Face au hideux visage du terrorisme et de l’extrémisme et de ses victimes sans nombre, le Mali devrait se résoudre à une certaine realpolitik. Explorer avec célérité les voies du dialogue avec ces criminels (quelques fois manipulés) qui causent autant de dégâts, est devenu une obligation de survie.
Une certaine realpolitik doit amener notre Etat à s’asseoir rapidement autour d’une table avec les chefs jihadistes maliens. Car, « quand la survie de notre nation est en jeu », comme vient de le déclarer le chef de l’Etat, il faut envisager toutes les possibilités d’éteindre le feu ou de diminuer l’effet de cette guerre à nous imposée par le terrorisme et le crime organisé.
« Quand il s’agit du Mali, aucun sacrifice ne sera de trop ». Cette phrase, régulièrement prononcée par le président de la République,suffit à incliner l’Etat à une certaine humilité, à une certaine flexibilité par rapport à la question terrorico-jihadiste à l’intérieur des frontières nationales.
Si le Burkina Faso des années Blaise Compaoré n’a presque jamais enregistré d’attaques terroristes, c’est bien parce que les dirigeants d’alors avait une sorte de pacte de non-agression discret avec les réseaux du crime organisé. Ce qui a vaille que vaille permis aux paays des hommes intègres de faire son petit bonhomme de chemin dans une certaine quiétude. On peut tout reprocher à Blaise Compaoré, mais il faut lui reconnaître cette sorte d’affinité préventive face au péril terroriste… Ce qui a peut-être conduit récemment le président Roch-marc Christian Kaboré à nommer, Christophe Dabiré, un très proche de son prédécesseur à la primature. Même si le pays n’est pas encore sorti de l’auberge en matière de lutte contre le terrorisme.
Au Mali, par une sorte d’orgueil et des hésitations liées aux pressions du paternalisme français, l’Etat se refuse à engager des discussions avec ses « fils égarés », qui ne cessent de menacer « survie »(l’expression est du président de la République suite à la dernière tragédie de Sobame Da.
Quand le Premier ministre Abdoulaye Idrissa Maïga avait proposé la piste des « missions de bons offices » comme passerelles de dialoguer avec Iyad Ag Ghaly et Amadou Koufa, IBK avait fait la moue et a fini par désavouer l’initiative sous la pression de Paris. Il dira plus tard dans les colonnes de Jeune Afrique qu’il n’a jamais cautionné une telle initiative, pourtant évoquée par son chef de gouvernement dans sa déclaration de politique générale, en juin 2017.« …L’objectif ultime de cette mission de bons offices est de rendre
effective la présence de l’Etat à Kidal, de contribuer à stabiliser le
Centre et surtout de consolider davantage le vivre ensemble. », déclarait-il à l’Assemblée Nationale
Pourtant, la France a dialogué avec les indépendantistes corses, l’Espagne a discuté avec l’ETA et leurs successeurs indépendantistes catalans.
Dans son récent rapport, l’ONG International Crisis Group (ICG) et d’autres partenaires du Mali ont estimé que pour sortir de l’impasse militaire et du cycle infernal de violences intercommunautaires dans le centre du Mali, le gouvernement malien doit amorcer un dialogue avec les jihadistes et leurs partisans. L’ICG préconise « un changement de cap », combinant pression militaire, dialogue et désarmement pour amener à la table des négociations les chefs de la « katiba du Macina » du prédicateur radical peul Amadou Koufa, apparue en 2015 dans cette région, devenue la plus sanglante du pays. « Nous sommes d’accord sur le principe et nous y travaillons déjà », a assuré le ministre de l’Administration territoriale, Boubacar Alpha Ba. Mais, jusqu’) présent rien ne semble bouger dans ce sens. Mais le ministre Bah relevait qu’il y a des expériences dans la région du Centre, où les représentants des chefferies locales ont eu langue avec certains membres de ces groupes. « Maintenant, comment le formaliser ? Quelle pédagogie faut-il pour qu’il y ait un dialogue véritable entre eux et nous? », s’interrogeait sur RFI
PourIbrahim Yahaya Ibrahim, analyste principal pour la région du Sahel à l’International Crisis Group, «Négocier avec les jihadistes ne signifie pas qu’on va accepter la charia en échange de la paix». Il insiste sur l’ouverture d’un dialogue avec certaines figures de l’islamisme armé au Mali, auquel la France s’est toujours opposée.
