Une première. Rakia Alphadi, postulante à la magistrature suprême de notre pays, se livre déjà un combat inédit au Mali. Saisir la cour constitutionnelle pour dénoncer l’illégalité du système de parrainage des candidats et de la caution. Elle dit haut et fort « NON » à la prostitution de nos élus. Bien vrai, qu’elle désire autant que tout autre candidat de gouverner le Mali, mais pas à n’importe quel prix . Selon elle, une fois qu’on viole la loi pour devenir président, on ne peut plus prétendre être un dirigeant intègre. Donc, elle s’insurge en qualifiant ce système corrompu qu’elle trouve tout simplement inconstitutionnel. Une atteinte à l’État de droit, donc inacceptable.
En effet, l’aliéna 2 de l’article 149 de la loi N° 2018-14 du 23 avril 2018 portant modification de la loi n° 2016-048 du 17 octobre 2016 portant loi électorale stipule que chaque déclaration de candidature doit recueillir la signature légalisée d’au moins dix députés ou cinq conseillers communaux dans chacune des régions et dans le district de Bamako.
Sauf que, dans le rapport final de la mission d’observation électorale de l’Union européenne du 2013 au Mali, chapitre VII, conduit par Louis MICHEL, Membre du parlement européen, nous pouvons lire : « le parrainage combiné avec la caution élevée sont des restrictions lourdes à la liberté de se porter candidat, et contrevient aux obligations internationales du Mali ainsi qu’à la constitution… » Cette appréciation de la MOE EU est basée sur le PIB par habitant du Mali, qui n’atteint pas les 400.000 CFA. (694 dollars)
Ce même rapport indique que : « plusieurs interlocuteurs ont témoigné que certains élus monnayent leur appui, ce qui détournerait l’idée première du parrainage et conduirait à des pratiques illégales ».
Comme souvent, un rapport d’observation électorale sert à évaluer plus profondément le processus électoral pour après des recommandations, améliorer les scrutins à venir.
Et dans le cas précis du Mali, cette mission a relevé bien de failles qui pouvaient être corrigées afin que l’élection présidentielle du 29 juillet 2018 fonctionne en plein respect de la Constitution. Mais, rien. Au lieu qu’il soit examiner et offrir une possibilité à la classe dirigeante de s’attaquer aux inégalités dans le processus de l’élection 2018et le faire reculer, c’est tout à fait le contraire qui s’est produit en augmentant les inégalités. Ainsi, la caution de 2013 qui s’élevait à 10.000.000 CFA a atteint plus son double, soit 25.000.000 CFA en 2018 et les signatures de parrainage sont devenus de la marchandise exposée au su et au vu de tout le monde.
Un revers de la démocratie
Déjà, dans l’arrêt n° 008 du 25 octobre 1996 la cour constitutionnelle avait déclaré que « les dispositions de la loi électorale du 27 septembre 1996 qui établissaient le système de parrainage des candidats à l’élection du président de la République étaient contraires à la constitution en ce qu’elles rompaient le principe d’égalité des candidats».
Ensuite, lors de la proclamation de la liste des candidats pour l’élection présidentielle de 2007, Feu Salif Kanouté, président de la cour constitutionnelle de l’époque avait déclaré que le système de parrainage n’était pas conforme à la constitution et qu’il ne pourra rien faire sans que la cour ne soit saisie.
Madame Rakia Alphadi qui s’est vue éliminer de la course pour Koulouba par la cour constitutionnelle avant même de prendre place sur la ligne de départ, faute de caution et de parrainage, n’en démord pas. Les causes citées entre autres par la cour sont : un dossier déposé qui contient une déclaration non signée, des photocopies de l’extrait d’acte de naissance, de son certificat de nationalité et du bulletin n° 3 de son casier judiciaire à la place de l’original. Et en dernier lieu, le non justificatif du paiement de la caution exigée ainsi que la non-présentation de la liste des signatures des députés et élus.
« L’homme libre est celui qui n’a pas peur d’aller jusqu’au bout de sa pensée » (Léon Blum).
Pleine de ressources, cette Dame est résolue à se battre autrement. En ces termes, dans une interview accordée à l’Expresse du Mali, elle s’exprima ainsi : « si je n’arrive pas à gagner gain de cause le minimum serait de faire appel à nos deux organisations de recours avant d’aller à l’international ; à savoir : la cour de justice de la CEDEAO et l’Union Africaine… » Rakia Alphadi dénonce non seulement l’hégémonie des grands partis comme le RPM et l’URD et l’ADEMA qui n’ont pas besoin de chercher des parrains, mais aussi la corruption galopante qui règne autour de ces signatures. C’est à cet effet qu’elle a saisi la cour constitutionnelle avant même le rejet de sa candidature.
