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Pour beaucoup de pays africains, 2021 a rimé avec démocratie en berne et insécurité grandissante

Tour d’horizon avec Gilles Yabi, analyste politique et économiste, qui fait le lien entre démocratie, Etat de droit et insécurite.

 

L’Algérie n’a pas tourné la page du Hirak au grand dam du pouvoir. Le régime égyptien est toujours aussi oppressif. Pas d’élections en Libye, crise de gouvernance en Tunisie, succession militaire et héréditaire au Tchad, deux putschs en une année au Mali, nouveau coup d’Etat dans l’histoire chaotique de la Guinée, un autre au Soudan qui met fin à un élan révolutionnaire inédit, dérive autoritaire au Rwanda, guerre contre les jihadistes au Mozambique et guerre tout court en Ethiopie. Sans compter le terrorisme au Sahel et les zones habituelles de tension connues sur le continent, comme la République Démocratique du Congo. Au total, en matière d’Etat de droit, les signaux sont passés au rouge dans nombre de pays africains en 2021, un peu plus encore que les années précédentes. Entretien avec Gilles Yabi, fondateur du think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest, Wathi.

Franceinfo Afrique : coups d’Etat, conflits et dérives autoritaires se sont accumulés de façon exceptionnelle cette année. Peut-on en conclure que 2021 se caractérise par un recul démocratique en Afrique ? 

Gilles Yabi : il y a effectivement une détérioration du classement de beaucoup de pays africains au regard des indicateurs mesurant l’évolution démocratique. En matière de recul démocratique, il y a une tendance globale qui se constate aussi sur le continent africain. Cependant, je serai plus nuancé sur le fait de considérer que ces coups d’Etat spécifiques soient l’indication de la régression dont nous parlons. Il y a plutôt un recul au niveau des pays qui semblaient les plus engagés dans cette voie de la démocratisation et du respect des libertés. En Afrique de l’Ouest, région que je connais le mieux, je parlerai par exemple du Bénin où tous les indicateurs témoignent d’une détérioration rapide. On peut dire la même chose, mais pas dans les mêmes proportions, du Sénégal et du Ghana. Les pays où il y a eu des coups d’Etat − Mali, Guinée et Soudan de l’autre côté − ont des trajectoires politiques particulières. Ce ne sont pas des pays où la démocratie est installée depuis des années. A part peut-être le Mali qui a été perçu comme un modèle démocratique jusqu’à la crise de 2012, les autres ont connu beaucoup de régimes militaires.

Si on parle de démocratie, d’Etat de droit et de liberté, il faut aussi tenir compte, car ce n’est pas la même chose, de la situation en termes de sécurité et de stabilité. Nous avons effectivement des signaux qui sont plutôt inquiétants dans beaucoup de pays, notamment dans ceux qui connaissent une situation sécuritaire très dégradée, comme au Sahel. Au Mali, au Niger et au Burkina Faso, la situation est très préoccupante depuis ces cinq dernières années et 2021 n’a pas été meilleure en comparaison des précédentes. Cette année a confirmé l’absence de solution à une crise qui perdure et le sentiment d’impuissance des Etats. Tout comme elle a confirmé qu’une crise n’est jamais circonscrite aux territoires de départ et le débordement de la crise sahélienne sur les pays côtiers que l’on craignait est en train de se produire avec des attaques plus récurrentes, même si elles sont de petite ampleur, en Côte d’Ivoire et au Bénin. Plus loin, au Mozambique et en Ethiopie, des groupes armés s’affrontent. Il est à noter que chaque fois que la situation sécuritaire est dégradée, il y a un impact sur la démocratie et les libertés puisque cela peut justifier des restrictions et permettre à des régimes opportunistes d’utiliser l’argument de l’insécurité pour verrouiller l’espace public et politique.

Des situations différentes mais toujours le même constat. A savoir celui d’Etats incapables de garantir les droits les plus élémentaires des Africains, ce qui est le cas, en principe, dans une démocratie…

D’abord, il faut tenir compte de la diversité des situations : il y a 54 pays en Afrique. Parmi eux, il en reste tout de même qui maintiennent à peu près leurs standards démocratiques. Ensuite, en Afrique comme ailleurs, les Etats ont leur histoire. Il faut rappeler que les vieilles démocraties n’ont pas toujours été des démocraties et qu’elles ont connu aussi des périodes extrêmement brutales. Il n’y a pas si longtemps que cela, nous avons vu l’évolution des Etats-Unis sous Donald Trump. Il faut garder cela à l’esprit pour ne pas avoir une sorte de particularisme africain.

