La crise énergétique est récurrente au Mali. Elle s’est amplifiée ces dernières années impactant négativement l’économie nationale. Les autorités actuelles se battent comme elles peuvent pour trouver des solutions. La société Énergie du Mali (EDM-SA) chargée de fournir l’électricité aux citoyens est totalement dans les tréfonds. Pourtant c’est sa gestion par des filles et fils du pays qui a créé cette situation catastrophique. Comment ont-ils fait pour conduire cette société publique dans le gouffre ?
En effet, depuis février 2023, les coupures d’électricité sont devenues récurrentes au Mali. Si au départ, elles ne duraient pas, aujourd’hui, elles ont dépassé l’entendement mettant ainsi des milliers et milliers de personnes au chômage. Face à la situation, l’État a identifié un certain nombre de causes dont la plus connue annoncée aux populations est le problème de carburant. Cependant, celui-ci est loin d’être le seul problème. Il n’est que l’une des conséquences de la très mauvaise gestion de la société EDM-SA par des personnes censées la faire évoluer. Dans leur gestion, celles-ci ont posé des actes qui jurent avec l’orthodoxie financière ainsi que le patriotisme et l’intégrité. De l’approbation des contrats d’achat d’énergie défavorables à la société à l’attribution de marchés au mépris de toute légalité en passant par des augmentations séquentielles et incohérentes de salaires, la liste de ces actes est longue.
Des contrats d’achat d’énergie défavorables approuvés
D’après le rapport annuel de l’année 2020 du bureau du vérificateur général portant sur une vérification de performance de la société EDM-SA pendant la période du 1er janvier 2016 au 30 septembre 2019, il ressort que les responsables de la société ont approuvé des contrats d’achat d’énergie comportant des clauses défavorables à la société. Ce qui a fortement impacté sa performance. A en croire ce rapport, la société EDM-SA a continué de recourir aux solutions d’urgence à travers les locations et achats d’énergie thermique auprès de fournisseurs privés qui ont affecté de façon significative le mix énergétique et augmenté le coût de revient du kilowatt/heure. La parfaite illustration d’approbation de contrats d’achat d’énergie défavorable a été dévoilée par le même bureau du vérificateur général dans son récent rapport de vérification financière qui porte sur la gestion des exercices 2020, 2021, 2022 et 2023 (31 Octobre).
Selon ce rapport, sur un montant total de plus de 32 milliards FCFA (32 772 826 051 F)payé à la société Albatros par le Directeur Général de EDM-SA, de janvier 2020 à mai 2022, 57% ont été payés pour une énergie non produite, non enlevée et non consommée par EDM-SA. Cette dernière a été facturée par Albatros au titre de l’énergie non produite même pour les 10 388 heures, soit 432 jours ou plus de14 mois pendant lesquels les groupes de la Centrale d’Albatros étaient à l’arrêt de 2020 à octobre 2023. Albatros justifie ces arrêts par la non fourniture de carburant par EDM-SA pour la centrale. De plus, au passage de l’équipe de vérification pour le contrôle d’effectivité à la Centrale d’Albatros et au poste 225 KV de Kayes, il ressort de l’analyse des documents fournis par les deux structures que la centrale était en arrêt total bien avant le 31 octobre 2023 (depuis le 30 juillet 2023) soit six mois. Pourtant, Albatros continue à facturer plus de 1,200 milliards de FCFA par mois à EDM-SA même pendant ces périodes d’arrêt.
A titre illustratif, la facture envoyée par Albatros pour la facturation du mois de février 2024 en date du 05 mars 2024 est de 1 283 603 611 FCFA pendant que la Centrale est aux arrêts depuis juillet 2023 et que c’est EDM-SA qui fournit de l’électricité à Albatros pour sa propre consommation pendant ces périodes d’arrêt.
Auparavant, EDM-SA avait versé à Albatros 12 324 714 946 FCFA en 2019 ; 12 163 976 565 FCFA en 2020 ; 6 800 000 000 FCFA en 2021 ; 13 800 000 000 FCFA en 2022 et 21 333 033 994 FCFA en 2023. En somme, EDM a payé en 5 ans plus de 66 milliards à Albatros, le dernier paiement date de mai 2024 et est de 6 milliards FCFA.
Au regard de cette saignée financière, le vérificateur, dans son rapport, prévient que le maintien de cette concession sans contrepartie en fourniture d’énergie met en péril la continuité de l’exploitation de la société EDM-SA à travers un déséquilibre financier profond. Il faut signaler aussi que d’autres prestataires ont largement bénéficié de cette légèreté volontaire des responsables de la société. Ce qui leur a permis d’empocher des milliards de FCFA.