De plus, à l’approche de l’élection présidentielle, le Cnas-Faso Héré de l’ex-Premier ministre de Amadou Toumani Touré, Soumana Sacko, avait saisi à travers deux lettres l’Administration territoire et de la décentralisation pour exprimer son inquiétude sur le parrainage des candidats. Selon lui, comment se fera le parrainage des élus dans les régions comme Kidal, Taoudeni et Ménaka sachant pertinemment que des élections n’ont pas pu avoir lieu lors des communales du 20 novembre 2016 ? Mais ses correspondances sont restées sans suite. Également, dans le temps, Sadi de Oumar Mariko au eu à s’offusquer sur ce système de parrainage. À part ces deux partis politiques, il semble que les autres s’en accommodent parfaitement bien que cela soit illégal.
Bien que ce système des parrainages n’en ait pas à sa première contestation pour autant, c’est la première fois que la cour constitutionnelle soit saisie, de surcroit, par une femme pour demander tout simplement le renoncement au système.
À l’instar d’autres pays comme la France, les parrainages des élus existent. Cependant des personnalités politiques françaises, elles-mêmes, décrient ce système qui favorise les grands partis, car selon ces politiciens, la collecte des signatures n’est qu’une formalité pour les grands partis tandis que pour les autres cela devient une rude quête. Mais au moins, eux, les élus français donnent leur parrainage par amour de la patrie même si parfois ils ne partagent pas ses idées avec le candidat. Aucun Français ne passe à la caisse pour parrainer un candidat comme c’est le cas au Mali.
Par ailleurs, les arguments avancés dans ce système de parrainage, c’est que cette règle est imposée pour empêcher les candidats dits fantaisistes de se présenter. Pour autant, si l’argent est mis en contribution pour avoir ces fameuses signatures, fantaisistes ou pas, un malaise y demeure et en conséquence, la question de l’anti-démocratie se pose forcément. Lorsque des élus mettent sur le marché leurs parrainages et l’offrir au plus offrant, le fonctionnement même du système prend une tout autre tournure, celle de la violence à l’éthique.
« Un peuple qui élit des corrompus, des imposteurs, des voleurs et des traîtres, n’est pas victime ! Il est complice » George Orwell (1903-1950) ».
Aguibou Koné écrit sur sa page Facebook : « Les Maliens n’ont pas à choisir des candidats riches. Nous n’avons pas quitté la dictature militaire pour la dictature financière. Dans les deux cas, c’est l’apanage des médiocres et des criminels. Les escrocs et les courtisans convaincus que le vol est le chemin du Mali vous diront qu’ils ne voient pas d’autres candidats, quand il y a des millions de Maliens honnêtes frustrés par un système de parrainage corrompu et injuste, et une caution de 25.000.000 DE CFA ».
Une internaute Hukwuka Tanty Marian Saye citera sur la toile. « 10 députés à 10 millions et 5 maires à 2.500.000… On dirait du bétail, certains animaux sont plus chers! On veut sortir de la corruption, mais certains députés et maires vendent leurs adhésions aux candidats!
Je ne comprends pas cette ignominie-là, si vous n’êtes pas convaincus d’un candidat, mais ayez la décence de lui dire « désolés », mais non pour vos signatures!
Et tous ces candidats qui ont achetés ces voix-là comment comptez-vous lutter contre la corruption si vous y rentrez par elle?
Quelle honte !»
Il est clair que si les parrains devront donner leurs signatures, qu’ils le fassent par patriotisme. Puisque si l’on veut faire vivre la démocratie, il faut le faire en toute franchise, le devoir de tout élu envers son peuple.
Le débat s’impose
Cette question de la constitutionnalité du système de parrainage doit exiger un débat sur les signatures des élus dans la sphère des personnalités politiques.
À cause de tel système, des candidats valant des millions de voix lors des élections, comme le cas de Zoumana Sacko, peuvent à défaut de parrainages, ne pas pouvoir de présenter. Paradoxalement, en voulant limiter le nombre de candidats, on empêche potentiellement des partis ou candidats indépendants importants en nombre de voix ou politiquement corrects d’être représentés, tout en permettant aux candidats peu scrupuleux et véreux de surcroit, d’être candidats. Pourtant, la seule mesure à adopter, c’est l’annulation pure et simple de la caution et des parrainages. Ainsi, clairement la démocratie sera favorisée en permettant à des petits candidats comme Raki Alphadi de tenter leur chance sans pouvoir subir de contraintes.
Tout compte fait, il est temps que l’annulation de parrainage devienne un véritable dilemme que l’édile devrait résoudre seul, et sans influence.
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