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Plusieurs visages, un seul coeur: Chantal Biya, la femme du président du Cameroun

Derrière un look flamboyant et un naturel excentrique se cache une première dame bien consciente de son rôle dans la vie politique du Cameroun. Mais qui est vraiment Chantal Biya ?

couple présidentiel camérounais Paul Chantal Biya

Cheveux roux et look flamboyant totalement assumés, la seconde épouse du président camerounais intrigue, séduit, agace ou amuse. Une forme de consécration pour cette métisse de 42 ans, accueillie fraîchement à son arrivée au coeur du pouvoir à tout juste 23 ans par une classe politique adepte de l’entre-soi. “Excellence” pour ses collaborateurs, qui la craignent, “Chantou” pour la plupart des Camerounais, la femme effacée du milieu des années 1990 a gagné en assurance sous les ors du palais d’Étoudi. Méthodiquement, elle a bousculé les codes, construit son réseau et érigé son propre système, devenant une véritable actrice de l’ombre de la vie politique camerounaise, capable de faire et défaire des carrières.

Elle veille à la promotion des siens. Nombreuses sont les influentes personnalités de l’est du Cameroun – sa région d’origine – qui lui doivent en partie leur ascension : Antoine Zanga, deux fois ministre et actuel ambassadeur du Cameroun au Vatican ; l’ex-journaliste Joseph Lé, directeur adjoint du cabinet civil à la présidence de la République ; l’ancien maire de sa ville natale de Dimako, Janvier Mongui Sossomba, promu président de la chambre d’agriculture en 2011. Dans le premier cercle de Chantal Biya figurent aussi Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la présidence, Pierre Ismaël Bidoung Mkpatt, ministre de la Jeunesse, ou encore Hilarion Etong, premier vice-président de l’Assemblée nationale.

Le Cerac lui permet d’asseoir son autorité

Du côté des femmes, si elle a gardé la plupart de ses amies de jeunesse, son véritable vivier de relations se trouve désormais au Cercle des amis du Cameroun (Cerac), qu’elle a créé, qu’elle préside et qui lui permet d’asseoir son autorité. La première dame est notamment proche de Habissou Bidoung Mkpatt, épouse du ministre de la Jeunesse et secrétaire générale de la Fondation Chantal-Biya, de Yaou Aïssatou, ex-ministre de la Condition féminine aujourd’hui directrice générale de la Société nationale d’investissement (sa “marraine” à son arrivée au Palais, à la demande du chef de l’État), ou de Nathalie Engamba Ada, épouse d’Adolphe Moudiki, le très secret et influent directeur général de la Société nationale des hydrocarbures.

Pourtant, son emprise sur son président de mari a des limites. Elle a certes joué un rôle dans l’éloignement d’Alain Mebe Ngo’o du cabinet civil de la présidence en 2004, mais n’a pu obtenir le même résultat avec son remplaçant, Martin Belinga Eboutou, avec qui elle entretient des relations tendues. De même, elle n’a pas pu empêcher l’incarcération de Marafa Hamidou Yaya, ex-secrétaire général à la présidence, dont les rejetons étaient amis avec Anastasie Brenda Eyenga et Paul Biya Junior, les enfants du couple présidentiel.

Qu’importe ! Ce n’était pas gagné pour cette “fille du peuple” née à Dimako, petite localité perdue dans l’immense forêt de l’est du pays, cette enfant unique élevée par une mère célibataire, Rosette Ndongo-Mboutchouang, ancienne Miss Bertoua (1967) entre-temps devenue maire de Bangou (ouest), en 2007. Ni pour l’adolescente montée à Yaoundé suivre ses études secondaires et qui devait se contenter de rencontres épisodiques, à Douala, avec son père français, Georges Vigouroux, ex-employé de la Société forestière et industrielle de Bélabo, qui la reconnaîtra sur le tard. Ni, enfin, pour le mannequin, déjà mère de jumeaux, défilant pour d’obscurs stylistes locaux quand elle n’est pas serveuse dans un restaurant de la capitale.

Loin du cliché de la Première dame qui reste à sa place

Plusieurs visages Chantal Biya femme président Cameroun

En 1992, Paul Biya perd sa première épouse, Jeanne-Irène Atyam. Son entourage, qui l’incite à refaire sa vie, a une idée bien précise de la compagne idéale. Ainsi, son ministre et ami de longue date Ibrahim Mbombo Njoya, sultan des Bamouns, dissimule mal son espoir d’une union avec l’une des filles de la dynastie régnante à Foumban (ouest). “En somme, décrit le sociologue Fred Eboko, les bien-pensants lui prescrivent un mariage politique avec une “femme savante”, une “précieuse ridicule” ou une “fille de” qu’on lui aurait présentée.” Pourquoi Paul Biya a-t-il finalement jeté son dévolu sur Chantal Pulchérie Vigouroux ?

De leur rencontre, on ne sait en réalité pas grand-chose. Auteur d’une biographie du président (Les Secrets du pouvoir, Karthala, 2005), Michel Roger Emvana évoque un coup de foudre en 1993, lors de la soirée d’anniversaire du chef de l’État à Mvomeka’a, son village natal. Chantal, 22 ans, y a été emmenée par une amie, la regrettée Élise Azar, une métisse libano-camerounaise épouse d’un neveu de Biya. Fred Eboko poursuit : “Séduit par cette Chantou spontanée, drôle, impulsive et naturelle, Paul Biya a fait un choix personnel, intime.”

