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Pratiques coloniales: La déportation, Mode d’emploi

Les colonialistes pris mis pied en Afrique par la force brutale. Dans cette conquête, en réalité pour les besoins économiques, plusieurs stratégies ont été déployées pour d’abord « vaincre sans avoir raison » et asseoir la domination qui viendra à bout de nos peuples. A ce titre, certains territoires ont été érigés en bagnes, en camps de concentration. Ces pratiques ont continué même après les indépendances de 1960. Hélas !

 

C’était la « pacification » aux termes de laquelle les bases du futur domaine colonial ont été posées : l’administration (cantons, subdivisions, cercles…), l’armée (militaires, garde-cercles et police), l’école et la santé. L’aventure a duré « seulement » une soixantaine d’années, mais cela a suffit pour hybrider et aliéner nos peuples, dans l’espace présenté désormais sous le nom de l’Afrique occidentale française. Qu’il s’agisse de la France ou de la Grande-Bretagne, il en a été de même.
En Europe, en France notamment, ouvrir cette page et la décrypter avec sérénité et objectivité est un exercice périlleux pour les hommes politiques. Ils sont nombreux à croire que l’entreprise coloniale a eu lieu au nom des droits de l’Homme et de la liberté, oubliant volontairement du coup la part de cette invasion dans l’accumulation du capital qui fait aujourd’hui la grandeur des colonisateurs.
Dans cette publication, nous traitons de la déportation, une technique qui a consisté à « prendre » des résistants, des héros, des leaders communautaires et à les envoyer, souvent sans aucune condamnation, dans des territoires éloignés. Beaucoup sont morts, victimes des conditions climatiques extrêmes. Au nom de cette politique, des Sahéliens se sont retrouvés dans la forêt équatoriale, et vice versa. La documentation est disponible.

Le Gabon, destination tropicale-Ce pays tropical d’Afrique centrale était une véritable prison à ciel ouvert. Il a vu passer une grande partie des résistants africains, quasiment tous de l’Afrique occidentale. Cheickh Amadou Bamba et Samori y ont été des pensionnaires.
Cheick Amadou Bamba a débarqué à Lambaréné en 1895, après avoir été condamné dans un jugement expéditif au Sénégal : « Aussi est-il de toute nécessité […] d’enlever Ahmadou Bamba, non seulement de la région où son action se faisait le plus immédiatement sentir, mais au Sénégal même, et de l’interner au moins pour quelques années, dans un pays éloigné, tel que le Gabon, où ses prédications fanatiques n’auront aucun effet. Quant à ses talibés, sickhs ou serigne, il importe de les disperser et de leur intimer l’ordre d’avoir tous à réintégrer leur village d’origine et de ne plus s’en absenter que sur notre autorisation. ». Mais Ahmadou Bamba, lui pourra rentrer au Sénégal, après avoir purgé sa peine de sept ans.
Samori Touré est arrivé à Ndiolé, une île du fleuve Ogoué, en mars 1899. Le général Trentinian a décidé de son sort en lui annonçant, le 22 décembre, la sentence qui va le conduire au Gabon. Il ne tiendra pas longtemps. Sa mort sera constatée le 2 juin 1900, des suites d’une broncho-pneumonie. Il se dit que, depuis Lambaréné, Cheick Amadou Bamba a pu faire la prière du mort pour Samori. Ce bagne a aussi accueilli Dossou Idéou du Dahomey, aujourd’hui Bénin et Aja Kpoyizoun du Togo, tous des résistants à la pénétration coloniale.

Hamallah en France-
La vie de Chérif Hamaoullah est en beaucoup de point comparable à celle d’Ahmadou Bamba. Lui aussi sera condamné à l’exil, alors même qu’il n’a jamais pris un fusil contre la France. Basé à Nioro du Sahel, il était devenu un abonné à la prison et à la déportation. à la tête de sa confrérie, la Tidjaniya, son influence et l’organisation de ses adeptes ont fait peur aux administrateurs français. S’y ajoute que le contexte local était pollué par des rivalités internes au sein de la communauté musulmane. Il n’avait d’armes que ses livres, son chapelet et sa foi. Le voilà quand même déclaré subversif et anti-français. Il va connaître plusieurs « voyages ». En 1925, Il est arrêté et envoyé à Méderdra, en Mauritanie, une première fois. Il est envoyé ensuite à Azopé en Côte d’Ivoire. Il peut rentrer à Nioro en 1936 pour un court répit. En 1941, il prend la route de Dakar, le 19 juin. Deux jours après, il est en Algérie. C’est le début d’un trajet qui le conduira finalement en France.
Pendant que Chérif Hamallah est trimbalé d’une ville à l’autre, la répression sanglante s’abat sur ses disciples. Certains sont fusillés sommairement, le 19 novembre 1941. Les plus chanceux iront dans des « camps de concentration », c’est le terme officiel, à Kidal, Dioila, Koutiala, Ouahigouya, Bourem et Ansongo. Les témoignages sur ce séjour des déportés hamalistes est encore vivace. à Ansongo, ils ont creusé à la main, dans la montagne, la voie qui mène au Niger. Mais la population locale leur a ouvert ses bras et des mariages ont même eu lieu, avec des ressortissants et des liens qui font le pont entre Nioro et Ansongo.
Chérif Hamallah devait être une grande préoccupation pour les Français. Il serait mort le 16 janvier 1943 de cardiopathie, mais ces disciples attendront deux ans quasiment pour apprendre « la nouvelle ». En réalité, Hamallah a toujours été vu comme un adversaire.
Dans une étude consacrée au sujet, l’islamologue Constant Hamès a trouvé les causes de cette désaffection en ces termes : « C’est en effet, Hamallah qui a transformé cette nouvelle confrérie en mouvement politico-religieux. C’est lui qui a donné son essor foudroyant, par son attitude à notre égard, son esprit xénophobe, et par son comportement à l’égard des musulmans n’appartenant pas à sa voie, son intolérance, son agressivité. En un mot, il a su former une sorte de parti extrémiste, pratiquant un islam de combat et groupant non seulement les mystiques exaltés, mais encore les aigris et les mécontents ». L’auteur se base sur les rapports de mission conjoint de trois officiers, le chef de bataillon Borricand, le capitaine Rocaboy, et lieutenant Auné. (Rapports de mission, réorganisation des confins Soudano-Mauritaniens, Commissariat aux Colonies, Dakar, 15 mars 1944, Archives militaires de Vincennes, Mauritanie, Carton 6). (Cheikh Hamallah ou Qu’est-ce qu’une confrérie islamique (Tarîqa) ? Constant Hamès, Archives de sciences sociales des religions, 1983, p. 67-83).

