédalage, plus précisément à 8 heures 47mn. On se présente à son collègue. Il se nomme Sidy Coulibaly. Après la mise au point du guidon de la bicyclette de Sidy, le réparateur s’occupe de la chaîne du vélo de Kalilou.
Au premier coup d’œil, on remarque, tout de suite, que ces montures sont conçus et adaptés pour la livraison de colis spéciaux. C’est la touche artisanale apportée à ces engins qui les trahit. De grande roue arrière, avec une jante aux rayons doublés, ces grands vélos sont dotés d’un porte-bagages confectionné sur mesure, soutenu par une planche pour pouvoir bien supporter les charges. Il s’agit des repas qui sont, généralement, attachés en deux rangs atteignant la hauteur du conducteur de la bicyclette assis sur sa selle.
En plus, un morceau de bois est aussi aménagé sur le guidon pour pouvoir porter un colis et, ainsi, équilibrer le poids. S’ajoute une corde en élastique, tissée pour raison de sécurité, pour attacher les nombreux plats de déjeuner, solidement, emballés dans des tissus pagnes. « On dépose un colis contenant un seul plat sur le guidon pour équilibrer le poids, sinon je risque d’être soulevé par la charge de la dizaine de colis attachée à l’arrière. Je transporte 12 plats aux marchés, chaque jour. J’attache 11 plats en deux rangées sur le porte-bagages», explique Kalilou Coulibaly.
Une autre caractéristique de ces moyens de transport est leur klaxon. Cet appareil est fait pour que son bruit n’épargne les oreilles de, presque, personne dans la circulation. Les livreurs l’utilisent, à tout bout de champ, pour signaler leur passage et demander la voie.
Un travail qui nourrit son homme ! Sidy Coulibaly est âgé de 37 ans, marié à deux femmes et père de cinq enfants. Il vient du même village que Kalilou. Sidy accepte de s’exprimer. On fait chemin ensemble jusqu’à la séparation des destinations. Selon lui, ce métier consiste à apporter le déjeuner aux commerçants, dans leur boutique. Très motivé, au guidon de son vélo, Sidy narre ses réalisations, tous ce qu’il a gagné grâce à la livraison de repas aux commerçants. « J’ai eu tout dans ce travail. C’est grâce à ce travail que je me suis marié à deux femmes. J’envoie de l’argent pour l’entretien de mes femmes et de mes cinq enfants. Je contribue, aussi, aux charges de la grande famille. J’ai pu construire une maison avec toiture en tôle au village», énumère, peu fier, Sidy.
A l’en croire, il a commencé ce travail avec son oncle, depuis longtemps. « Je le faisais avec mon oncle mais c’est en 2017 que j’ai décidé de me consacrer, à temps plein, après le retrait de ce dernier du secteur », raconte Sidy Coulibaly. Son gain mensuel se situe dans la fourchette de 60.000 à 100.000 Fcfa.
Le périple de Kalilou Coulibaly – A peine un kilomètre de pédale avalé, Sidy Coulibaly se sépare et suit son trajet. Le jeune Kalilou Coulibaly ne le contredit point sur le revenu mensuel tiré de cette activité, en disant que la livraison de repas lui assure un salaire de 70.000 Fcfa. « Notre travail n’est pas facile, mais on gagne noblement. Je fais ce boulot depuis 2015 bien avant que je me marie. J’ai une femme, actuellement, avec deux enfants dans notre foyer », révèle-t-il.
Il est 9heures 30mn. On arrive dans la première famille où récupérer le repas. Nous sommes au quartier Marseille. « C’est ici que je commence à m charger. Je peux attendre, souvent, la cuisinière », nous prévient-il. Il laisse son vélo à l’entrée de la concession. Nous l’attendons, volontiers, dehors, en prenant place auprès d’un boutiquier, en face. Cinq minutes après, il ressort avec un grand colis emballé dans un pagne noir pour bien l’installer sur le porte-bagage. « Ici, c’est chez l’un de mes premiers clients. J’apporte son déjeuner à 6.000 Fcfa par mois. Il y a trois colis de ce volume dans ma livraison», nous détaille-t-il.