N’oublions pas non plus que nous sommes en train de parler de pays jeunes qui, pour les plus vieux, ont 60-70 ans en tant qu’Etats indépendants dans leurs frontières actuelles. Evidemment, leurs sociétés existaient avant mais leur trajectoire politique a été complètement modifiée et bouleversée par la période coloniale. Ainsi, lorsqu’on parle de démocratie, il faut aussi parler de la construction des Etats qui, de ce point de vue, montrent pour beaucoup de signes d’impuissance et cela me préoccupe autant que la question de la démocratie. Cette dernière ne peut pas être isolée de celle du progrès économique et social des sociétes, de la question de la sécurité et du renforcement des Etats dans leur rôle de protection. Un pays est en paix aussi parce qu’il y a une économie qui occupe les gens, les jeunes. Quand vous avez cela, vous avez moins de chance que des groupes armés, quels qu’ils soient, puissent facilement recruter. Il est très important de mener une réflexion en tenant compte du fait que la démocratie se maintient aussi par les progrès que l’on fait dans tous les autres domaines. Et c’est pour cela qu’il faut être réaliste car on ne transforme pas miraculeusement des situations aussi difficiles.

La menace terroriste et les groupes jihadistes sur le continent ne peuvent-ils pas amener les dirigeants africains à lutter contre l’instabilité persistante dans leurs pays ?

C’est certain qu’aujourd’hui, c’est le moment où jamais de se reprendre parce que certains pays sont menacés par une forme de dislocation. Il y a urgence quand des Etats ne contrôlent plus qu’une moitié de leur territoire, voire moins parce que l’autre partie l’est de fait par des groupes armées. Vous n’avez plus prise non plus sur les populations qui y vivent et ces dernières peuvent ne pas souhaiter le retour d’un Etat, soit qui n’a jamais été là, soit qui n’a jamais été perçu comme bienveillant mais plutôt comme une force de racket. Aujourd’hui, il faut un changement assez fort pour donner au moins le sentiment que les gouvernants et les élites politiques ont compris qu’on ne pouvait pas abandonner des pans entiers de la population sans service public, sans améliorer les conditions de vie pendant des décennies. Dans les campagnes des pays sahéliens, quand il y en a, vous voyez les mêmes routes délabrées depuis 20-30 ans. Il n’y ni changement dans les habitations, ni dans les outils de production. Et quand la situation sécuritatire se complique, cela devient ardu de faire ce que l’on aurait dû faire il y a 20 ans.

Y a-t-il des exceptions qui peuvent servir de modèles, dans ce tableau général peu reluisant ?

Sur la durée, le Botswana témoigne de ce qui résulte d’un mode de gouvernance politique et économique où l’on met, par exemple, une partie des ressources d’un Etat au service de l’éducation, de la santé et du capital humain. Ce pays l’a fait avec l’industrie du diamant qui a été mise au service de la diversification de l’économie, de l’éducation et de la formation. Tout cela a permis au Botswana, depuis son indépendance, de maintenir sa stabilité politique et d’améliorer les conditions de vie de ses populations qui bénéficient d’un système de santé et d’un système éducatif fonctionnels. Même si de temps en temps, il y a des tensions sur le plan politique comme ces dernières années.

Il y a également le Cap Vert. On pourrait objecter que c’est un petit pays mais ce n’est pas pour cela que ça marche. C’est aussi parce qu’il y a un mode de gouvernance assez collégial et une simplicité dans la manière d’envisager l’exercice du pouvoir. Il y a un rapport différent entre les élites politiques et les populations : on peut facilement rencontrer et discuter avec le président et le Premier ministre.

Je pense aussi au Rwanda, qui dans beaucoup de domaines est célébré, mais il faut être mesuré sur ses progrès, car il demeure un pays pauvre en dépit d’une certaine dynamique dans la capitale et autour. Dans le fonctionnement de l’administration et des agences publiques, par exemple, il y a des choses à prendre dans le modèle rwandais caractérisé par un régime autoritaire. En somme, il ne faut pas chercher un modèle mais il faut aller voir dans chaque pays ce qui fonctionne mieux qu’ailleurs et en tirer des leçons.

Source : Franceinfo
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