Pour l’heure, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, résiste. Mais les barreaux continuent de se mobiliser pour faire triompher les droits de la défense face à des mesures qu’ils estiment de plus en plus coercitives. Ce combat est-il promis au même destin que celui de l’avocat en garde à vue(GAV), obtenu de haute lutte par les défenseurs des libertés publiques ? Les explications de Christophe Ingrain et Rémi Lorrain, avocats du cabinet Darrois.
Le Point : Que dit la loi sur le nombre de policiers mobilisés sur une perquisition ? Peuvent-ils pénétrer à n’importe quelle heure chez l’occupant ?
Christophe Ingrain : La loi ne dit rien sur le nombre maximum de policiers et de magistrats présents lors d’une perquisition. Dans la pratique, il n’est pas surprenant, notamment en cas de perquisition d’entreprises, de voir de nombreux policiers – parfois armés et équipés de gilets pare-balles – accompagnés de juges d’instruction et/ou d’un représentant du Ministère public. Il ne faut pas sous-estimer le caractère traumatisant d’un tel acte d’enquête…
Rémi Lorrain : Concernant l’heure de la perquisition, seule l’heure de début de la mesure est encadrée par la loi. Sauf quelques exceptions (qui sont d’ailleurs de plus en plus nombreuses), la loi dit simplement qu’une perquisition doit commencer entre 6 heures et 21 heures. En revanche, rien n’est précisé sur la durée d’une perquisition. Elle peut donc débuter à 20 h 55 et durer toute la nuit et même se prolonger le lendemain. C’est le seul acte d’enquête, extrêmement coercitif, qui n’est pas limité dans le temps. Et tout ce que les enquêteurs considèrent comme utiles à leur enquête peut être saisi : agendas, matériel informatique, photos, boîtes e-mail (y compris les messages d’ordre personnel ou encore les correspondances relevant du secret « avocat – client »), etc.
Pendant la perquisition, la personne est-elle obligée de rester chez elle ? Peut-elle utiliser son téléphone ?
R. L. : L’OPJ limite les communications, y compris téléphoniques, avec l’extérieur. Lorsqu’il les autorise, elles se déroulent en sa présence. S’agissant de la retenue, la loi dit seulement que toute personne présente sur les lieux « peut » être retenue sur place. L’officier de police judiciaire (OPJ) a le droit de retenir n’importe quelle personne (dont le domicile ou le bureau est perquisitionné) de manière illimitée dans le temps sans avoir besoin d’en référer au magistrat ayant autorisé l’opération. L’OPJ a en cela un pouvoir exorbitant !
C. I. : Et cela diffère grandement de la procédure de GAV à propos de laquelle le Code de procédure pénale prévoit que l’OPJ doit informer immédiatement le parquet ou le juge d’instruction du placement de la personne (moins de 45 minutes à compter du début de la mesure selon une jurisprudence constante). À défaut, la GAV est nulle. Cela paraît totalement incohérent avec ce qu’il se passe en matière de perquisition.
L’objectif d’une perquisition est de rechercher des preuves. Cela donne-t-il le droit de fouiller partout et de saisir n’importe quel objet ou document ?
R. L. : La perquisition (dans une entreprise, chez un particulier, au sein d’un parti politique, etc.) a un double objectif. Tout d’abord probatoire : il s’agit de rechercher des preuves d’une infraction. Ce qui veut dire que l’on peut se présenter chez n’importe quelle personne susceptible de détenir ces « preuves » même si elle n’est qu’un simple témoin ou même si elle est totalement étrangère au soupçon d’infraction. C’est une grande différence avec la GAV qui n’est possible qu’à l’égard des personnes suspectées. Le deuxième objectif de la perquisition peut être confiscatoire, par exemple saisir les objets ayant servi à commettre l’infraction ou les biens qui seraient le produit de l’infraction : voiture, bijoux…
L’avocat n’est donc jamais présent, même de manière facultative, pendant ce travail de fourmi ?
C. I. : Aujourd’hui, en cas de perquisition, la pratique diffère suivant ce que décide le magistrat qui dirige l’enquête. Du fait de l’absence d’encadrement légal, l’avocat est parfois toléré, parfois écarté lors d’une perquisition. Or, les droits de la défense ne peuvent pas être à géométrie variable selon la personnalité ou l’humeur du magistrat. Il faut mettre fin à cette insécurité juridique.
R. L. : Au-delà de la perquisition, l’avocat assiste son client lors de la quasi-totalité des actes de procédure : mis en examen, expertise en cas de déclarations du client, ouverture de scellés fermés, et, depuis 2011, lors des auditions de GAV. Plus récemment, la loi du 3 juin 2016 a également consacré le droit à l’avocat lors de séances d’identification des suspects (tapissage) et d’opérations de reconstitution.
L’avocat assiste aussi son client lors de perquisitions douanières ?
C. I. : Oui, et en règle générale, l’avocat est là dans toute perquisition administrative (appelée également « visite domiciliaire ») : douanes, fisc, concurrence, etc. Par exemple, lorsqu’une entreprise doit recevoir une « visite » de la Cnil, le dirigeant peut faire appel à un avocat. Ce régime existe depuis que la France a été condamnée en 2008 par la CEDH (arrêt Ravon). L’avocat est systématiquement prévenu de la mesure et peut y assister. De même, toute personne visée par une perquisition administrative liée à des soupçons de terrorisme a la faculté de faire appel à un avocat pour l’assister pendant la mesure, et ce, depuis une loi du 31 octobre 2017 (article L 229-1 du Code de la sécurité intérieure).