Pour se faciliter la tâche, le jeune livreur de repas commence à partir des quartiers les plus reculés. Après 30 minutes de vélo, nous voilà dans une deuxième famille, au flan de la colline, toujours à Marseille, dernière le cimetière du quartier. Déjà, notre guide transpire. Cette famille est un peu en altitude. Kalilou descend à deux fois pour pousser sa bicyclette afin de monter la côte. « Il me faut ça, sinon mes nerfs vont lâcher », dit-il. C’est pourquoi, ajoute-t-il, le prix mensuel de cette livraison est 10.000 Fcfa. Trois autres clients sont à 15 minutes de vélo. Ils habitent dans des concessions contiguës. Kalilou sort avec 4 colis de ces familles. « Tenez du pain », il nous tend un morceau de pain qu’on lui a offert dans une de s familles. Nous lui disons non de la tête. Nous continuons notre parcours. Il indique qu’il reste deux endroits. On récupère un repas dans une famille et le reste des repas est chargé dans l’autre habitation qui se trouve, cette fois, au quartier Sarambougou. Dans cette A cette dernière habitation, nous constatons une grande sympathie entre Kalilou Coulibaly et les femmes de ladite famille. D’ailleurs, c’est dans la seule famille que nous entrons avec Kalilou. Il nous installe sur une chaise comme chez lui. Il déballe les quatre plats pour mieux placer le récipient contenant la sauce au milieu du riz, avant de les monter sur son vélo. Il sort et revient avec un autre colis en main. « Il reste le dernier. Je le prends dans la famille voisine », précise-t-il.
Après avoir tout emballé, Kalilou m’invite à manger. « Ici, c’est la famille Traoré. Nous sommes chez des commerçants ressortissants de Banamba. Cette famille me réserve le déjeuner depuis le début de notre relation jusqu’à maintenant. Quelle réelle humanité ! », dit élogieusement le jeune Coulibaly.
Il a bien mangé. On reprend la route pour les livraisons aux marchés. Il est contraint à un véritable parcours du combattant, avant d’atteindre la route bitumée, à cause de l’état de la route latéritique. Kalilou slalome entre les trous. « Pendant la période de grande pluie, au mois d’août, ce travail devient dégoutant à cause de l’impraticabilité de la route », dénonce-t-il.
Sur la route de Koulikoro, le cycliste-livreur de repas se sert de ses longs bras comme clignotant, en cas de besoin. Il n’est pas avare en coups de klaxon. Sur sa bicyclette, au milieu de ses colis de repas, le jeune livreur transpire énormément. Il tire de sa poche un mouchoir, un moment, pour s’essuyer le visage, de temps en temps. Il est aussi accroché à son téléphone auquel il jette un coup d’œil, chaque fois.
Un instant, juste au niveau du restaurant Relaxe, il me fait signe de m’arrêter. «Il est midi. Il est l’heure du journal de RFI en langue manding. J’écoute ce journal chaque jour », nous surprend le jeune livreur. Il capte RFI, met les écouteurs à ses oreilles et reprend ses pédales.
Un garçon sérieux !La première destination est le marché ‘Dibidani’. « Je dépose les quatre derniers colis dans la grande boutique de la famille Traoré. Ils ont quatre boutiques au marché. Chacun viendra enlever le sien», nous explique notre interlocuteur.
Nous nous introduisons dans ce magasin de quincailleries au marché ‘Dibidani’. « Kalilou est un jeune sérieux. Il nous livre notre repas à l’heure. Il est courageux. Il nous appelle si, en cours de route, sa bicyclette tombe en panne. Il nous informe, aussi, en cas d’indisponibilité indépendante de sa volonté…C’est un contrat de confiance qui nous lie parce qu’on ne laisse pas tout le monde le soin de vous livrer votre repas… », dit le jeune commerçant A. Traoré, au comptoir de sa boutique.
Kalilou a un mois de congés durant l’année. « Il n’y a pas de livraison pendant le mois de Ramadan. Je profite de cette période pour me rendre au village, auprès de ma famille. Je peux, aussi, prendre une permission d’absence, s’il y a des evènements sociaux au village, comme la mort d’un parent par exemple », souligne le jeune livreur de repas.
La livraison des repas à bicyclette aux marchés est un travail honnête mais plus d’un livreur estime que les commerçants doivent revoir leur rémunération à la hausse. Au moins à 500 Fcfa par jour, ce qui revient à 15.000 Fcfa par mois et par colis.
OD/MD (AMAP)