Pendant le mois de carême, les conversations glissent régulièrement sur des pratiques culturelles qui ne sont pas à contre courant de la religion. Ces pratiques ancestrales dénommées «yogoro» et «salawalé walé» sont accomplies respectivement par les jeunes garçons et filles. Elles rentrent en application après la première décade du mois de Ramadan. Selon les communicateurs traditionnels, tout le monde est plus ou moins passé par là.
La nuit, après la prière surérogatoire ou «nâfilah», des jeunes garçons et filles font le porte à porte pour sacrifier à cette tradition bien connue de tous. Les garçons sont munis de bâtons ou baguettes avec une sébile ou une vieille boite de conserve pour recueillir éventuellement des céréales. Ils entonnent un air consacré : «yogoro a ma yogoro yé wa», prosaïquement «n’avez-vous pas vu yogoro». Quant aux filles, elles utilisent des calebasses comme instrument de percussion et accomplissent le «salawalé walé»
Tous ces enfants volent un sourire à chaque personne qu’ils croisent. Selon certaines sources, cette pratique était accomplie pour faire l’aumône de l’année surtout durant le Ramadan. Ben chérif Diabaté du Réseau des communicateurs traditionnels explique que la pratique est liée aux coutumes et mœurs dans un territoire donné. C’est la manifestation de la joie de la part des enfants à un moment pour montrer que cette pratique est transmise de génération en génération. Toutes les contrées du pays vibrent au rythme de cette pratique durant le reste du mois de Ramadan. A ce propos, Ben chérif Diabaté souligne que les enfants font rire par leur posture, surtout les garçons qui n’hésitent pas à badigeonner leur visage avec du kaolin ou de la craie et se déguisent en bouffon.
Gaoussou Tounkara est enseignant à la retraite. Il révèle qu’auparavant, l’argent récolté lors de ces sorties, était jalousement gardé par une personne désignée par le groupe, généralement le plus âgé. Après le Ramadan, les enfants organisaient une fête. Ils préparaient de bons plats et apportaient, selon une croyance, le reste de la nourriture à la déesse de l’eau : «bafaro» dans le fleuve afin qu’elle veille sur eux pour les années à venir. La particularité de ce rite, c’est que la personne qui apportait la nourriture au fleuve la verse et continue son chemin sans se retourner, explique le pédagogue.
Sidi Mohamed Haïdara, imam à Sébénicoro, indique que cette pratique est faite pendant le Ramadan car c’est un mois de pénitence, d’entraide. «Ces enfants montrent leurs joies en chantant au nom d’Allah, le Tout Puissant », explique l’homme de foi. Mahamane Cissé, vice-président de l’Union des jeunes musulmans du Mali, rappelle que le «yogoro» n’est pas une pratique religieuse car aucun hadith n’en parle. «Le prophète Mohamed (paix et salut sur lui) a demandé aux enfants de se rassembler et de s’aimer», explique-t-il. «De nos jours, les enfants se partagent l’argent mais aussi les céréales données par les familles alors que celles-ci sont destinées à la consommation du groupe».
Quant à Maridié Niaré, il pense que les enfants d’aujourd’hui pratiquent cette traditionnelle sans chercher à en connaitre les vraies raisons. «Les enfants pratiquent cette tradition parce que leurs grands frères le faisaient. Aujourd’hui, ils ont tendance à déranger les gens chez eux. Cette pratique qui visait à faire les louanges d’Allah en chantant et en dansant a perdu son sens», déplore-t-il.
Juliette COULIBALY
Source: Essor