La mort le 4 octobre de quatre « bérets verts » des Forces spéciales américaines au Niger a donné un aperçu rare des opérations militaires américaines de grande envergure sur tout le continent africain qui ont été menées presque entièrement en secret.
Des responsables du Pentagone ont déclaré vendredi à des journalistes que l’embuscade était menée par un groupe auto-radicalisé, apparemment affilié à l’État islamique. Le Pentagone a en outre admis qu’au moins 29 patrouilles similaires à celle qui s’est faite fatalement embusquer ont été menées par des soldats américains au Niger.
Selon AFRICOM, le commandement militaire américain installé à Stuttgart (Allemagne), les Forces spéciales américaines déployées au Niger sont chargées de fournir des formations, de la logistique et des renseignements pour aider l’armée nigérienne à combattre les militants affiliés à Al-Qaïda au Mali et à Boko Haram au Nigeria voisin. L’AFRICOM a officiellement déclaré que ses forces interagissent avec l’armée nigérienne dans un rôle de « conseil non-combatif ».
Les circonstances entourant l’embuscade qui a abouti à la mort des quatre bérets verts démasquent les mensonges d’AFRICOM quand il prétends qu’il n’y a pas d’engagements en combat. Les pertes ont eu lieu au cours d’une patrouille conjointe des soldats américains d’élite et des forces nigériennes dans une région hostile à la frontière avec le Mali connue pour les raids fréquents menés par des militants islamistes. Quelque 800 commandos américains sont déployés dans des bases à Niamey et à Agadez, soulignant clairement le rôle offensif de l’armée américaine au Niger.
Sous-tendant l’incident, il y a la place du Niger dans l’offensive impérialiste de Washington à travers l’Afrique. Les niveaux croissants des forces militaires américaines déployées à travers le continent ont revêtu de plus en plus le caractère d’une armée d’occupation. Selon le Pentagone, il y a un total de 1000 soldats américains à proximité du bassin du fleuve Tchad, qui comprend le nord du Niger, le Tchad et la République centrafricaine. 300 autres soldats sont stationnés au sud du Cameroun.
Après sa création en 2008 en tant que commandement indépendant, AFRICOM a considérablement étendu l’influence militaire américaine et les déploiements de troupes sur le continent africain. La mesure de l’expansion militaire américaine est la construction d’une base de 100 millions de dollars à Agadez, dans le centre du Niger, à partir de laquelle l’US Air Force effectue régulièrement des vols de drones de surveillance à travers la région du Sahel.
En appuie des forces spéciales dans la région se trouvent des militaires cantonnés dans plusieurs dizaines de bases et avant-postes dont une base américaine à Garoua, au Cameroun.
Les unités d’opérations spéciales en Afrique ont leurs origines en 1980, après que le Pentagone a créé le Commandement des opérations spéciales (SOCOM) pour mener un raid contre l’ambassade américaine à Téhéran, en Iran, pour sauver les otages américains. Au fil des années, SOCOM a considérablement élargi son cadre et dispose actuellement de forces cantonnées sur tous les continents du globe.
Composé de diverses unités de l’armée américaine, dont les Bérets verts, Delta Force et Navy Seals, le SOCOM mène un large éventail d’opérations offensives, notamment des assassinats, des opérations de contre-terrorisme, des opérations de reconnaissance, des opérations psychologiques et d’entraînement de troupes étrangères. Sous AFRICOM, ces forces forment un sous-groupe de SOCOM désigné comme le Commandement des opérations spéciales en Afrique (SOCAFRICA).
Entre 2006 et 2010, le déploiement des forces spéciales américaines en Afrique a augmenté de 300 %. Cependant, de 2010 à 2017, le nombre de troupes déployées a explosé de près de 2000 %, occupant plus de 60 avant-postes chargés d’effectuer plus de 100 missions à un moment donné à travers le continent.
