“Toutes les options sont sur la table, y compris un retrait des 4500 hommes de la force Barkhane du Sahel”. Au moment où se produisait l’attaque particulièrement sanglante au Niger (71 morts et des disparus) contre le camp militaire d’Inates, les conseillers diplomatiques de l’Elysée n’excluaient pas un scénario inimaginable il y a quelques mois : la fin de l’intervention française.
Il faut dire qu’en quelques mois, la situation a changé au Mali et chez ses voisins du Sahel (Niger, Burkina Faso), de plus en plus ciblés par les attaques des groupes djihadistes. C’est d’ailleurs l’EIGS (Etat islamique au Grand Sahel) qui a revendiqué ce jeudi l’attaque, rarement vue par son ampleur (plusieurs centaines d’assaillants lourdement armés) qui s’est produite à la frontière malienne. Un attentat qui souligne aussi la faiblesse du dispositif sécuritaire partagé entre armées locales et françaises.
Le président Macron a évoqué l’éventualité d’un retrait ces derniers jours et a mis la pression sur les pays du G5 Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso, Mauritanie, Tchad). Il voulait, dit-il, saisir l’occasion d’un sommet à Pau, programmé le 16 décembre, pour que ces pays “clarifient” leur position vis-à-vis de la présence française, et “réévaluer les termes de (notre) présence légitime au Sahel”. Tout un symbole de choisir cette ville où étaient basés 7 des 13 soldats de la force Barkhane morts le 25 novembre au Mali.
Pourquoi le sommet a-t-il été reporté ?
L’attentat terroriste sur la base d’Inates a été avancé, notamment par l’Elysée “en accord avec son homologue Mahamadou Issoufou” pour expliquer le report de ce sommet. Il se tiendra au début de l’année 2020. C’est la raison officielle, mais ce n’est pas sans doute pas la seule.
Cette réunion avait été décidée par Emmanuel Macron et ses conseillers diplomatiques peu après la mort des 13 militaires de Barkhane. L’objectif affiché étant de “d’élaborer une feuille de route pour inverser le rapport de force défavorable notamment dans la zone des trois frontières”. Zone entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso particulièrement visée par les GAT (groupes armés terroristes) ces derniers mois.
Sentiment anti-français
Mais cette “invitation” a été ressentie par certains gouvernements comme une “convocation” d’une ancienne puissance coloniale. «La forme et le contenu de la déclaration ont manqué de tact. Nous ne sommes pas dans une guerre entre le G5 Sahel et la France. Nous estimons que le partenariat doit être revu pour une meilleure efficacité sur le terrain », avait déclaré le président du Burkina Roch Kaboré.
Certains médias africains ont souligné ces derniers jours que cette attitude allait “raviver le sentiment anti-français”, alors que les populations locales se montrent de plus en plus hostiles aux militaires français.
Un cap a été franchi avec la mort des 13 soldats français, et l’opinion publique française, elle aussi, commence à se poser des questions sur cette “guerre” au Sahel, entamée en janvier 2013 avec l’intervention de Serval décidée par François Hollande.
D’abord repoussés au nord du Mali, les groupes djihadistes ont réussi à se reformer, et même, à se coaliser, s’attirant parfois la complicité de certains locaux. Les problèmes ethniques ont amplifié également cette impossibilité de Barkhane à ramener le calme et la paix. Sans compter la corruption endémique, l’incapacité de ces armées à prendre le relais de Barkhane, et l’isolement de la France face à la montée en puissance de la menace djihadiste. La France, accusée par Bamako de faire le jeu des séparatistes touaregs, perd de son influence : le représentant (français) de la Minusma (Nations Unies), à Kidal, vient d’être expulsé du pays.
Les Russes aux aguets
Paris sait qu’il se trouve à un tournant de sa diplomatie et de sa stratégie militaire au Sahel. Les cinq chefs d’Etat africains ont décidé d’anticiper le sommet avec Emmanuel Macron en se rencontrant entre eux au préalable, normalement le 15 décembre. Pour dresser un front commun contre la position française ? Les prochaines semaines s’annoncent décisives pour l’avenir de la présence militaire dans la bande sahélo-saharienne.
Coïncidence ou pas : ces derniers jours, de nouveaux acteurs ont pris pied dans la région, ou amplifié leur activité. Les Etats-Unis s’apprêtent à fournir des équipements militaires et 60 véhicules blindés au Niger. En juin dernier, la Russie et le Mali ont signé un accord de coopération militaire, et des consultants, vraisemblablement de la société militaire privée russe Wagner, auraient été aperçus tout récemment à Bamako.
Source: lalsace