Trois ans de solitude, d’épreuve et d’angoisse. Puis la joie inespérée d’une libération. Le voyage. Le bal des intermédiaires, des services de renseignement, des diplomates, des politiques, des journalistes. Enfin, les retrouvailles des êtres aimés. Cette séquence, dont l’opinion publique maîtrise chaque fois un peu plus le déroulement, les quatre otages français en avaient rêvé durant trois ans. Ils en étaient hier les protagonistes principaux. Aucun mot, sans doute, ne peut, sur le moment, décrire de tels instants. Et c’est sans doute mieux ainsi, pour les intéressés eux-mêmes.
Car la sur-médiatisation de ce type d’événement, aussi heureux soit-il, génère aussi une part de malaise. Sous autant de flash, l’impudeur menace à tout instant. En présence d’autant de personnalités officielles, la raison d’Etat impose ses règles. Derrière les enjeux économiques, stratégiques et humanitaires (pour les sept autres otages français encore détenus), on ne sait où finit le devoir de retenue et où commence la part d’ombres.
Les quatre otages avaient été enlevés il y a trois ans. Par des acteurs bien connus, les soldats du réseau Aqmi, al-Qaïda au Maghreb islamique, dont la France est la cible première. Ces réseaux, les services français de renseignement les connaissent bien, très bien même, puisqu’ils sont les descendants directs du GIA algérien et de ses avatars du GRPC, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat. Depuis plus de vingt ans, ils les suivent à la trace.
Les raisons de l’enlèvement ne sont pas plus mystérieuses. Dans la logique de guerre asymétrique qui anime ces combattants islamiques, une « prise » française est précieuse. Elle allie la valeur marchande de tout otage à la force symbolique du coup porté. Contre l’ancienne puissance coloniale. Contre l’interlocutrice des gouvernements en place dans la région. Contre une des puissances économiques très actives au Sahel.
Le Niger, de ce point de vue, revêt un enjeu crucial. Un tiers de l’uranium nécessaire aux centrales françaises en provient. Et de nouveaux gisements sont prometteurs. A tel point que les Français sont loin d’être seuls. Américains, Chinois, Australiens, Britanniques, Sud-Coréens, Italiens… C’est incroyable comme on se bouscule dans ce demi-désert, tant le Sahel est devenu le théâtre d’une course effrénée aux approvisionnements énergétiques. Au pétrole, au gaz, à l’uranium.
Ce qui explique d’ailleurs le placet diplomatique presque unanime qui a accompagné l’intervention française au Mali. La stabilité de la région sert tout le monde. Par ses liens historiques, culturels et politiques, la France était la mieux placée. La plus exposée, aussi, face aux réseaux terroristes toujours à la recherche d’un levier pour accroître leur puissance. Présumée ou réelle.
Ce qui procure une difficulté supplémentaire pour Paris, ce sont les contradictions françaises face à tout discours sur la puissance. Comment concilier le passif colonial et les enjeux énergétiques d’aujourd’hui ? Les droits de l’homme, si officiellement proclamés, et les intérêts vitaux ? La prétendue indépendance énergétique de l’Hexagone a, en fait, besoin de l’Afrique. C’est le prix de la puissance. Un prix que les otages ont, en quelque sorte, payé de leur personne. Heureusement, pas de leur vie.
Source : Ouest France