Dans les campagnes africaines, le “système D” est roi.
Il est synonyme de débrouille, mais parfois aussi de développement. Voici trente exemples de techniques parfois cocasses, mais toujours ingénieuses et faciles à mettre en œuvre.
“Le manque de moyens est un moyen”, dit un proverbe africain. On s’en persuade facilement en observant les innombrables “trucs” mis au point dans les campagnes de ce continent pour faire face aux difficultés.
Le mouton a avalé un morceau de plastique et risque de s’étouffer : on lui fait ingurgiter un demi-litre d’huile d’arachide et tout s’arrange. Ce remède a été expérimenté avec succès au Burkina.
Les troupeaux ne trouvent rien à se mettre sous la dent dans le quartier de Nouakchott où l’exode rural a conduit leur propriétaire : on les nourrit tout simplement avec des cartons et du papier. Non seulement ce n’est pas déconseillé par les vétérinaires, mais ceux-ci ont pu constater les bienfaits de cette pratique depuis qu’elle s’est répandue dans la capitale mauritanienne.
D’autres déchets, qui étaient autrefois jetés dans les villes africaines, ont trouvé un usage comme aliment du bétail. Ainsi, les drêches de brasserie, au lieu de pourrir aux abords des usines engraissent désormais le bétail au Cameroun, au Togo et en d’autres lieux.
En République démocratique du Congo, on a découvert que les noyaux d’avocat, une fois concassés, devenaient pour les chèvres un aliment ultra-énergétique.
Tout aussi étonnantes et ingénieuses sont les techniques de lutte contre les insectes et autres parasites, à la fois dans les champs et après les récoltes. Le tabac planté dans les jardins a la vertu de faire fuir les insectes. De même, l’aspersion des légumes avec de l’eau pimentée a un effet foudroyant. Après la récolte, on protège les épis de maïs en les exposants à la fumée du foyer.
Quant aux grains de haricots, si vite charançonnés, les mélanger à du sable, de la cendre ou de l’huile permet de les protéger. Les insectes sont ainsi entravés dans leur progression à travers les greniers : ils patinent, dérapent ou s’engluent.
Des poulets contre les tiques
Pour préserver les arbres et les pépinières des ravageurs, une panoplie de mesures a été mise au point au Burkina Faso : le gros sel est la terreur des crapauds, le pétrole lampant éloigne les lézards, une simple bande magnétique d’une cassette de musique, attachée aux branches, a le don d’effrayer les oiseaux. Un fil de coton blanc disposé de la même manière éloigne en particulier les corbeaux.
Les crottes de chèvre répandues sur les feuilles découragent non seulement les chèvres, mais aussi les moutons.
Contre les termites, certains planteurs sénégalais utilisent de l’huile de vidange mais au Burkina, un ancien militaire devenu paysan pratique une forme de lutte plus écologique : il saupoudre le plant avec un mélange de farine de mil et de cendre. Le tout attire les fournis et celles-ci se chargent de dévorer les termites.
Mais la palme de la lutte contre les parasites revient à des éleveurs kenyans : ils utilisent des poulets pour détiquer leur bétail. Conduites dans un enclos étroit, les vaches sont soigneusement picorées par un bataillon de gallinacés voraces. Chaque poulet peut avaler deux cents tiques en trois heures.
Quand on sait que la tique est un insecte buveur de sang qui peut se gaver au point d’atteindre cent fois sa taille d’origine, on mesure le festin ainsi offert aux volailles.
Toutes ces techniques ont un point commun : elles ne coûtent rien ou presque. Mais les paysans, si démunis soient-ils, ne peuvent pas toujours se passer d’investir.
Comment faire quand on n’a pas un sou ? C’est ici qu’entrent en jeu les multiples systèmes de crédit rotatif dont le plus courant est la tontine.
En R.D.C, les paysannes de la région de Kutu ont recours à des “tontines de manioc” pour accumuler de temps à autre un petit capital.
Au Rwanda, il existait, avant la guerre une “banque de vaches”. Chaque bénéficiaire d’un “prêt de vache” devait rembourser en livrant à la banque le premier veau né de celle-ci.
Au Togo, l’impossibilité pour les petits producteurs d’obtenir des engrais à crédit a abouti à une forme de troc engrais contre céréales : un commerçant ou un agriculteur aisé se charge d’acheter un stock d’engrais qu’il distribue aux petits producteurs : ceux-ci le rembourseront avec des sacs de sorgho ou de maïs sitôt la récolte engrangée.
Cultures sur termitières
Mais bien souvent, l’accès aux engrais est si difficile que les paysans préfèrent avoir recours à toutes sortes de fertilisants gratuits ou plus économiques.
Les cornes de zébu ont la réputation de faire merveille sur les arbres fruitiers.
Les drêches de brasserie, quand elles ne sont pas consommées par le bétail, fournissent un excellent compost.
Le sol des termitières est également très recherché (parce qu’il est à la fois aéré et enrichi par les déjections des insectes) : on peut soit le ramasser et le répandre sur les champs, soit cultiver directement sur les termitières elles-mêmes. Cette pratique est très répandue en R.D.C. La monnaie se déprécie tellement vite que, là aussi, les transactions font parfois appel au troc : “Un grand commerçant de Lubumbashi, raconte un paysan, m’a proposé deux vélos, huit pantalons, six chemise et huit pagnes contre les trente-cinq termitières de mon champ. Je lui ai dit : je préfère marcher nu que de vendre mon trésor”.
Il faudrait sans doute plusieurs livres pour dresser l’inventaire des astuces inventées dans les campagnes africaines pour “débrouiller la vie”.
Une coopérative de jardiniers togolais a trouvé un moyen efficace de valoriser les excédents de récoltes de tomates : elle distille leur jus pour en faire du rhum. Des aviculteurs burkinabè se sont spécialisés dans la production de “poulets de fétiches”, aptes à gigoter vigoureusement au moment des sacrifices.
Un paysan camerounais élève des canards dans ses étangs de pisciculture où il déverse du son de maïs et des épluchures de légumes. Les palmipèdes avalent bien quelques petits poissons mais avec leurs déjections, ils en nourrissent de bien plus gros. Résultat : une production de 5 t de poisson et 140 canards par an. Le système prospère grâce à “une symbiose hautement bénéfique pour les deux animaux et pour l’éleveur”, selon la formule de ce dernier.
L’âge de pierre
Dans le livre d’or de la débrouille africaine, les records sont certainement détenus par les ruraux de la R.D.C.
Victimes de l’enclavement et de la décomposition de l’économie, des régions entières ont dû “retourner à l’âge de pierre”.
Dans certaines zones du Shaba, la pénurie des produits manufacturés les plus élémentaires aboutit à l’utilisation d’expédients dont certains défient l’imagination. la mousse de feuilles de papayers remplace le savon.
Faute d’allumettes, on fait du feu en frottant vigoureusement des bâtonnets en bois de lushiko (essence odoriférante). On s’éclaire en brûlant des branches de l’arbre umwengue. On marche pieds nus car les sandales fabriquées avec des morceaux de vieux pneus sont depuis longtemps usagées. A ce stade, ce n’est plus de la débrouille. Un habitant d’un village du Shaba résume la situation : “Nous n’avons qu’un seul but : vivre”.
Malick Camara
Source: Le 26 Mars