Quel bilan peut-on dresser de cinquante ans de partenariat Mali-Banque mondiale ?
Depuis 1960, la banque mondiale est restée présente au Mali qu’il a accompagné dans toutes ses étapes de développement au lendemain de son accession à l’indépendance, en l’aidant à se doter des infrastructures. Dans les périodes de crise, en l’aidant à identifier les programmes nécessaires pour sortir de la crise. Lorsque le pays a atteint un certain niveau de développement, il était nécessaire, aussi, de relever le niveau de compétence et la Banque Mondiale était là pour aider le Mali à disposer des outils et des instruments qui lui permettent de répondre à ces défis-là. Au total, c’est plus de 3 milliards 500 millions de dollars américains que la Banque Mondiale a investis au Mali pendant ces cinquante ans, et c’est à peu près 1 750 milliards de FCFA.
Quels sont vos projets d’investissement pendant ces 50 ans au Mali ?
Nous avons financé beaucoup d’interventions dans la zone office du Niger. Même si en terme de surface aménagée, aujourd’hui dans cette zone, on est très loin du potentiel irrigable qui existe. Je pense que si aujourd’hui, le Mali fut beaucoup de progrès par rapport à la problématique de la sécurité alimentaire, comparé à plusieurs pays sahéliens, ce sont des investissements structurants dans la zone office du Niger qui l’ont permis. Il y a un chemin important qui reste à faire. Dans le domaine de l’éducation, le Mali est passé d’un taux de scolarisation moyen de moins de 30% à la fin des années 70, à plus de 85 % aujourd’hui, c’est certainement les interventions dans le secteur de l’éducation, en partie qui l’ont permis. Aujourd’hui, le Mali avant la crise est l’un des rares pays de l’UEMOA qui, bon an mal an, a tenu un taux de croissance de 5%. C’est vraiment en faveur des programmes soutenus par la banque mondiale qui ont permis au Mali d’atteindre cette performance. Au demeurant si pendant la crise, le taux de récession au Mali n’a été que de 1,3% alors qu’au début, tous les économistes pensaient qu’il allait être de –3, 2% c’est parce qu’il y a eu des reformes adéquates qui ont été mises en œuvre au Mali et soutenues par la banque mondiale.
Le statut de pays sortant de la crise vaut-il pour le Mali, un cachet particulier permettant d’engranger des actions particulières?
Nous avons dit que la crise fait partie de la marche de pays, qui n’est pas une marche linéaire. Pour nous, il était important que même dans un contexte de crise, nous travaillions. Mais que nous travaillions autrement, en répondant aux besoins des citoyens. Deuxièmement créer des conditions pour sortir très rapidement de cette crise là. C’est pourquoi à Bruxelles nous avons annoncé une enveloppe de 500 millions de dollars mobilisables sur deux ans. Et à la date d’aujourd’hui, sur les 500 millions de dollars, j’ai déjà mobilisé 460 millions de dollars et il ne reste que 40 millions de dollars pour l’enveloppe que j’avais prévue à Bruxelles. Parce que je sais qu’il était plus urgent de mobiliser ces ressources là. Mais de les mobiliser en faveur de types nouveaux de projets : des projets de filets sociaux, pour permettre aux pauvres d’être soutenus, des projets de développement de l’agriculture, pour que l’agriculteur puisse se nourrir lui-même, mais nourrir aussi des citoyens qui sont dans les villes, avec des programmes d’électrification rurales pour que ceux qui sont dans les zones rurales puissent s’adonner à d’autres activités etc. Mais pour moi le Mali ne doit pas longtemps rester dans cette crise, parce que c’est dans les pays où les institutions étaient les plus stables avant la crise, donc créer les conditions pour une reprise rapide et durable de l’économie.
Vous venez été interpellé par certains, notamment la responsable de l’Association des consommateurs sur l’insuffisance de résultat dans certains secteurs comme l’énergie, la santé et surtout l’absence d’une approche inclusive que si l’on veut schématiser ainsi : les riches vont continuer à être riches et les pauvres ne vont difficilement émerger, que répondez-vous ?
Au Mali le taux d’accès à l’électrification rurale est de 15 %. C’est l’un des rares pays au niveau de l’Afrique de l’ouest qui a ce taux d’électrification rurale. En ce qui concerne l’accès à l’énergie, globalement le Mali a un taux d’accès qui dépasse 24 %, la moyenne en Afrique Sub-saharienne est à peu près 18%. Donc le Mali est en avance sur la moyenne sous-régionale. Le problème cependant est qu’il serait allé encore plus loin et le fait de n’avoir pas mis en place certaines reformes. Troisième point, l’énergie est un des secteurs où la Banque Mondiale a mis le maximum de ressources. A l’heure où je vous parle, j’ai un total de 170 millions de dollars engagés dans le secteur de l’énergie mais qui ne sont pas encore traduits en investissement concret pour faciliter la connectivité, la connexion, pour faciliter la génération de l’électricité, le transport, la transmission ainsi de suite. Donc là, il y a effectivement beaucoup de choses à faire.