Sauf que ce que craignent les enquêteurs, c’est que l’avocat ne nuise à l’effet-surprise de la perquisition, et ne mette des bâtons dans les roues de l’enquête… Et d’ailleurs, un syndicat de police a annoncé s’opposer fermement à ce projet, invoquant notamment le risque de déperdition des preuves.
C. I. : Les syndicats de police s’opposaient déjà à la présence de l’avocat lors de la garde à vue pour les mêmes motifs et, plus récemment, à sa présence lors des perquisitions administratives liées à des soupçons de terrorisme. Les communiqués d’aujourd’hui à propos des perquisitions pénales sont quasiment les mêmes que ceux d’il y a un an à propos des perquisitions prévues à l’article L 229-1 du Code de la sécurité intérieure. Finalement, le droit à l’avocat a été voté, et y a-t-il eu une quelconque difficulté liée à l’intervention des avocats ? Pas à notre connaissance…
R. L. : Face aux OPJ, l’avocat est là pour rééquilibrer les forces, rappeler à son client ses droits (au silence, au secret des correspondances, etc.) et ses devoirs (coopérer, ne rien détruire…). Bien sûr, il n’est pas question de prévoir que le début de la perquisition soit suspendu tant que l’avocat n’est pas présent. L’avocat doit être prévenu immédiatement, à lui de faire le nécessaire pour se présenter au plus vite, comme ce qui est actuellement le cas pour les perquisitions administratives.
Il est aussi un rempart contre certains abus…
R. L. : L’avocat ne doit évidemment pas faire obstacle au déroulement de la perquisition. En revanche, il arrive que les enquêteurs prennent des libertés avec des règles parfois floues du Code de procédure pénale. Ainsi, les policiers qui saisissent un agenda peuvent être tentés de demander à la personne perquisitionnée si elle rencontre régulièrement telle ou telle personne mentionnée dans l’agenda (sans pour autant le retranscrire dans un procès-verbal). Là, on aborde le fond de l’affaire et s’il s’agit d’un suspect, il est interdit de l’interroger sans son avocat.
C. I. : Ce droit à l’avocat est d’autant plus impérieux que le projet de loi Justice 2018-2022 autorise un recours plus massif encore à ces perquisitions pénales, le tout sans véritable garantie supplémentaire.
Comment se traduira ce recours plus massif aux perquisitions ?
C. I. : Dans le régime actuel, en matière d’enquête préliminaire, lorsque la perquisition concerne une infraction pour laquelle la peine encourue est inférieure à cinq ans d’emprisonnement, l’OPJ doit obtenir l’autorisation de l’intéressé. Au-delà, il peut se passer de son consentement mais à une condition : avoir obtenu l’autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD), qui est un magistrat du siège, supposé plus neutre que celui du parquet. Or, la loi veut abaisser le seuil de cinq à trois ans. Ainsi, en cas d’abus de confiance, qui jusqu’à présent nécessitait l’accord de la personne, l’OPJ pourra passer outre avec l’accord du JLD.
Pensez-vous que le gouvernement est prêt à céder ? Faudra-t-il attendre le « verdict » du Conseil constitutionnelsaisi d’une future QPC ?
R. L. : La question n’est pas d’attendre que le Conseil constitutionnel se prononce un jour mais plutôt d’harmoniser les procédures et les garanties. Le législateur n’a pas besoin d’injonction du Conseil constitutionnel pour consacrer des avancées en termes de libertés, d’autant plus qu’en matière de perquisitions, toutes les QPC posées ont été filtrées au stade de la Cour de cassation et n’ont donc jamais pu être transmises au Conseil constitutionnel.
En cela, le Sénat a eu raison de voter cet amendement. Et, en dépit de la résistance que nous venons d’évoquer, nous avons bon espoir que l’Assemblée nationale vote cet article. C’est d’ailleurs la même Assemblée nationale qui a voté, il y a un an, jour pour jour, le droit à l’avocat en cas de perquisition relative à la prévention d’un acte terroriste !
C. I. : L’avocat en perquisition est également la suite logique de l’avis du Conseil d’État du 12 avril 2018 relatif au projet de loi justice. Cet avis a invité le législateur à prévoir un recours contre une perquisition pénale indépendamment d’éventuelles poursuites, preuve que la mesure de perquisition est, en tant que telle, attentatoire aux libertés publiques. Encore plus que la GAV d’ailleurs qui, elle, ne bénéficie pas de ce droit au recours en nullité en l’absence de poursuites ! Il y a dix ans, lorsqu’un recours a été instauré pour les perquisitions administratives, les députés avaient décidé que la mise en place d’un tel recours impliquait la présence de l’avocat pendant le déroulement de la mesure. L’Assemblée nationale doit donc consacrer ce qui a été voté par le Sénat et permettre la présence de l’avocat en perquisition afin d’équilibrer le projet de loi initial : en contrepartie d’une augmentation des mesures coercitives, des garanties doivent également être accordées.
Source: Le Point