Des marchés d’achats attribués en violation des textes
Le rapport de vérification financière portant sur les années 2020, 2021, 2022 et 2023 révèle que le Directeur Général de la Société EDM-SA n’a pas respecté les clauses contractuelles d’un marché de fourniture de groupes électrogènes en souffrance. En effet, dans le cadre de l’exécution du Contrat n°22/522DG/DP du 6 décembre 2022 relatif à la fourniture et installation de 29 groupes électrogènes neufs conteneurisés de type « Perkins » et transformateurs pour les centres de l’intérieur de la Société EDM-SA, le fournisseur a fourni des groupes électrogènes de faibles capacités avec des problèmes techniques après le paiement d’une avance de démarrage de 1,88 milliards de FCFA.
Au même moment, la Société EDM-SA attribue des marchés de groupes électrogènes à des fournisseurs qui n’ont pas entièrement exécuté des marchés antérieurs. En dépit des défaillances constatées dans l’exécution des marchés antérieurs, elle a encore attribué par entente directe trois (3) marchés à un fournisseur n’ayant pas entièrement exécuté trois (3) marchés, et un marché à un autre fournisseur n’ayant pas entièrement exécuté un marché antérieur.
Selon toujours le rapport d’enquête, la Société EDM-SA utilise des procédures d’acquisition de combustibles non prévues dans son manuel de procédures internes. Dans le cadre de l’acquisition des combustibles, la Société EDM-SA utilise d’autres procédures spécifiques de passation non autorisées par les procédures internes et non prévues par les procédures nationales de passation de marchés. Et le rapport de préciser que le Directeur Général de la Société EDM-SA a irrégulièrement conclu des contrats par entente directe dans le cadre des achats de combustibles. Il a conclu des protocoles d’accord valant contrat de suppléance de montant largement supérieur au seuil des 3% du chiffre d’affaires hors taxes de l’activité « Electricité » de l’exercice précédent sans les conditions de dérogation.
Augmentation incohérente et séquentielle de salaires au gré des humeurs
Si l’approbation de contrats défavorables et de marchés illégaux ont fait d’énormes pertes financières pour la société, il n’en est pas moins en ce qui concerne l’augmentation de rémunération des hauts cadres de l’entreprise.
A en croire, le rapport de vérification de performance du vérificateur général sur la période du 1er janvier 2016 au 30 septembre 2019, EDM-SA n’a pas mis en place une saine pratique de gestion de la rémunération versée aux membres du comité de direction. En effet, la masse salariale de ceux-ci a augmenté de plus de 633,60 millions de FCFA, soit 66% passant de 947,42 millions de FCFA à 1,58 milliards de FCFA entre le 31 décembre 2016 et le 31 décembre 2018. Cette augmentation, selon le rapport, s’explique par la création de postes de direction et d’autres postes de conseillers en janvier 2017. A cela s’ajoutent, des augmentations incohérentes entre 100% et 200% des salaires de certains membres du comité de direction.
En outre, des anciens responsables, une fois leurs fonctions terminées, sont commis à d’autres tâches par le département de tutelle. Ces tâches s’exercent en dehors de EDM-SA sans un acte juridique clarifiant leur prise en charge.
Par ailleurs, la gestion des heures supplémentaires a occasionné des grosses dépenses pour la société. Malgré le recrutement massif de 518 agents en 2015 et de 435 entre 2016 et 2018, la société, d’après le rapport, a continué à payer des heures supplémentaires pour un montant total de 3,5 milliards de FCFA pendant la période sur laquelle a porté la vérification de performance du Bureau du vérificateur général. Ainsi, des agents ont bénéficié régulièrement d’heures supplémentaires dont le montant dépasse 80% de leurs salaires. Le rapport note aussi que des heures supplémentaires sont payées sur une base forfaitaire arrêtée depuis 2015 sans aucune preuve de leur effectivité. Des agents ont effectué des heures supplémentaires allant jusqu’à 14 heures par jour. Comprendra qui pourra!
Ces différentes causes de la descente aux enfers de la société EDM-SA ne sont que quelques-unes. D’autres facettes de la gestion catastrophique de l’entreprise publique sont révélées par le vérificateur dans son rapport de vérification financière portant sur les exercices 2020,2021, 2022 et 2023 (31 octobre) qui totalise des irrégularités financières de plus de 92 milliards FCFA (92 149 419 533F).
En tout état de cause, l’on peut sans risque de se tromper que la situation défaillante de la société EDM-SA est entièrement imputable à ceux à qui l’État a confié sa gestion. Ils doivent répondre de leurs actes pour avoir mis à genoux une telle entreprise et cela au nom de leurs intérêts égoïstes.
Jean Pierre James