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[Portrait] Akinwumi Adesina, le nouveau banquier de l’Afrique

Ancien ministre de l’Agriculture et du Développement rural du Nigeria, Akinwumi Adesina a été élu le 28 mai dernier à la tête de la Banque africaine de développement, la plus grosse institution finacière du continent. Portrait d’un banquier pas comme les autres.

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« Je serai un président responsable et humble ». C’est avec ces propos qu’Akinwumi Adesina,ému, a accueilli l’annonce de son élection à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD), la toute première institution financière du continent et son principal bailleur de fonds, devant la Banque mondiale. Agé de 55 ans, toujours élégamment mis, le col de sa chemise resserré par l’inévitable nœud papillon dont il a fait sa marque de fabrique, l’homme est devenu, le 28 mai dernier, le huitième président à diriger la BAD depuis sa création en 1964 et le premier Nigérian à accéder à ce poste stratégique dans un continent en pleine mutation économique.

Cette élection marque la fin de la règle tacite qui a jusqu’ici empêché les actionnaires de la banque panafricaine de confier sa direction à un ressortissant d’un des plus grands  pays du continent, de peur sans doute de voir les petits pays exclus des programmes de financement. Le mastodonte nigérian qui, avec 9,3% des parts, est le premier actionnaire de la BAD, espère profiter de l’arrivée de l’un des siens à la tête de l’organisation panafricaine pour mieux asseoir sa domination économique sur le continent, même si l’heureux élu a affirmé dès ses premières déclarations avoir l’ensemble de l’Afrique dans son viseur, les grands pays comme les petits.

Candidat des Africains

« Si le docteur Adesina a été élu, ce n’est pas parce qu’il est Nigérian, mais parce que c’est un professionnel aguerri, certainement l’un des dirigeants les plus compétents à présider sur la destinée d’une banque de développement dans le monde aujourd’hui », déclare Jean-Joseph Boillot, co-auteur de l’ouvrage Chindiafrique (Ed. Odile Jacob, 2013) et conseiller économique sur les pays émergents au Club du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII). Ancien ministre fédéral de l’Agriculture et du Développement rural du Nigeria, Adesina fait aussi l’objet d’un consensus dans son pays où sa candidature a été adoubée par le gouvernement sortant et par la nouvelle équipe dirigeante qui vient d’accéder au pouvoir à Abuja. « C’est un homme qui a fait ses preuves tout au long de sa carrière », aurait dit de lui le nouveau chef de l’Etat Muhammadu Buhari.

Toutefois, l’élection du Nigérian n’est pas allée de soi. La quête d’Adesina pour la présidence de la banque de développement africaine a commencé dès 2014 lorsque son président sortant, le rwandais Donald Kaberuka, a rappelé aux actionnaires qu’il avait atteint la limite de ses deux mandats et qu’il était temps de lancer les recherches pour un successeur. Le Nigérian a alors pris son bâton de pèlerin pour aller présenter son projet pour la BAD à ses 80 actionnaires, dont les 54 Etats africains.

La principale difficulté de sa campagne consistait, selon l’intéressé, à convaincre les 26 actionnaires non-régionaux dont la Grande-Bretagne, la France, les Etats-Unis, le Japon et la Chine. En raison de leurs parts élevées dans le total des investissements en Afrique, les actionnaires non-continentaux jouent un rôle non-négligeable dans le choix du président de la BAD. Ceux-ci soutenaient la candidature de la ministre cap-verdienne des Finances Cristina Duarte, alors que le cœur des actionnaires africains balançait entre le ministre des Finances tchadien Bedouma Kordjé – le candidat des Francophones – et le Nigérian. Il y avait en tout huit candidats en lice et c’est seulement au terme de six tours de scrutin qu’Akinwumi Adesina a pu s’imposer avec 58,10% des voix. Selon l’intéressé, ce sont en fin de compte les coups de fil passés par le président nigérian Muhammadu Buhari à ses homologues des pays occidentaux, actionnaires de la banque, qui lui auraient permis de gagner la partie.

Parcours original

Quoi qu’il en soit, le parcours personnel brillant d’Adesina n’est certainement pas étranger à sa victoire. « Un parcours aussi exceptionnel qu’original », rappelle Boillot. En effet, contrairement à ses concurrents, le Nigérian n’est pas issu du monde des finances, ni est-il un politique pur et dur. C’est avant tout un spécialiste de l’agriculture, secteur dont les différentes facettes n’ont aucun secret pour cet agroéconomiste de réputation internationale.

Il faut dire que l’homme est tombé dans l’agriculture à sa naissance. Il est originaire d’une famille paysanne du sud-ouest du Nigeria. Une famille plutôt modeste dont le revenu journalier ne dépassait guère 0,10 dollars par jour à la naissance d’Adesina en 1960. Celui-ci a quand-même pu faire des études brillantes qui l’ont conduit à l’université agricole de Purdue (Indiana) aux Etats-Unis où il a décroché en 1988 un doctorat en développement agricole.

Spécialisé dans l’économie de l’agriculture, Adesina a ensuite occupé des positions élevées dans plusieurs organismes liés à l’agriculture aux Etats-Unis, mais aussi dans différents pays de l’Afrique de l’Ouest. Il a par ailleurs collaboré à la Fondation américaine Rockfeller et a travaillé à l’Alliance pour une Révolution verte en Afrique (Agra) dont l’action est soutenue par des entreprises et de nombreuses agences de développement internationales connues.