Vingt ans plus tard, les époux donnent l’image d’un couple des plus traditionnels, amoureux, uni par un goût partagé des longs séjours à l’étranger, qui occupe au quotidien un petit pavillon dans l’enceinte du Palais et entretient de saines relations avec les jumeaux de Chantal, Patrick et Franck Hertz, 25 ans, respectivement chef d’entreprise (Patrick a succédé à leur père, Louis Hertz, décédé en 2009, à la tête de Mac Pac International Movers) et cadre à la Société nationale des hydrocarbures. Quant à Georges Vigouroux, qu’on dit très introduit dans les réseaux de Bolloré, il a une forte influence au niveau de la plateforme portuaire de Douala, où il joue le rôle de facilitateur auprès d’entreprises en quête de contrats. De tous les voyages et cérémonies officiels ou presque, le père de Chantal Biya s’est même octroyé, pendant le sommet de l’Élysée, un petit séjour à la résidence présidentielle, villa Maillot, à Neuilly-sur-Seine.

Loin de l’image de la première dame africaine se contentant de rester à sa place, Chantal Biya, qui ne figure nulle part dans l’organigramme officiel de la présidence, investit l’espace public dès 1994. Notamment avec une fondation à son nom qui devient, au plus fort de la pandémie du VIH/sida, un partenaire incontournable des organisations internationales pour la fourniture de médicaments et la prise en charge des orphelins sur le sol camerounais. Chantal Biya, qui dispose toutefois d’un bureau dans l’enceinte du palais d’Étoudi, suggère des pistes de lobbying et organise des campagnes de levée de fonds particulièrement efficaces. Ce qui lui vaut d’être consacrée “star de la lutte contre le sida” par Luc Montagnier, codécouvreur du virus. Le professeur français avait accepté, dès 2002, d’être le parrain et la caution scientifique de la Fondation Chantal-Biya.

Mais c’est une autre organisation, Synergies africaines contre le sida et les souffrances, qui assure son rayonnement international à une Chantal Biya plus politique et apte à s’entourer des meilleures compétences. Créée en marge du 21e sommet France-Afrique organisé en 2001 à Yaoundé, l’association rassemble une trentaine de premières dames, les adhésions les plus récentes étant celles de Djéné Kaba Condé (Guinée) et de Sylvia Bongo Ondimba (Gabon). Chantal Biya est également proche de Chantal Compaoré (Burkina Faso), présidente d’honneur de Synergies africaines, et de Dominique Ouattara (Côte d’Ivoire).

Des petits gestes qui touchent les Camerounais

Épouse d’un président taiseux et souvent absent de l’arène politique nationale et internationale, Chantou a le secret de ces petits gestes qui ravissent les Camerounais. Ainsi, lors de la Coupe d’Afrique des nations 2002, au Mali, elle avait fait affréter un avion militaire chargé de victuailles et dépêché quatre cuisiniers pour régaler une délégation camerounaise peu séduite par la cuisine locale. En décembre 2012, lors de la 20e assemblée générale du Cerac, elle avait tenu contre sa poitrine, pendant trente longues minutes, l’un des petits orphelins du Centre communautaire de l’enfance, à Yaoundé. Autre exemple : pendant les célébrations de la Journée de la femme, le 8 mars 2012 à Meyomessala, elle avait personnellement distribué du champagne, soulevant sans façon les plateaux de boisson et hélant chacune des invitées par son nom.

À ceux qui l’accusent de surjouer, une juriste, membre de l’association, rétorque : “Au Cerac, elle est simplement elle-même, une jeune grand-mère qui prend son petit-fils sur ses genoux. C’est quelqu’un de bien, de simple.” Trop simple ? L’épouse d’un ancien ministre confie que lors des rencontres de l’association, Chantal Biya, volubile, toujours prête à s’esclaffer et à esquisser des pas de danse, se contente de banales amabilités. Un style que ses détracteurs vilipendent, quand Jeanne-Irène Biya ou même Germaine Ahidjo personnifiaient à leurs yeux la classe et la grâce. L’opposition, qui s’accommode mal de son omniprésence dans les médias – en particulier en périodes électorales -, dénonce un clientélisme aux frais de l’État. Pour elle, les innombrables événements que l’ambassadrice de bonne volonté de l’Unesco préside, du Grand Prix Chantal-Biya (cyclisme) à la Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, servent avant tout les intérêts du président.

Dans une société camerounaise où l’on s’interroge sur l’avenir du pays, la population se fait spectatrice et semble en redemander. Comme souvent en Afrique, quand les scénarios sur la succession d’un chef d’État en place depuis plusieurs décennies sont flous, certains n’hésitent plus à prédire un destin présidentiel à celle qui, derrière l’image de la locataire fantasque d’Étoudi, cache une première dame en quête de reconnaissance. Comme pour leur donner raison, Chantal a pris des cours d’anglais et tente de renforcer sa culture politique par des lectures ciblées. Mais de là à lui envisager un destin à la Cristina Kirchner, il y a un pas qui ne sera sans doute jamais franchi.

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