Ce n’est pas la première fois que l’idée est évoquée, mais il s’agit de l’étude la plus complète, à ce jour, sur cette question sensible : faut-il négocier avec les jihadistes ? Au Mali, les chercheurs de l’lnternationalCrisis Group (ICG) font le pari que oui. Dans «Speakingwith the “Bad Guys”: Toward Dialogue with Central Mali’sJihadist»(en français, «Parler avec “les méchants” : vers un dialogue avec les jihadistes du Centre du Mali»), ils explorent la possibilité d’un dialogue avec la katiba Macina, groupe islamiste armé dirigé par le prédicateur peul Amadou Koufa. La France, engagée militairement au Sahel depuis 2013, a jusqu’à présent fermé la porte à cette solution. Ibrahim Yahaya Ibrahim, qui a rédigé le rapport de l’ICG, estime que Paris et Bamako, «en panne de bonnes options», devraient pourtant se donner «la peine d’essayer». Et il rappelle que le nécessité de dialoguer a été formulée par des acteurs maliens lors de la Conférence d’entente nationale, tenue en 2017. Depuis lors, ce débat n’a jamais quitté la scène malienne.
Maintenant que les terroristes font davantage de victimes dans le centre du pays, en particulier en cette année 2019, où près de 500 personnes ont été tuées à Koulongo, Ogassagou, Diouara et dernièrement à Sobame Da, il urge d’explorer enfin cette piste de concertation.
Cette urgence s’impose a fortiori dans le caadre des préparatifs d’un dialogue politique inclusif en préparation à l’intention des forces vives du pays. Cette opportunité, estime un chercheur de l’Université de Bamako, doit être mise à profit pour tendre la main aux leaders des katibas.
Faut-il rappeler en particulier que l’une de ces katibas, celle dite de Macina est celle qui est susceptible de perpétrer le plus grand nombre d’attaques dans le centre du pays. « Elle est organisée autour d’un noyau dur de combattants ayant reçu une formation militaire et se cachent dans la brousse. Il est réparti en plusieurs cellules, appelées markaz, éparpillées un peu partout dans le centre du Mali. Celles qui sont situées à l’intérieur du delta du Niger ont une organisation très cohésive : elles sont représentées dans le Majlis al-Choura («conseil consultatif») dirigé par Amadou Koufa. Il serait difficile, à mon avis de négocier avec les chefs de markaz en court-circuitant Koufa. La chaîne de commandement est très forte. Mais la bonne nouvelle, c’est que si on décide de parler avec Koufa, sa voix, qui fait autorité, s’appliquera sur le terrain. Tout le monde s’y conformera », diagnostique l’analyste de l’ICG.
Par ailleurs, la France semble s’embourber dans la lutte contre le terrorisme au Mali ; car malgré la présence de la force Barkhane, les attentats et autres attaques se régulièrement enregistrés. Idem pour la présence des partenaires étrangers de la MINUSMA, le G5 Sahel et autres contingents de formations EUTM, EUCAP-Sahel). Et, à la question la France et les USA se sont-ils embourbés dans leur croisade contre le péril terroriste, les chercheurs d’ICG s’inscrivent dans l’approche pédagogique concernant les Américains.
« La situation est très différente, mais il y a des leçons à tirer de l’expérience afghane. Les talibans n’ont rien à voir avec la katiba Macina. Ils sont beaucoup plus ancrés dans la société, beaucoup plus nombreux, beaucoup plus puissants. Ils disposent de moyens énormes. Mais le discours idéologique est similaire. La réaction de la communauté internationale aussi. Au début, on dit «on ne leur parle pas», «on ne négocie pas avec les terroristes». Puis l’an dernier, les Américains ont commencé à discuter sérieusement avec eux, car ils se sont rendu compte qu’ils ne gagneraient jamais cette guerre. Il a fallu dix-sept ans pour arriver à cette conclusion. Au Mali, ça fait six ans qu’on est engagés dans ce conflit. On commence à se rendre compte qu’on ne pourra pas vaincre militairement, mais on refuse jusqu’à présent d’entrer en négociation. Le problème, c’est que ça crée des dommages collatéraux : les conflits intercommunautaires se multiplient, les attentats s’étendent aux pays voisins. Il y a urgence. Il faut changer de cap dès maintenant ». Il faut changer de cap surtout quand le chef de l’Etat lui-même vient de déclarer que la survie du pays est menacée.
Bruno Djito SEGBEDJI
Source: Mali Horizon