En 2011, l’homme est appelé par le président nigérian Goodluck Jonathan à rejoindre son gouvernement en tant que ministre de l’Agriculture. Pour le secteur agricole, longtemps négligé à cause de la prédominance des hydrocarbures dans l’économie nigériane, l’arrivée d’Adesina est un tournant. En l’espace de quatre ans, celui-ci réussit à réduire de plus de moitié les importations alimentaires de son pays qui ont chuté de 4,6 milliards à 2,1 milliards d’euros. Parallèlement, la production agricole domestique a augmenté de 21 millions de tonnes, créant au passage 3 millions d’emplois dans la filière.

On doit aussi à ce ministre à la main verte, l’amélioration dans la gestion et la distribution des engrais, longtemps synonymes, au Nigeria, de corruption et d’inefficacité. Cette avancée inespérée a été obtenue grâce à la vulgarisation d’un système astucieux de porte-monnaie électronique qui permet aux utilisateurs de bénéficier directement des subventions, sans passer par des intermédiaires. Ces réformes innovantes ont changé la vie des paysans nigérians qui vouent depuis un véritable culte à leur ministre. Ces progrès ne sont pas passés inaperçus non plus sur le plan international, comme en témoigne le choix d’Adesina par le magazine Forbes en 2013 comme « la personnalité africaine de l’année ».

Réorienter les investissements

C’est auréolé de ses succès en tant que ministre de l’Agriculture réformateur qu’Akinwumi Adesina débarque aujourd’hui aux commandes de la BAD. Il prendra le relai de Donald Kaberuka, un super-banquier qui a changé le visage de la banque. Au terme de ses dix ans de mandat, ce dernier laisse une institution financièrement solide, forte de sa prestigieuse note de triple A décernée par l’agence de notation financière américaine Fitch en 2013.

Il y a 10 ans, lorsque Kaberuka a été nommé à son poste, la banque croulait sous des prêts irrécupérables et menaçait de fermer ses portes. Sous l’impulsion du Rwandais, la BAD a remonté la pente et a gagné en envergure. Elle a vu son capital autorisé tripler, passant à 91 milliards d’euros. Avec par ailleurs près de 8 milliards d’euros investis chaque année dans les domaines de la santé, des infrastructures et des énergies renouvelables, elle est devenue le premier bailleur de fonds du continent africain. Enfin, Kaberuka est crédité d’avoir mis en œuvre avec succès le retour de la BAD à son siège historique d’Abidjan, après onze années de relocalisation à Tunis.

Si le programme ambitieux de renforcement des capacités de financement de la banque que le Nigérian Adesina a vendu avec succès au Conseil des gouverneurs, s’inscrit dans la voie tracée par le président sortant, il renouvelle aussi. La croissance aidant, l’Afrique a profondément changé au cours de la dernière décennie. Son profil économique aussi, avec des fossés qui se sont creusés entre les pays riches et les pays pauvres. Le nouveau patron de la BAD qui a fait de la lutte contre la pauvreté la grande cause de sa carrière, souhaite s’en prendre à ce déséquilibre fondamental, en réorientant résolument les investissements de sa banque vers les petits pays, souvent les plus fragiles du continent.

Selon des études d’Africa Research Institute, l’essentiel des financements de la BAD va aujourd’hui vers des pays solvables tels que le Kenya ou le Nigeria qui peuvent facilement lever des fonds sur des marchés privés. Il faudra investir plus et surtout autrement, suggère Adesina dans son programme.

La solution, si l’on en croit les premières déclarations du président-élu, passe par des co-financements de projets en collaboration avec des bailleurs de fonds internationaux tels que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), mais aussi par la recherche d’instruments innovants pour mieux mobiliser la masse d’épargne inexplorée des Africains.

Adesina propose aussi de renouer avec les priorités qui étaient les siennes en tant que ministre de l’Agriculture de son pays : relancer les économies rurales, promouvoir le secteur privé, créer des emplois pour la jeunesse, et last but not least, remettre l’agriculture au cœur de l’activité économique. « Seule ombre au tableau, selon Jean-Joseph Boillot, l’accent mis par Adesina sur une vision industrielle et technologique de l’agriculture aux dépens de l’agriculture familiale qui seule est capable de concilier les impératifs de la sécurité alimentaires et l’amélioration des moyens d’existence dans une Afrique en plein boom démographique. »

En revanche, l’approche inclusive que préconise le nouveau maître de l’institution panafricaine et qui s’inscrit dans la philosophie d’intégration régionale des pères fondateurs de la banque, devrait rassurer, notamment les pays francophones qui craignent de voir leurs besoins de financements négligés par la BAD, sous le leadership d’un président issu du monde anglophone. La franco(phonie)philie affichée de ce dernier ainsi que la chaleureuse lettre de félicitations que lui a adressée Michaëlle Jean, Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), affirmant sa disponibilité pour une « intensification » des relations entre leurs deux organisations, apportent la preuve qu’au moins dans le domaine de la coopération économique, le complexe de Fachoda appartient bel et bien à l’Histoire.

 

Source: RFI

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