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Pr Moussa Djiré : « L’ÉTAT DOIT MENER UNE REFORME FONCIÈRE HARDIE »

Le Recteur de l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako (USJPB), préconise cette solution pour la gestion des terres et des ressources, afin de mettre fin aux frictions entre agriculteurs et éleveurs. Il ajoute qu’en plus de l’action militaire, le gouvernement doit faire en sorte que les populations sentent sa présence à leurs côtés . 

 

Si l’antagonisme entre agriculteurs sédentaires et éleveurs nomades s’accompagne de tensions, somme toute maîtrisables, la guerre menée au nom de l’islam a changé la donne. Singulièrement dans la Région de Mopti et une partie de la Région de Ségou, où les conflits latents entre agriculteurs et éleveurs ont pris aujourd’hui une dimension beaucoup plus meurtrière parce que menés à coups de kalachnikov. Nul doute qu’aux problèmes traditionnels de terres, se superpose désormais un pseudo combat religieux qui a plongé ces endroits de notre pays dans un engrenage mortifère.
Il est vrai que les tensions mal éteintes entre communautés ont servi de terreau à l’éclosion du terrorisme, surtout dans la Région de Mopti. Alors, pour comprendre la situation, «il faut une analyse systémique qui prend en compte les éléments internes et externes de tensions c’est-à-dire, on prend l’entité dans son environnement économique, politique, social», énonce le Pr Moussa Djiré, Recteur de l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako (USJPB). Dans ses bureaux situés sur les hauteurs de la colline de Badalabougou, où il nous a reçus, vendredi dernier, l’universitaire est d’avis que c’est bien la dimension terrorisme qui a propulsé la Région de Mopti sous les projecteurs de l’actualité. Et que ce fait est un prolongement de la crise qui sévit au Nord.
Le Pr Djiré fait remarquer que les groupes terroristes ont choisi comme stratégie de désintégrer la société malienne. Pour mettre en œuvre leur basse besogne dans la Région de Mopti, ils ont exploité les petites tensions intercommunautaires. Cependant, notre interlocuteur met un bémol en disant qu’il s’agissait surtout de conflits entre les différents systèmes de production. «Je parlerai de conflits entre éleveurs nomades et agriculteurs sédentaires, c’est vraiment de ça qu’il s’agissait dans le passé. Les gens ne s’affrontaient pas parce qu’ils appartenaient à des communautés différentes», explique-t-il.
Le Recteur de l’USJPB connait bien cette partie du Mali pour y avoir conduit des recherches. Il témoigne avoir visité des villages dirigés par deux chefs : un chef dogon et un chef peul. Et aujourd’hui encore, il reste persuadé qu’aucune communauté n’a expressément mis en place une milice pour attaquer l’autre. « Je n’exclus pas que des ressortissants de telle ou telle ethnie, qui ont été enrôlés par les mouvements extrémistes au Nord, soient revenus pour attaquer les paisibles populations qui, pour se défendre, ont mis en place des milices. Et, il suffit que les assaillants soient de teint clair, pour qu’on dise que ce sont des peuls ou de teint noir pour dire que ce sont les dogons», dit-il.

CONFLITS FONCIERS- Cette réalité ne doit pas taire l’impact des conflits fonciers, qui gravitent autour de l’exploitation des ressources naturelles. Les litiges, qui ne font pas l’objet d’un règlement à l’amiable, trouvent rarement une solution définitive dans le cadre du droit coutumier et sont traités au niveau de la justice. Mais très souvent, ils dégénèrent en violences entraînant un cycle de représailles et de destructions de biens voire de morts. Il y a comme une sorte d’incapacité de l’Etat et des autorités coutumières à mettre fin à ces violences récurrentes.
Ces tensions permanentes entre systèmes de production, qui ont quelquefois abouti à des affrontements intercommunautaires dans la zone, ont été un terreau fertile pour que le terrorisme éclose. «Lorsqu’on parle de ces tensions, il faut considérer que c’est beaucoup lié au changement climatique avec la raréfaction des ressources», précise Pr Moussa Djiré. Greffée à l’augmentation de la population, cette rareté a accentué la compétition opposant les modes de production et donc les communautés, dont chacune s’est spécialisée dans un domaine précis de production.
Au-delà, il y a également des conflits intracommunautaires liés à la terre. «Il suffit qu’une des parties à un conflit soit dans un mouvement pour qu’il oriente celui-ci contre l’autre partie», explique l’universitaire. Des conflits liés à la chefferie au sein des communautés s’expriment aussi à travers cette crise. Il est, en effet, connu que certaines communautés, notamment la communauté peule, sont très hiérarchisées. Des révoltés ont donc considéré cette crise comme une opportunité d’émancipation contre leurs anciens maîtres. «Ces révoltés attaquent dans toutes les directions, aussi bien dans leur communauté qu’au sein d’autres », explique le Pr Djiré, ajoutant qu’il y a aussi des enjeux autour de la gestion des bourgoutières.
Une autre dimension à considérer : les modes de tenure des terres. Traditionnels, ces modes côtoient aussi le mode étatique qui essaie de s’imposer, non sans créer des tensions. En effet, l’Etat, à travers la domanialité non définie, a privé les populations de leurs droits sur la terre. Faut-il le rappeler, le code domanial et foncier stipule que toutes les terres non immatriculées, y compris celles sur lesquelles s’exercent les droits coutumiers, sont dans le domaine de l’Etat. Autrement dit, l’Etat peut en faire ce qu’il veut. «Or, dans la tête de nos populations, leurs terres leur appartiennent», relève Moussa Djiré.

REFORME FONCIÈRE HARDIE- Cette situation, d’après lui, a entrainé des tensions, surtout dans la zone Office du Niger, où chaque fois qu’il y a des aménagements, les terres sont données à des opérateurs sans pour autant que les indemnisations soient convenablement réalisées. «Je ne serai pas surpris que certaines communautés aient tissé des relations avec certains groupes terroristes, parce qu’ils ne se reconnaissent plus dans l’Etat», dit-il.
Cette juxtaposition de conflits, pour le Pr Djiré, rend plus complexe la résolution de la crise, car plusieurs dynamiques cohabitent dans un même espace et mieux les communautés développent des stratégies de résistance ou de survie. Il faut alors une multitude de solutions, suggère l’universitaire. «En plus des actions militaires, il faut des actions concrètes de développement, il faut faire en sorte que les gens comprennent que la puissance publique est en train de s’intéresser à eux », préconise t-il, ajoutant que cette démarche doit impliquer aussi une grande sensibilisation, qui devrait aller segment par segment. Pas juste des slogans. L’Etat devra également mettre en place des systèmes efficaces de prise en charge des déplacés et des mécanismes efficaces de concertations devant aboutir à des conventions ou des chartes entre les différentes communautés.
Ce n’est pas tout. Il faudra également engager, de façon plus structurelle, une grande reforme du code domanial et foncier, qui est en relecture, et de la décentralisation. « Contrairement à ce que les gens pensent, la décentralisation du foncier n’est pas intervenue », fait-il remarquer, estimant que l’Etat continue toujours à gérer les terres et les ressources naturelles, même si c’est très récemment que le décret de gestion a été pris. Pour le Pr Djiré, l’Etat doit avoir le courage de faire une reforme foncière hardie tout en respectant les droits des communautés et ceux des individus.

Issa Dembélé

L’Essor

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