L’ampleur de l’expansion militaire qui a pris son vrai essor sous le gouvernement d’Obama fait partie d’une nouvelle « ruée vers l’Afrique », consistant en une course imprudente à la domination économique sur les vastes ressources économiques de l’Afrique qui menace de transformer tout le continent en champ de bataille.
Les racines immédiates de l’embuscade nigérienne peuvent être attribuées à la guerre de 2011 des États-Unis et l’OTAN en Libye, qui a entraîné le renversement et l’assassinat du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. Sous le gouvernement Obama, Washington a cultivé et armé divers groupes militants islamistes liés à Al-Qaïda comme une force par procuration pour réaliser son objectif de changement de régime. Le bombardement par les États-Unis et l’OTAN qui en a résulté, a laissé la société libyenne en ruine et les combattants islamistes se sont répandus à travers l’Afrique du Nord et le sud jusqu’au Sahel.
En 2012, à la suite d’un coup d’État appuyé par les américains et les français contre le gouvernement de Bamako, les rebelles touaregs du nord du Mali ont profité du chaos résultant du coup d’État pour organiser une rébellion. Lorsque les militants touaregs ont commencé à prendre le contrôle des villes et des territoires pénétrant dans le sud du Mali, la France, appuyée par le gouvernement Obama, a déployé 4000 soldats pour neutraliser les rebelles touaregs et stabiliser le gouvernement mis en place à Bamako.
Si la rébellion touarègue a peut-être été stoppée par l’offensive française soutenue par les États-Unis, des combattants islamistes libyens se sont déversés au Mali, dont beaucoup ont pris les armes contre le gouvernement fantoche soutenu par l’Occident. Les combattants islamistes se sont largement réunis en un seul grand groupe, déclarant l’allégeance à Al-Qaïda au Maghreb (AQMI). Les forces militaires du Niger et du Tchad qui ont participé à l’intervention américano-française au Mali sont devenues des cibles fréquentes des militants islamistes qui ont commencé à mener des raids transfrontaliers et à lancer des attaques contre des patrouilles et des garnisons.
La montée en puissance de ces milices islamistes en guerre qui ont transformé l’Afrique de l’Ouest en champ de bataille est le résultat de la stratégie de longue date de Washington pour cultiver ces forces comme une armée par procuration dans ses guerres pour le changement de régime, au début, au Moyen-Orient et en Afghanistan, puis en Afrique.
Derrière le déploiement militaire de la France, se trouvent les intérêts économiques que la France vise à protéger non seulement le Mali, mais aussi dans l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, région qui faisait autrefois partie de son empire colonial. Au Niger, le géant énergétique français Areva a mis en place des opérations minières pour extraire les riches ressources en uranium du pays.
Pour sa part, Washington a engagé les forces militaires du Burkina Faso, du Cameroun, du Nigéria, du Niger, du Tchad et du Mali dans sa course à la domination du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest. Tous ces pays étant dotés d’avant-postes américains.
Un élément clé de l’expansion militaire de Washington dans la région est lié aux ressources économiques importantes qu’il vise à obtenir pour les intérêts des grandes entreprises américaines. Au nom de ces intérêts, et en complément de son opération militaire, Washington a construit une ambassade à un coût de 300 millions de dollars à Niamey.
Les interventions militaires de Washington en Afrique doivent également être considérées comme un effort pour déjouer l’influence économique croissante de la Chine sur le continent. Ces dernières années, Pékin a conclu des accords d’investissement avec les gouvernements africains dans presque tous les secteurs de l’économie africaine.
La China National Petroleum Company (CNPC) a acheté le permis de forage pétrolier dans le bassin d’Agadem au Niger, et la CNPC a également construit et exploite la raffinerie de Soraz près de Zinder, la deuxième plus grande ville du Niger. Des contrats de Beijing pour la construction de pipelines traversant le Tchad, le Niger, le Burkina Faso et le Cameroun sont actuellement en cours de développement, ce qui sème la consternation à Washington.
(Article paru en anglais le 14 octobre 2017)
Source: wsws