En termes d’inclusion, on peut toujours faire mieux, et nous avons pris note de cela. C’est un domaine sur lequel il faut absolument travailler à l’ avenir. Les citoyens doivent être à la base de la formulation des programmes parce qu’ils en sont la finalité, parce qu’il faut qu’on puisse bien identifier leurs besoins et répondre à cela de façon concrète
Parlez-nous de votre intervention dans la zone de l’office du Niger ?
Dans la zone de l’Office du Niger nous travaillons à la fois au niveau de l’élargissement ou de l’expansion de la zone amendable. Comme je le dis le potentiel en termes d’irrigation de l’office du Niger dépasse les 800 000 hectares. Pour le moment il n’y a que 100 000 hectares. Nous avons par le passé financé des projets spécifiques, aujourd’hui dans notre portefeuille nous avons le projet d’amélioration de la production agricole au Mali (PAPAM) qui va continuer à aider l’office du Niger à aller plus loin dans l’utilisation de son potentiel. Le deuxième c’est de créer les conditions de meilleures structurations des organisations paysannes pour qu’au delà de la production au niveau purement familial, qu’ils puissent véritablement aller à la conquête des marchés sous régionaux dans un espace sahélien dont les besoins céréaliers sont extrêmement importants, alors que le Mali peut être véritablement la solution a ce problème. Et cela ne pourra pas ce faire (troisième axes de notre intervention) sans une reforme foncière conséquente. Je pense que le problème foncier dans cette zone là est une problématique majeure, nous y travaillons. Le quatrième élément c’est la question du financement, l’accès aux crédits agricoles. Donc ce sont autant d’éléments sur lesquels nous travaillons, mais nous voyons qu’évidement le constat est relativement simple, que l’office du Niger même en tant que structure n’est pas encore géré, ou son statut ne lui permet pas d’aider à passer à cette échelle que nous cherchons toujours. Il y a un besoin de donner à l’office un statut beaucoup plus approprié.
Vous voulez dire qu’il faut attribuer des titres fonciers aux individus ?
Oui surtout que l’office soit beaucoup plus autonome par rapport au politique. Pour ne pas utiliser la langue de bois. Ça fait quatre ans que je suis au Mali, pendant ces quatre ans j’ai eu à travailler avec quatre Directeurs généraux de l’office du Niger. Je pense que dans un contexte d’instabilité comme cela, il est extrêmement difficile pour l’office du Niger de donner le maximum de lui-même. Et pendant ces quatre ans j’ai vu l’office lui-même passer parfois de la tutelle de la présidence à la tutelle de la primature etc. Ce sont ces types de questions qui ne permettent pas l’outil d’administration de la zone office du Niger de donner le maximum de lui-même.
Concernant les réformes, avez-vous l’impression d’avoir échoué sur ce terrain ?
Nous ne sommes pas les acteurs de mise en œuvre des réformes, nous sommes un partenaire du Mali qui débat avec les Maliens de tout bord sur les réformes qui sont nécessaires à faire avancer le pays. Si elles sont exécutées et produisent des résultats c’est vraiment dans l’intérêt du Mali et des Maliens, s’ils ne sont pas réalisées soit il y a problème d’appropriation soit il y a un problème peut être d’inadéquation de ces réformes là. En ce moment là je dirais que c’est une responsabilité partagée, parce que nous faisons en sorte que nous mettions à la disposition du Mali les leçons que nous avons apprises de nos interventions à l’échelle des 180 pays qui composent aujourd’hui la Banque Mondiale. Donc ce faisant, nous voulons que le Mali prenne un raccourci pour un mieux être de ces populations. Donc c’est dans cet esprit que nous contribuons au débat, en disant : dans le secteur de l’éducation par exemple si vous voulez que les Maliens qui sortent du système éducatif au niveau de l’enseignement supérieure, puisse être un Malien qui soit capable de répondre aux besoins du secteur privé, ou lui-même capable d’être un entrepreneur, ou lorsqu’il est dans l’administration publique, puisse contribuer à rehausser le niveau de l’administration publique malienne ; il faut que vous travailliez à la question du curriculum, à la question de la gouvernance du secteur etc. Mais si le Mali ne le fait pas, ce n’est pas la responsabilité de la Banque Mondiale.
Propos recueillis par B. Daou
SOURCE: Le Républicain