Les autres bagnes-D’autres résistants ont pris d’autres directions. Le roi Béhanzin du Dahomey est déporté, en Martinique. Il y arrive, le 30 mars 1894, accompagné d’une partie de sa cour. Il restera douze ans avant que la France ne consente à le laisser rentrer chez lui. Il ne verra pas son pays natal, puisqu’il succombera en route, le 10 décembre 1906 à Blida, en Algérie.
Le roi Mohamed V du Maroc s’est retrouvé à Madagascar. Déposé, par la France en 1953, il est installé à Antsirabe un an après.
Le Soudan français à lui aussi accueilli ses prisonniers. Aline Sitoe Diatta du Sénégal a été déportée à Tombouctou. Elle y arrive et décède le 22 mai 944 après avoir passé quelques jours à Gao. Elle devait avoir juste 25 ans. Son crime ? Avoir organisé une résistance contre l’injustice coloniale. Elle a organisé un boycott des produits français en Casamance : ne pas payer l’impôt, renoncer à la culture de l’arachide pour les cultures vivrières, ne pas donner de soldats pour l’armée coloniale et désobéir. Son programme civique était résolument contre les fondements de la colonisation. Elle est morte à Tombouctou officiellement de scorbut.
Il y a eu des déportations qui n’ont pas eu un grand écho, mais dont les populations se souviennent encore. En 1887, dans ce qui correspond aujourd’hui à la zone de Sokolo, frontalière de la Mauritanie, Demba Coulibaly, chef politique et militaire, a été déporté en Guinée, plus précisément à Siguiri. Il avait été pourtant défait et avait même accepté de signer un traité avec les officiers Tantiin et Quiquandon.
Les chefs songhoy de Gao qui ont aidé le résistant touareg Firhoun (1916) ont été déportés en Guinée sans que plus personne ne connaisse les lieux où ils ont été enterrés.
En 1920, les paisibles populations de Tabi, dans l’actuel Cercle de Douentza, ont contesté la gestion qui était faite de l’impôt collecté par un chef ripoux. Le colonel Mangeot débarque à Tabi le 7 octobre 1920 et pointe ses canons. Il arrive à bout de la résistance le 11 novembre. Il va prendre une décision surprenante. De son seul chef, il décide d’une déportation non pas de quelques individus, mais de trois villages. Le village de Tabi a été exilé à Hombori, sur le territoire du village de Koykoyré. Téga et Tupéré ont été exilés respectivement à Tandara et Kurmi, toujours à proximité de Hombori. Cet exil qui ne devait durer que dix ans a duré 27 ans, car c’est seulement en 1947 qu’ils ont pu gagner un procès contre cette décision inique.

Les mutations arbitraires-
L’action coloniale s’est aussi manifestée contre les militants de l’indépendance. Les militants du Rassemblement démocratique africain, fondé en 1947, ont fait les frais de l’arbitraire colonial. Dans un contexte où les voies de communication étaient quasi inexistantes, des fonctionnaires ont été constamment ballotés d’un coin à l’autre du domaine colonial. La « sage-femme africaine » Aoua Kéïta a raconté ses tribulations dans son autobiographie (Femme d’Afrique. La vie d’Aoua Kéïta racontée par elle-même, , Paris, 1975). Pour raisons disciplinaires, des carrières ont été littéralement brisées. Ici aussi, on savait que le climat devait briser la résistance morale et l’engagement politique. Kayes et Djibouti étaient les villes les plus chaudes de l’Afrique. Le colonisateur y a envoyé ses sujets les plus récalcitrants pour les punir. Il en envoya aussi à Louga, Podor, Sébikotane, Tambacounda (Sénégal), Dimbokro (Côte d’Ivoire), Siguiri (Guinée), Néma, Adrar (Mauritanie).
à l’intérieur, Kidal, Ménaka, Yélimané, Nara étaient des purgatoires connus. Combien sont-ils les fonctionnaires qui ont continué à vivre de calvaire, même après les indépendances ? Ainsi, il en a été des bagnes contemporains, comme ceux de Taoudéni, de Kidal, de Tombouctou et de Ménaka qui ont vu passer des militaires, des hauts fonctionnaires, des hommes et des femmes, dans des conditions défiant toute humanité. Cette vision et cette politique ont leur effet dans les crises qui remettent en cause les fondements des états post coloniaux dans plusieurs pays.

Source : L’ESSOR

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